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Éloquence de la sardine
Bill François
J’ai Lu, Documents, n°13211, 215 pages, essai, mai 2021, 7,20€


« Je ne savais pas, en collant la vitre du tuba sur mon visage, que j’étais sur le seuil d’un nouveau monde, et que je n’allais plus jamais remonter complètement sur la terre ferme.  »

C’est l’histoire vraie d’un gamin à qui les poissons morts sur leur étal font un peu peur et qui un jour, dans un trou d’eau au bord de la plage, fait la découverte d’une sardine dont l’éclat argenté, comme dans un conte de fées, l’émerveille à jamais. Une de ces rencontres an apparence banales, en réalité miraculeuses, qui font les vocations, les passions, les destins. C’est ainsi que Bill François deviendra ichtyologue et chercheur en hydrodynamique.

« L’océan regorge de ces histoires cachées, de ces êtres craintifs qui ne demandent pourtant qu’à conter leurs récits. Il est empli de créatures timides, qui gardent dans leurs sons solitaires les merveilles qu’elles n’osent pas partager.  »

Il y a sous l’eau, juste de l’autre côté de la surface, une profusion de merveilles, mais aussi de symphonies, de mystères, d’étranges histoires qui ne demandent qu’à être écoutées, imaginées, décryptées. Les crevettes violonistes et hippocampes xylophones, mais aussi une baleine fantôme, acoustiquement suivie depuis des années, que nul n’a jamais vue et que ses congénères n’ont jamais entendue, car elle chante sur une fréquence pour elles inaudible –celle-là même, ou une proche cousine de celle qui apparaît dans « La Baleine Thébaïde » de Pierre Raufast.

« Il est des poissons que leurs propres parents pourchassent dès la naissance.  »

Émerveillement et mystères, mais pas que. Bill François n’essaie pas de nous faire croire que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes aquatiques. Sous l’eau tout autant que sur la terre ferme ça se pourchasse, ça se dévore, ça s’entretue. Entre la femelle brochet qui se repaît de son mâle où les bébés requins qui s’entredévorent joyeusement dans l’utérus de leur mère, les traditions familiales telles qu’on les entend habituellement ne sont pas vraiment partagées par tout le monde. Bill François sait faire la part des choses. De même pour ce qui est des interventions humaines. Il met en balance la pêche industrielle et les pollutions de tous bords avec la persistance des traditions de pêche modérée et les mesures de protection des biotopes. Et il remet plus d’un mythe à sa place, comme lorsqu’il explique que les requins tuent moins que les grille-pains (mais qui diable serait assez fou pour aller se baigner dans une mer infestée de grille-pains ?).

« Petit, j’avais souvent rêvé en imaginant le voyage de l’eau. Je la voyais s’échapper par le trou du lavabo et j’imaginais le voyage de ces gouttes d’eau dans le toboggan des tuyaux, leur course vers l’océan. (…) Je me disais qu’en faisant tomber une ficelle dans l’évier, j’arriverais peut-être à la dévider jusqu’à l’océan, ou tout au moins jusqu’à un fleuve. Et je m’imaginais tel un Inuit creusant un trou dans la glace, remontant chez moi des trésors ou des poissons lointains.  »

Dans ce vaste continent dont on ne connaît encore qu’une partie, dont des millions d’espèces restent encore à décrire, Bill François invite le lecteur à suivre le thon, le saumon, et d’autres créatures encore, parfois moins attendues, comme le guillemot plongeur, un oiseau qui n’hésite pas à jouer les sous-marins pour aller traquer ses proies. Il nous explique pourquoi le poulpe, qui, d’une dextérité supérieure à celle de l’homme et d’une intelligence peu commune, n’a jamais bâti les civilisations sous-marines qu’il était capable de créer et de développer. Il nous conte l’étrange histoire de la pourpre épiscopale et des couleurs cachées de coquillages d’apparence discrète, celles des colliers de perles naturelles, d’imitations toxiques et d’ersatz en écailles de poissons, de bénitiers faits avec la plus grande huître du monde qui aux Philippines atteint le mètre de diamètre. Il nous convainc de l’origine sous-marine de la toison d’Or du mythe, évoque l’utilisation du rémora, le poisson-pilote à ventouse, qui, légende urbaine (maritime) ou savoir-faire disparu, permettait de pécher d’autres proies comme l’on pratique la pêche au cormoran, nous raconte par quelle astuce maritime le moine gallois Giraud de Barri persuada ses ouailles qu’elles pouvaient se gaver autant qu’elles le voulaient de viande d’oie durant la carême, nous instruit sur les avancées scientifiques permis par la méduse fluorescente, nous parle de la complicité des hommes avec les orques et les dauphins, nous emmène au nez et à la barbe des forces de l’ordre découvrir sandres, chevesnes et perches avec les street-fishers parisiens.

« La sardine est ainsi un miroir parfait, aux reflets homogènes sous tous les angles. Elle est capable de de se fondre complètement dans l’univers qu’elle réfléchit sur sa peau. Nul ne peut distinguer la mer de son reflet.  »

On l’aura compris : cette « Éloquence de la sardine  » est une déambulation, une flânerie à travers un vaste cabinet de curiosités aquatiques au terme duquel Bill François parvient à boucler la boucle en revenant sur la fameuse sardine de ses débuts. « Éloquence de la sardine  », c’est un petit livre aux frontières de la science, très lisible et accessible à tous, sans mots savants ni complications excessives. Pas de notes de bas de page, pas de bibliographie, mais on trouvera en fin de volume un lien pour aller chercher des références sur le réseau. Que l’on ait envie d’en savoir plus ou non, cette « Éloquence de la sardine  », joliment écrit et sous une forme légère, aura eu en tout cas le mérite de nous en apprendre beaucoup.

Sommaire :
Avant
Tous les poissons vous le diront
Le monde sans silence
Serrés comme des sardines
Petit poisson deviendra grand
Coquillages et crustacés
Suggestions du jour
Dessine-moi un poisson
Anguille sous rue
Serpents de mer
La mer est ton miroir
Dialogues aquatiques
Trouver le bon thon
Fin… en queue de poisson
Epilogue


Titre : Éloquence de la sardine
Auteur : Bill François
Couverture : Studio J’ai Lu / Shutterstock / IADA : dimpank
Éditeur : J’ai Lu (édition originale : Arthème Fayard, 2019)
Collection : Documents
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 13211
Pages : 215
Format (en cm) : 11 x 17,8
Dépôt légal : mai 2021
ISBN : 9782290238783
Prix : 7,20€


Un peu de sciences sur la Yozone :

- « Intelligence artificielle : La plus grande mutation de l’histoire » par Kai-Fu Lee
- « L’intelligence artificielle n’existe pas » de Luc Julia
- « Lettres à Alan Turing »
- « Tout est chimie dans notre vie » de Mai Thi Nguyen-Kim
- « Le Théorème du parapluie » par Mickaël Launay
- « Chroniques de l’espace » par Jean-Pierre Luminet
- « Mon odyssée dans l’espace » par Scott Kelly
- « Mojave épiphanie » par Ewan Chardronnet (dans notre sélection Noël 2017)
- « Chasseur d’aurores » par Jean Lilensten



Hilaire Alrune
11 juin 2021


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