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Petit Déjeuner au Crépuscule
Philip K. Dick
Gallimard, Folio 2€, nouvelles traduites de l’anglais (États-Unis), SF - Fantastique, août 2010, 108 pages, 2€

Un futur apocalyptique découvert par hasard, un présent morose à transformer, une société absurde dont il faut s’évader à tout prix, trois sujets finalement très significatifs de l’œuvre de Philip K. Dick.
Un écrivain qui bouleverse toujours, vingt-huit ans après sa disparition, une littérature SF majoritairement convenue.

À découvrir d’urgence ou à relire pour le plaisir... et pour 2 € seulement.



Ce poche Folio 2€ reprend trois nouvelles publiées entre mai 1954 et juillet 1955 dans les revues américaines spécialisées Amazing (deux premiers textes) et Imagination (le dernier), soit des années d’écriture très fécondes pour Philip K. Dick.

Aucune des trois n’est inédite en France car elles furent déjà publiées par le passé dans diverses revues (“Marginal” par exemple) ou anthologies, plus récemment dans le poche Folio SF n°164 intitulé « Paycheck » (2004) et sont également (et forcément) disponibles dans les deux superbes volumes de la collection Lunes d’Encre des éditions Denoël regroupant l’ensemble des nouvelles de l’auteur écrites entre 1947 et 1981 (Dick est décédé le 2 mars 1982).
Ce sont d’ailleurs et fort heureusement les traductions « revues et harmonisées » par Hélène Collon dans l’édition Denoël - Lunes d’Encre qui sont reprises dans ce volume.

Une occasion évidente de se familiariser à petit prix avec un auteur majeur de la littérature SF, qui non content de toujours irriguer post mortem le cinéma hollywoodien (et même français) pour le génial (« Blade Runner »), le meilleur (« Total Recall », « Minority Report », « A Scanner Darkly », « Confession d’un Barjo »), le moyen (« Planète Hurlante », « Impostor », « Paycheck ») ou le pire (« Next »), prouve avec ces trois textes qu’il défrichait dès le début de sa carrière des thématiques et des sujets auxquels les auteurs contemporains (ceux du 21e siècle, par exemple) se risquent assez peu.

Du temps, des dimensions et de la solitude

Dans “Petit Déjeuner au Crépuscule” (Breakfast at Twilight), une famille est transportée avec sa petite maison (!) dans un futur proche, sept ans plus tard, en pleine Troisième Guerre Mondiale. Elle y découvre un monde sans avenir, ravagé par l’affrontement USA-URSS, dans une ambiance brumeuse qui n’est pas sans rappeler la nouvelle “The Mist” (1985) de Stephen King.
Un texte globalement solide, principalement construit sur des dialogues, qui restituent parfaitement l’ambiance apocalyptique imaginée. Si le choix cornélien proposé par l’auteur (rester dans le futur et s’adapter ou tenter le tout pour le tout en espérant une répétition du phénomène cataclysmique en sens inverse, au risque de périr sous une avalanche de missiles) est intéressant et donne lieu à une conclusion désabusée et bien sentie, on regrette le rôle assez artificiel du Commissaire politique Douglas. Son influence sur le récit étant importante, il est bien dommage que son comportement de quasi assistante sociale (ou psy) du futur soit bien peu crédible.
Néanmoins, on comprend que ce qui intéressait Philip K. Dick n’était pas l’exploration du suspense dramatique induit par ce voyage dans l’avenir, mais bien les conséquences morales que cet accident temporel va entraîner pour cette famille, témoin involontaire de l’apocalypse. De la bonne SF pessimiste et noire, très en avance sur la production des confrères de l’époque.

