Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Novelliste (Le) n°6
Léo Dhayer (rédacteur en chef)
Flatland, décembre 2022, 260 pages, 14 €

« Effroi de finir » : le sous-titre de ce numéro 6 du « Novelliste » annonce d’emblée la couleur. On sera dans les mille et une déclinaisons de la fin et de ses épouvantes, et dans la recherche des manières d’éviter que tout se termine. Mais il est vrai qu’en littérature, on ne finit jamais vraiment : Lionel Evrard, une nouvelle fois, fait appel des auteurs connus et vivants, et d’autres plus obscurs qu’il valait la peine d’exhumer. Fictions et érudition, un numéro du « Novelliste » aussi dense que les précédents.



« L’idée de ressusciter les défunts n’était pas universellement populaire : moins d’un an plus tôt, une ex-actrice avait été massacrée par une foule hystérique pour avoir commis le crime abominable d’avoir échappé à sa première mort. »

Les nostalgiques des anthologies « Territoires de l’inquiétude » publiées entre 1991 et 1996 dans la collection « Présence du fantastique » chez Denoël par Alain Dorémieux retrouveront dans ce « Novelliste » des noms familiers comme Nicholas Royle, Lisa Tuttle et Steve Rasnic Tem, et découvriront avec KC Mead-Brewer une plume de la même veine. On se souvient de ce fantastique « moderne » défendu par Alain Dorémieux, un fantastique que Nicholas Royle définit par le terme « uncanny », et qui, à des aspects psychanalytiques et surréalistes, mêle des éléments noirs ou horrifiques pour composer une forte impression de malaise. Des nouvelles grevées par une certaine surenchère en éléments symboliques et freudiens au risque d’y perdre la subtilité des récits classiques, et oubliant parfois de composer des véritables histoires. Ni ambiguïté ni finesse avec “Le Mannequin” de Nicholas Royle, un récit noir avec de très explicites éléments de psychiatrie clinique. Même remarque pour “Tranquillement gigantesque” de Mead-Brewer, qui joue sur l’accumulation de détails pour composer le tableau d’une narratrice sombrant dans un délire abreuvé de fictions – ou passant, si on veut vraiment y croire, dans un monde d’urban-fantasy. Le “Dinosaure” de Rasnic Tem s’en rapproche : un naufrage individuel qui est plus une longue scène qu’un récit structuré. C’est finalement le texte oublié de Lisa Tuttle, “L’homme creux”, qui tire le mieux son épingle du jeu par son caractère humain et poignant : on se souvient d’un certain « Simetierre » qui laissait déjà entendre que la résurrection n’était pas forcément une bonne idée. Les amateurs des zones obscures de la psyché humaine savoureront en tout cas ces quatre textes qui dégagent tous un trouble réel. Plus loin dans le volume, on pourra rapprocher de cette veine « uncanny » la francophone “ Maison des mouches” de Roman Jourdy, voire même le très noir et hors contraintes “Otto” de David Sillanoli.

« Je pensai alors que j’avais affaire à un fou, un fou de l’espèce la plus dangereuse car il y avait bel et bien de la méthode dans sa folie. »

Une nouvelle palingénésie” (1883), plus optimiste, permettra aux lecteurs de découvrir Robert Duncan Milne, un des précurseurs et fondateurs de la science-fiction américaine. Un beau texte de facture classique, un récit de résurrection qui mêle science et spiritisme – n’oublions pas qu’à l’époque de véritables scientifiques s’intéressaient de près au paranormal, car la science progressait dans tant de domaines et ouvrait tant de portes inattendues qu’il ne paraissait pas si absurde de la voir établir une passerelle avec l’au-delà. On est donc dans le merveilleux scientifique avec un brin d’horrifique, mais aussi à un passage de frontière montrant que fantastique et science-fiction, qui ont souvent tendance à évoluer en parallèle, peuvent aussi basculer de l’un à l’autre.

« J’avais été enseveli jeune, mais je quittai la tombe presque vieillard. »

Un numéro consacré à l’effroi de finir n’aurait pas été complet sans un récit d’enterré vif. C’est avec “Dans la tombe” de Nikolaï Borovko, paru en esperanto et en Sibérie en 1892, que l’on découvre cette mésaventure à se faire dresser les cheveux sur la tête. Autre type de fin avec un inédit de Robert Sheckley : en quelques pages, “Dans les eaux calmes de l’espace” fait un beau et sobre tableau de solitude et de fin humaine et robotique. Fin individuelle encore, ou peut-être essor vers une autre vie avec un “Voyage en pays de scaphandrie” de Robert Darvel qui échappe aux classifications : excentrique, coloré, imagé, surréaliste, un kaléidoscope d’images sous-marines, l’inattendu destin d’une jeune femme en crinoline sombrant à travers les flots. Mais pour Antonin Sabot la fin peut-être celle d’un monde, “Le Partage du territoire” apparaissant comme la dernière mutation d’une campagne abandonnée et transformée en simple source d’énergie, avec néo-exode rural obligatoire au prétexte de nécessité écologique.

