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Vérité avant-dernière (La)
Philip K. Dick
J’ai Lu, n° 910, traduit de l’anglais (États-Unis), science-fiction, 282 pages, avril 2022, 8 €

Dans notre chronique de « Dr Bloodmoney », nous avions souligné l’importance des rats et des rongeurs, à la fois discrets et omniprésents, révélateurs de ce qu’était devenue l’humanité post-nucléaire, reconvertie dans le recyclage, la reconstruction, la monstruosité. Ces rongeurs, nous les retrouvons mentionnés dès les premières pages de cette « Vérité avant-dernière », comme un signe de continuité entre deux romans publiés l’un en 1965, l’autre en 1964. La thématique de fond, très politique, se superpose plutôt à celle de « Brèche dans l’espace », publié en langue originale durant l’année 1966. En effet, « Brèche dans l’espace » questionnait l’avenir des millions d’êtres humains cryogénisés en attendant des jours meilleurs, et « La Vérité avant-dernière » pose le problème de millions d’êtres humains poussés sous terre par des prétextes fallacieux, des populations qu’il faudra bien se décider à ramener à la surface. Une continuité dans l’œuvre dickienne, donc, mais aussi un contexte totalement différent et bon nombre d’inventions pour un auteur qui fait feu de tout bois.



Publié en langue originale en 1964, « La Vérité avant-dernière » se passe en 2025. Dans ce futur parallèle, la guerre entre grandes puissances a bel et bien eu lieu. Un futur officiellement apocalyptique, une terre dévastée par les radiations, une surface où combattent encore les solplombs, des robots fabriqués par les survivants réfugiés dans d’immenses colonies souterraines, qui consacrent l’intégralité de leurs ressources à la fabrication de ces soldats artificiels dans l’espoir de finir par l’emporter. Dans l’espoir de pouvoir peut-être un jour remonter à la surface, une surface pour l’heure bien trop dangereuse : outre les radiations, des maladies épouvantables y sévissent, comme la contractivite, également nommée griffe-role, ou la terrible fièvre tuméfiante, qui ne laisse aucune chance de survie.

« Tous les gouvernants possèdent un certain aspect fictif (…). C’était particulièrement vrai au siècle dernier.  »

Oui, la guerre a bien eu lieu, mais, comme souvent chez Philip K. Dick, tout le reste, ou presque, est factice. Car cette guerre est en réalité terminée depuis bien longtemps. Elle n’a pas duré, elle est terminée depuis plus d’une décennie, mais les élites des grands blocs se sont entendues pour se partager à la surface d’immenses domaines en faisant croire à leurs populations que le conflit perdurait. Une réalité truquée jusqu’à l’os, donc, dont Philip K. Dick, à travers une intrigue de thriller politique, dévoile peu à peu les mécanismes.

Thriller politique car Stanton Brose, l’homme le plus puissant de la planète, l’héritier spirituel de Gottlieb Fischer – grand spécialiste des documentaires truqués, celui qui a fait croire à la planète qu’Adolf Hitler et Franklin D. Roosevelt étaient de mèche, torturant la réalité jusqu’à expliquer que les famines observées dans les camps de concentration avaient rendu la guerre nécessaire – entend bien ne pas se laisser débarrasser d’une once de pouvoir. Stanton Brose, dans l’ombre du Président-Protecteur Talbot Yancy, cherche à se débarrasser d’un homme devenant trop puissant, un architecte et entrepreneur du nom de Louis Runcible édifiant des habitations pour les habitants des quelques colonies souterraines dont les membres finissent par avoir des doutes et par remonter à la surface.

