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Schrödinger à la plage – la physique quantique dans un transat
Charles Antoine
Dunod, essai / sciences, 236 pages, mai 2022, 15,90 €


La superposition des possibles. Un chat mort et vivant à la fois. La capacité d’agir de manière instantanée sur une particule située à des dizaines de milliers de kilomètres de distance, c’est-à-dire à transmettre une information plus rapidement que ne l’autorise la vitesse de la lumière. Un récit de Lewis Carroll  ? Une œuvre de science-fiction façon Greg Egan ou Ted Chiang ? Le délire d’un esprit à la dérive ? Rien de tout cela. C’est du réel, c’est de la science, et c’est autrement surprenant que les infos du jour. Pour celui qui n’a jamais abordé la physique quantique, mieux vaut lire « Schrödinger à la plage – la physique quantique dans un transat » confortablement et prudemment installé dans un transat, de peur de tomber par terre.

Même installé dans son transat, le lecteur pourra attacher sa ceinture, parce que la physique quantique décoiffe autrement que le roman de plage. En rappelant les prémisses de la naissance de la théorie quantique c’est à près d’un siècle de l’histoire de la physique que l’auteur nous confronte. Mais c’est surtout à l’histoire d’un séisme conceptuel qui a débuté durant les premières décennies du vingtième siècle mais dont les non-scientifiques, à travers la multiplication des articles dévolus dans les revues de vulgarisation ou la presse grand public, commencent seulement à prendre la mesure.

Deux raisons à cela : d’une part on commence à savoir quels sont les phénomènes faisant appel à des processus quantiques (dans les objets que nous manipulons tous les jours, nous faisons donc du quantique sans le savoir, y compris dans nos propres processus organiques), d’autre part la multiplication d’expériences qui n’ont pas seulement vérifié les points théoriques, mais ont aussi ouvert la porte à la fabrication d’objets faisant appel à la physique quantique, objets dont les exemples les plus frappants à ce jour sont sans doute les premiers ordinateurs quantiques.

Un séisme conceptuel, donc : car la découverte d’un nouveau monde, pour l’essentiel microscopique, où rien ne se passe de manière intuitive et où survient ce qui apparaît impossible, s’accompagne de la mise en évidence de la porosité de la frontière entre ce monde et le nôtre. Ce séisme conceptuel, c’est celui de la superposition des possibles, où deux évènements antithétiques coexistent en même temps. Un monde où, pour reprendre la formule de Pascal, “ le contraire d’une vérité profonde est une autre vérité profonde.” Un monde où, pour reprendre la fameuse image de Schrödinger, un chat est mort et vivant à la fois. Le monde quantique, c’est celui de « l’aléatoire intrinsèque » où rien n’est sûr mais où tout se situe dans une gamme de probabilités parfaitement décrites.

Si Dieu ne joue pas aux dés, pour reprendre la fameuse formule d’Einstein, il semble en tout cas s’amuser comme un fou avec le jeu de billard multidimensionnel des particules et de leurs liens difficiles à concevoir. Il joue avec nos nerfs, ou plus exactement avec nos neurones, qui ont tendance à faire des nœuds quand il s’agit de comprendre comment tout cela peut bien fonctionner, et comment peut se faire le passage du monde quantique à celui de la physique classique.

C’est donc à l’exploration d’un entre-deux mondes que nous convie ce « Schrödinger à la plage », une exploration qui ne se fait pas seulement en compagnie du physicien autrichien et de son chat fantôme, mais aussi, entre autres, du grand Richard Feynman, de Thomas Young et de ses fentes à lumière infiniment simples et parfaitement diaboliques, de Louis de Broglie et de son idée contre-intuitive des ondes de matière, d’Heisenberg et des matrices du discontinu, de John Wheeler et de ses expériences à choix retardé, ou d’Hugh Everett et de sa théorie des mondes multiples souvent mentionnée par les auteurs de science-fiction, par exemple par Blake Crouch dans « Récursion ».

L’histoire de la physique quantique est donc aussi celle de bien des génies, mais que le lecteur se rassure : en apprenant dans « Schrödinger à la plage – la physique quantique dans un transat », qu’il y a plus d’énergie dans le vide que nulle part ailleurs, il aura moins de scrupules, dans son transat, à faire un moment le vide dans son cerveau. Il comprendra facilement ce que sont les spins des particules (et incidemment à savoir classer sans peine ces dernières dans les familles des bosons et des fermions), découvrira que la ceinture de Dirac est plus et mieux qu’un élément de la garde-robe du célèbre physicien, se confrontera à l’ébouriffante contrafactualité et aux principes de non-localité, de décohérence et de correspondance, respirera, enfin, en apprenant que le « recuit simulé » n’est pas un artifice de nouvelle cuisine et ne le confrontera pas à une hypothétique gastronomie quantique où le plat du jour serait en état de superposition quantique, c’est-à-dire immonde et délicieux en même temps.

Ce « Schrödinger à la plage – la physique quantique dans un transat » est largement accessible, mais demande néanmoins une concentration certaine. Contagieux, il projette le lecteur dans des états de superposition quantique multiples : l’état de celui qui comprend tout superposé à l’état de celui qui ne comprend plus rien, l’état de celui qui se sent intelligent superposé à l’état de celui qui a l’impression de se heurter à un mur conceptuel inébranlable, l’état de celui qui lâche prise en vacances superposé à l’état de celui qui continue à stimuler ses neurones. Transat ou pas transat, une lecture fortement recommandée pour mieux saisir l’environnement physique dans lequel nous baignons, et pour comprendre les mille et une avancées scientifiques qui, d’ici très peu de temps, vont bouleverser notre monde.


Titre : Schrödinger à la plage – la physique quantique dans un transat
Auteurs : Charles Antoine
Couverture : Marie Sourd / Atelier AAAAA
Éditeur : Dunod
Site Internet : page volume (site éditeur)
Pages : 236
Format (en cm) :14 x 20,5
Dépôt légal : mai 2022
ISBN : 9782100837595
Prix : 15,90 €


Un peu de sciences sur la Yozone :

- « Pasteur à la plage » par Maxime Schwartz et Annick Perrot
- « L’Apocalypse des insectes » d’Oliver Milman
- « À la recherche de l’arbre-mère » de Suzanne Simard
- « Comment pensent les animaux » de Loïc Bollache
- « Éloquence de la sardine » par Bill François
- « Fascinantes araignées » par Christine Rollard
- « Biomimétisme » par Jean-Philippe Camborde
- « Le Théorème du parapluie » par Mickaël Launay
- « Lettres à Alan Turing », collectif
- « Intelligence artificielle : La plus grande mutation de l’histoire » par Kai-Fu Lee
- « L’intelligence artificielle n’existe pas » de Luc Julia
- « Mon odyssée dans l’espace » par Scott Kelly
- « Chroniques de l’espace » par Jean-Pierre Luminet
- « Mojave épiphanie » par Ewan Chardronnet (dans notre sélection Noël 2017)
- « Chasseur d’aurores » par Jean Lilensten



Hilaire Alrune
29 juin 2022


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