Autres fictions, autre auteurs, Fabrice Schurmans, dont nous avions parlé dans « Humanum in silico » livre avec “Le monde en une ligne” un texte purement sociologique dans le veine naturaliste, Florin Spataru propose avec “Sonate pour un rossignol jaune” le récit d’une dérive estudiantine qui ne se rattache pas non plus directement aux genres de prédilection du « Novelliste », et Nicolas Liau, auteur de « L’Ange de la mélancolie » et « Quand je serai grand je serai mort », narre avec “Le Mot de la fin” l’odyssée originale, poétique et lexicographique, mais aussi un brin cruelle, d’une jeune fille recueillant à l’aide d’un cornet acoustique les derniers mots des uns et des autres. On aura aussi un brin de fantastique ferroviaire et de « rétrocipation » historique avec “Vremya poyezda” de Sylvain-René de la Verdière (auteur habitué des pages du « Novelliste »), un étonnant conte à rebours. Sans compter les récits brefs de Chantal Rabutin, Céline Maltère et Fabienne Leloup inspirés par les tableaux de Céline Brun-Picard (à considérer plus comme des fantaisies que comme la création de récits complets, les textes inspirés par une image étant de bons exercices mais générant rarement des textes mémorables, comme s’en souviennent les amateurs de la collection Marabout fantastique qui ont pu découvrir que les textes des « Maisons suspectes » de Thomas Owen, tous inspirés par des tableaux de Gaston Bogaert, sont loin de compter parmi ses meilleurs.) N’oublions pas pour les modernes plusieurs volées de contes ultra-brefs (Céline Maltère, Didier Pemerlé, Léo Kennel, Jean Krug…) et pour l’aspect anticipation ancienne le troisième volet du « Voyages en d’autres mondes » (1894), aventures spatio-exotiques de John Jacob Alastor.

Au registre érudition, ce numéro 6 du « Novelliste » propose un article de Jean-Pierre Laigle à la thématique originale : “La perte de la mer dans la science-fiction”. Un article inachevé en raison du décès de l’auteur, mais qui n’en est pas moins, comme toujours, fouillé et érudit. Bel article également de l’éditeur Pierre Laurendeau, “Jacques Abeille, le jardin refermé”, qui consacre plusieurs pages de souvenirs à l’auteur du « Cycle des contrées ». Un entretien avec Nicholas Royle et trois présentations de Richard Duncan Milne (par Léo Dhayer, Francis Valéry et Sam Moskowitz) viennent compléter l’ensemble.

Toujours plus beau (avec illustrations en noir et blanc, illustrations en couleurs et pages de garde couleur bordeaux), toujours aussi riche, ce sixième numéro du « Novelliste » de plus de deux-cent-cinquante pages apparaît une fois encore comme une réalisation soignée. Fouillé, éclectique, il vient s’inscrire dans la droite ligne des numéros précédents, les « Novelliste 1 », « Novelliste 2 », « Novelliste 3 », « Novelliste 4 » et « Novelliste 5 »


Titre : Le Novelliste 6
Rédacteur en chef : Léo Dhayer
Comité de rédaction : Lionel Évrard, Nellie d’Arvor, Roland Vilère, Elvire Arnold, Andi Verolle, André Virolle
Design graphique et iconographie : Frédéric Serva, André Virolle
Éditeur : Le Novelliste / Association Flatland
Page du numéro : Le Novelliste 6
Numéro : 6
Pages : 260
Format (en cm) : 15,8 x 24 x 1,5
Dépôt légal : décembre 2022
ISBN : 9782490426324
Prix : 14 €


Les éditions Flatland sur la Yozone :

- La chronique du « Novelliste 1 »
- La chronique du « Novelliste 2 »
- La chronique du « Novelliste 3 »
- La chronique du « Novelliste 4 »
- La chronique du « Novelliste 5 »
- « Wohlzarenine » par Léo Kennel
- « Brutal deluxe » par Emmanuel Delporte
- « Monstrueuse Féerie » de Laurent Pépin
- « Angélus des ogres » de Laurent Pépin
- « Pill Dream » de Xavier Serrano
- « Humanum in silico », anthologie
- « Aventures sidérantes », anthologie
- « Des lendemains qui shuntent » recueil de Bruno Pochesci



Hilaire Alrune
6 juillet 2023


JPEG - 18.5 ko



Chargement...
WebAnalytics