« La vérité avant-dernière » apparaît donc comme une série de vérités et de mensonges révélés à travers les aventures de multiples personnages : Nicholas Saint-James, habitant de la colonie souterraine Tom Mix, qui remonte à la surface dans l’espoir fou d’y trouver un pancréas artificiel pour un employé à l’agonie ; Joseph Adams, un Yancee, en charge d’écrire les discours de Talbot Yancy, le président en exercice ; David Lantano, autre auteur Yancee qui semble dissimuler bien des secrets ; Webster Foote, membre d’une agence de renseignements doté d’aptitudes précognitives, à la solde des uns et des autres, mais qui pourrait bien ne rouler que pour lui-même, ou pour une cause encore indéfinissable ; mais aussi bien d’autres protagonistes, dont les destins ne sont pas toujours enviables.

L’inventivité de Dick se retrouve d’un bout à l’autre de ce volume, avec des éléments récurrents dans l’œuvre de l’auteur ( les précogs, le conapt…), mais bien d’autres encore comme le verbaliseur à circuit audiodimensionnel, le flappeur, un véhicule volant, les solplombs, l’ordinateur géant Mégavac 6-v, le simul, une arme homotropique, le translateur temporel et inverseur de métabolisme, ou encore le Mecagestalt, un robot tueur à changement de forme plus inquiétant encore que le Terminator métamorphique T-1000 que James Cameron mettra en scène un quart de siècle plus tard (« Terminator 2 », 1991).

« Et pourtant, l’essence du Brose authentique subsistait. Car son cerveau, lui, n’avait pas été remplacé (…) ; si on avait voulu en fabriquer un (…), il aurait fallu entrer dans ce qu’Adams aimait à nommer le domaine de “l’or factice véritable”… ce qui était sa façon de désigner ce qu’il considérait comme un facteur nouveau, et majeur, dans le panorama de la nature et de ses ramifications multiformes : l’univers des faux authentiques. »

Que Philip K. Dick mentionne, au chapitre cinq, le paradoxe d’Épiménide le Crétois avec son authentique – ou peut-être faux – menteur en dit long sur ce roman qui est axé sur les réalités illusoires, les simulacres, les faux-semblants, les arrière-fonds construits et les vérités truquées, jusqu’aux facettes policières avec les vraies-fausses preuves intentionnellement laissées, ou peut-être pas, et désignant ou innocentant le commanditaire en fonction du point de vue, en passant par cet indien qui paraît simultanément jeune et âgé alors qu’il est tout à fait autre chose, par le président-Protecteur Talbot Yancy qui n’est rien d’autre qu’un mannequin animé, ou encore les vrais-faux artefacts archéologiques de la machination qui viennent à peine d’être fabriqués mais sont pourtant, lorsqu’on les retrouve, authentiquement vieux de plusieurs siècles. Réalités truquées à plusieurs niveaux, donc, mais au tout premier plan sur le point des discours politiques et historiques.

Ne nous y trompons pas : ce que décrit avant tout Philip K. Dick dans cette « Vérité avant-dernière », sous couvert d’une œuvre de science-fiction, ce sont avant tout les dangers des narrations parallèles, des falsifications et les réécritures de l’Histoire et de leur acceptation par des populations trop naïves. Des narrations parallèles telles qu’instaurées au siècle dernier par les régimes autocratiques communistes, des narrations alternatives qui, à notre époque, apparaissent toujours aussi prolifiques avec les discours russes autour de la guerre en cours, mais aussi les délires complotistes électoraux des républicains américains, sans oublier les mille illusions consensuelles que sont les vérités frelatées propagées par les réseaux sociaux. En ce sens, le message de vigilance et d’avertissement dispensé par la « Vérité avant-dernière », plus de cinquante ans après sa première publication, non seulement n’a pas pris une ride, mais semble plus actuel que jamais.


Titre : La Vérité avant-dernière (The Penultimate Truth, 1964)
Auteur : Philip K. Dick
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Alain Dorémieux
Couverture : Studio J’ai Lu AkuMimpi d’après Shutterstock / LHF Graphics
Éditeur : J’ai Lu (édition originale : [J’ai Lu], 1974)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 910
Pages : 282
Format (en cm) : 11,1 x 17,7
Dépôt légal : avril 2022
ISBN : 9782290365274
Prix : 8 €



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Hilaire Alrune
23 août 2022


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