Dans “Une Petite Ville” (Small Town), un homme, fasciné par la réalisation d’une reconstitution parfaite (version modèle réduit) de la banlieue morose dans laquelle il rate sa vie, se décide à transformer de fond en comble son univers miniature en cité idéale dont il serait le maire. Pendant ce temps, sa femme s’envoie en l’air avec un voisin qui espère bien que le mari trompé perdra sa raison dans son projet obsessionnel.
Tel est pris qui croyait prendre, évidemment.
Un texte fantastique intéressant qui se joue des dimensions (réelles, imaginaires, rêvées) pour proposer une échappatoire que seule la construction du récit justifie (nulle intervention démoniaque ou formule magique ne légitime la conclusion, juste le fait que les principaux protagonistes y croient intensément -et nous aussi, par conséquent).
Ricochet logique, le degré d’appréciation du texte (et son petit point faible) dépendra aussi du niveau d’immersion en l’histoire que le lecteur éprouvera. Pour le moins, on apprécie ce fond d’humour noir qui donne le beau rôle au plus faible et permet de savourer le triomphe du rêveur sur ses congénères.

Enfin, “Là où il y a de l’hygiène...” (The Chromium Fence) est sans doute le texte le plus abouti de ce court recueil.
Dans un lointain ou proche avenir (on ne sait et on s’en fiche un peu), l’humanité oppose violemment les Naturistes aux Puristes. Soit, ceux qui pensent que l’homme est une création divine qui ne peut être transformée et ceux qui souhaitent modifier radicalement son fonctionnement interne afin qu’il devienne une machine parfaite (sans odeur, aux cheveux parfaitement coiffés et aux dents blanches -entre autres préoccupations fondamentales) !
Prisonnier de ce chaos politique, un père de famille désabusé, en complet décalage avec son temps et ses contemporains, obligé de choisir entre deux futurs qu’il pressent néfastes et dictatoriaux. Mais il faut choisir... ou s’évader de ce présent ubuesque.
L’évocation de cette dystopie presque pour rire (mais finalement, on rigole assez peu) donne l’occasion de s’immerger complètement dans la peau du personnage central dont on partage totalement le raisonnement et les interrogations. La conclusion, limpide et évidente, est d’une rare beauté.
Incontestablement, une grande réussite de Philip K. Dick tant on ne décèle aucun point faible à l’ensemble, que ce soit dans la construction du texte ou dans la froide logique du récit.

Une parfaite introduction

Un glissement temporel, un basculement de dimension, un homme perdu dans une réalité dont il cherche à s’évader, forcément le choix de ces trois textes n’est pas le fait du hasard, mais une introduction bien pensée aux thématiques centrales abordées par Philip K. Dick tout au long de sa carrière.

« Petit Déjeuner au Crépuscule » est donc une belle opportunité donnée au grand public de découvrir un écrivain de SF atypique dans une collection non dédiée au genre qui nous intéresse, ou tout simplement, un excellent moyen de se convaincre (et de se rappeler) de la grande originalité de cet auteur -si l’on est plus familier de son œuvre.

Dans tous les cas, c’est bien vu, utile, agréable et rend justice à Philip K. Dick.


Titre : Petit Déjeuner au Crépuscule (nouvelles, 1954 à 1955)
Auteur : Philip K. Dick (1928-1982)
Nouvelles : Petit Déjeuner au Crépuscule (Breakfast at Twilight, juillet 1954), Une Petite Ville (Small Town, mai 1954), Là où il y a de l’hygiène... (The Chromium Fence, juillet 1955)
Traductions de l’américain (revues et harmonisées par) : Hélène Collon
Couverture (d’après photo) : © Alan Sirulnikoff / Getty Images
Éditeur : Gallimard
Collection : Folio 2€
Numéro : 5124
Catégorie : F1
Précédentes éditions (disponibles) : in « Paycheck » (Folio SF 164), « Nouvelles, vol. 1 et 2 » (Lunes d’Encre, Denoël)
Site Internet : tout savoir sur l’actualité Philip K. Dick (ou presque) - http://www.dickien.fr
Pages : 108
Format (en cm) : 10,7 x 0,6 x 18 (poche)
Dépôt légal : août 2010
EAN : 9 782070 438044
ISBN : 978-2-07-043804-4
Prix : 2 €



Stéphane Pons
8 septembre 2010


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