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Monde vivant (Le)
Bruno David et Guillaume Lecointre
Le Livre de poche, essai, 343 pages, octobre 2023, 8,90 €


Qu’on le dise d’emblée : « Le Monde vivant » n’est pas un traité, pas un essai, pas un ouvrage dans lequel on pourrait trouver une véritable continuité. Retranscription de brèves chroniques radiophoniques diffusées sur France Culture, « Le Monde vivant » ne prétend pas happer le lecteur comme peut le faire un ouvrage de vulgarisation scientifique consacré à un même thème et suivant un fil directeur. Il sera bien plutôt question ici de picorer à droite et à gauche, de butiner ici et là, de voleter entre botanique et entomologie, entre bactériologie et géologie, entre génétique et paléontologie.

Ce sont au total une centaine de chroniques qui sont ici rassemblées. Trois pages pour chaque thème, pas une de plus, et avec ici et là quelques illustrations en cul-de-lampe. Les chroniques radiophoniques étant formatées, leur retranscription l’est également. Pour chaque thématique, un survol. Il n’est donc pas possible de faire la synthèse d’un ouvrage par essence éclectique. La zoologie se taille bien évidemment la part du lion, et les grandes extinctions en cours n’y sont pas négligées, comme c’est le cas avec la spatule chinoise, plus grand poisson d’eau douce du monde pouvant atteindre plusieurs mètres et plusieurs centaines de kilos, animal pourvu d’un rostre et autrefois emblématique du fleuve Yangtzé, espèce hélas considérée comme éteinte depuis 2019. À l’autre extrémité du spectre des tailles, on découvrira la magie des diatomées, microalgues ubiquitaires dont les squelettes de silice forment de véritables joyaux invisibles à l’œil nu, et dont l’on apprend qu’entre autres utilisations elle servent à stabiliser la nitroglycérine, ou encore les acariens de type Demodex folliculorum dont nous hébergeons sur notre peau, au niveau des follicules pileux, des millions d’individus, et dont la transmission se fait de parents à enfants après la naissance. Dégoûtant ? Pas plus que les poux que les Esquimaux, qui les mangeaient, allaient chercher jusque dans les pelages des phoques pour s’en régaler.

Dans le registre moyennement ragoûtant, on ne sera pas rassuré d’apprendre que chez les cafards, un seul couple peut engendrer en une année plusieurs dizaines de milliers de descendants, et que c’est la tiédeur qui les attire dans les maisons. Et que si l’on appelle « bug » (cafard en anglais) les pannes informatiques, c’est parce qu’attirés par la chaleur ils se glissent dans les appareils électriques et en perturbent le fonctionnement. Un peu de vocabulaire encore car celui que l’on nommait jusqu’au XVIIème siècle le goupil n’est sans doute devenu un renard (avec un « d ») que grâce au succès du Roman de Renart (souvent avec un « t »), lu durant des centaines d’années après sa création aux XIIème et XIIIème siècles. Dans le registre étymologique, on ne sera guère étonné d’apprendre que la plante produisant le cacao a été nommée par Linné « théobroma » c’est-à-dire la nourriture des dieux. Lexicographie, donc mais aussi un peu de vexillographie ou science des drapeaux puisque rien n’échappe à l’œil d’aigle des auteurs qui font remarquer que l’aigle de la bannière américain n’est qu’un pseudo-aigle, un pygargue à tête blanche, Haliaeteus leucocephalus.

On n’oubliera pas les animaux domestiques, comme le chat domestique dont la plus ancienne trace connue remonte à 9000 ans avant notre ère à Chypre, et dont l’on apprendra que les femelles sont capables de superfétation, c’est-à-dire qu’elles peuvent être fécondées alors qu’elles sont déjà en gestation et ainsi porter plusieurs générations de fœtus à différents stades. Ou les animaux proches des hommes comme l’aye-aye qui au sud de Madagascar est respecté et considéré comme un « ancêtre » et enterré en grande pompe après une longue procession, ou l’oiseau qui au Mozambique aide les humains à rechercher du miel.

On pourra, à force de picorer ici et là, revenir à la gastronomie et apprendre que la fameuse sérendipité qui permit à Alexander Fleming de découvrir la pénicilline permit sans doute à d’autres d’élaborer sans le vouloir les premiers Roqueforts. Et terminer, dans le cadre des extinctions en cours, par une lueur d’espoir non pas pour les humains mais pour les végétaux, puisque le ginko biloba, le fameux arbre aux écus, fut le premier arbre à repousser dans la région d’Hiroshima, y compris un individu calciné, qui à moins d’un kilomètre de l’épicentre de l’explosion atomique, fut capable de régénérer une pousse. Tout ne semble donc pas encore entièrement perdu pour le monde vivant.

Court, léger, parfois à la limite du superficiel mais souvent intéressant, « Le Monde vivant », par la brièveté de ses chroniques, apparaît formaté pour être lu entre les stations de métro. Les amateurs de vulgarisation scientifique naturaliste y trouveront une matière moins dense que celle d’ouvrages comme « L’Odyssée des fourmis » par Audrey Dussutour et Antoine Wystrach ou « Le monde caché » par Merlin Sheldrake, mais la diversité des thèmes permet d’y musarder et flâner comme à travers un cabinet de curiosités. Il faut considérer « Le Monde vivant » comme une porte d’entrée dans le monde des sciences naturelles, qui pourra donner à ceux qui ne s’y sont jamais intéressés l’envie d’en savoir plus.


Titre : Le Monde vivant
Auteur : Bruno David et Guillaume Lecointre
Couverture : Science Photo Library / AKG-images
Éditeur : Le Livre de Poche (édition originale : Grasset et Fasquelle, 2022)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 37360
Pages : 343
Format (en cm) : 11 x 18
Dépôt légal : octobre 2023
ISBN : 9782253941293
Prix : 8,90 €



Un peu de sciences sur la Yozone :

- « L’Odyssée des fourmis » poar Audrey Dussutour et Antoine Wystrach
- « L’Aventure extraordinaire des plantes voyageuses » par Katia Astafieff
- « Les plantes font leur cinéma » par Katia Astafieff
- « Le monde caché » par Merlin Sheldrake
- « L’Apocalypse des insectes » d’Oliver Milman
- « Comment pensent les animaux » de Loïc Bollache
- « Éloquence de la sardine » par Bill François
- « Fascinantes araignées » par Christine Rollard
- « Biomimétisme » par Jean-Philippe Camborde
- « À la recherche de l’arbre-mère » de Suzanne Simard
- « Pasteur à la plage » de Maxime Schwartz et Annick Perrot
- « Schrödinger à la plage » de Charles Antoine
- « Le Théorème du parapluie » par Mickaël Launay
- « Lettres à Alan Turing », collectif
- « Intelligence artificielle : La plus grande mutation de l’histoire » par Kai-Fu Lee
- « L’intelligence artificielle n’existe pas » de Luc Julia
- « Mon odyssée dans l’espace » par Scott Kelly
- « Chroniques de l’espace » par Jean-Pierre Luminet
- « Chasseur d’aurores » par Jean Lilensten
- « Mojave épiphanie » par Ewan Chardronnet (dans notre sélection Noël 2017)
- « Tout est chimie dans notre vie » de Mai Thi Nguyen-Kim



Hilaire Alrune
21 novembre 2023


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