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Aventures sidérantes
Martin Lessard (anthologiste)
Flatland, science-fiction, nouvelles, 248 pages, mai 2020, 16 €

Seize auteurs, seize nouvelles pour un hommage à la littérature pulp : tel était le projet de Martin Lessard, dont personne n’avait anticipé la disparition prématurée. Ce volume n’est donc pas seulement un hommage à une certaine forme de littérature, mais également à l’anthologiste lui-même.



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La première image venant à l’esprit en songeant à la littérature pulp est celle des affrontements avec d’horribles extra-terrestres dans l’espace. Dans “Une station ordinairePatrice Lajoye ne confronte pas l’humanité à des monstres hostiles mais à l’une de ses propres évolutions – plus exactement c’est l’une de ces évolutions, devenue au sens propre extra-terrestre, qui se trouve confrontée à une humanité qui n’a pas su évoluer. Véritables créatures de l’ailleurs, name-dropping, ponctuation perfectible et choix lexicaux discutables (« Ses vêtements enlevés un à un dépeuplent Jessica de sa retenue policée ») pour “Et veiller l’infini’’ de Cyril Carau, dont nous avions déjà parlé en bien ici et qui, avec ironie, a saisi et rendu l’essence parfois « quincaille » du pulp dans ce récit décomplexé d’entités extra-terrestres hostiles et de sauveur tutélaire inattendu. Malgré une note de pathos bienvenue, on passera rapidement sur “Les Martiens’’ de Christian Léourier, qui repose sur une astuce éculée que tout amateur de genre a déjà lue bien des fois, mais l’on constatera qu’imagerie et lexique du « pulp » n’empêchent pas Nando Michaud, à travers “Sky is the limit’’, d’aborder des thématiques très contemporaines comme la croissance à tout-va, le développement forcené et le gaspillage des ressources – le monstre n’est peut-être pas vraiment l’autre, mais seulement le capitalisme porté à sa dimension galactique.

On s’en doute : il n’est pas toujours nécessaire d’aller dans l’espace pour rencontrer des extra-terrestres désireux d’envahir la terre. Surtout quand ceux-ci, plus malins, ont compris qu’ils pouvaient s’approprier les lieux en s’appuyant simplement sur la naïveté ou la bêtise de ses occupants. Avec “L’herbe plus mauve ailleurs’’, Emmanuel Quentin offre une belle variation sur un thème très classique. Jean-Michel Calvez, quant à lui, propose avec “La Française des Œufs’’ une nouvelle soignée, riche et accomplie, elle aussi ouvertement pulp et l’une des meilleures du volume, terminée – pour ceux qui ont la mémoire des affaires criminelles – par une ultime pirouette hilarante.

Mais on ne saurait résumer le pulp à des affrontements spatiaux ou des invasions extraterrestres : il y a aussi les incontournables savants fous – ou peut-être hélas pas tant que cela. Pas besoin d’invasion, donc, mais tout de même une très probable fin du monde avec le très inquiétant “Et chez vous tout va bien ?’’ de Laurence Suhner, avec son physicien dont l’exploit apparaît discutable, encore une variation réussie sur un thème très classique. Dans “Darwin et le dragon’’, Olivier Caruso, dont nous avions déjà parlé ici et reprend des personnages célèbres dans la réalité et dans la littérature et construit un pont entre réalité et fiction, entre théorie de l’évolution de Darwin et destin du Dr Moreau de H.G. Wells : une idée astucieuse, qui plus est appuyée par un principe scientifique.

Autres approches encore, avec des thèmes divers et variés. Dans “Six pour l’apocalypse’’, Bruno Pochesci use et abuse de son habituel mode potache et franchouillard mais imagine – in-extremis – une très belle conclusion, et termine sur une note finale poétique et poignante. Avec “La Boifouille’’, Éric Vial Bonacci (dont nous avons déjà parlé sous son alias Urbex 42) trouve le juste format pour décrire avec d’élégants néologismes un écosystème étrange où s’aventure un être humain… mais les humains en tant qu’espèce sont-ils encore réellement crédibles ? Xavier Mauméjean emmène le lecteur du côté des figures connues des comics en mettant en scène “La relève’’, précédemment publiée en langue anglaise dans une anthologie de Jean-Marc Lofficier. Autre thème pulp s’il en est, la révolte des robots dans “Un goût si délicat’’ d’Alain Rozenbaum, une nouvelle un peu raide … et pas si délicate ! Autre thématique encore pour “Impress Genetic Inc. », qui fait basculer le lecteur dans le biopunk léger avec les fantaisies anatomiques d’Elodie Boivin.

Large gamme de tonalités et de thèmes, donc, pour ces « Aventures sidérantes  » dont l’hétérogénéité doit être considérée comme un plus. Les puristes pourront souligner l’aspect outrancier de quelques-uns de ces récits, certains auteurs donnant l’impression d’avoir confondu littérature pulp et nouvelles de fanzine, mais sans doute était-ce là la conception de l’anthologiste – qu’il repose en paix. Hommage aux auteurs classiques et à une littérature qui, si elle peut atteindre des sommets de complexité scientifique, sait également amuser, ces « Aventures sidérantes », sans trop se prendre au sérieux, apparaissent comme un bon reflet du dynamisme d’une science-fiction qui sait être à la fois lucide et sans complexes. Complétée par un avant-propos de Xavier Dollo, une préface de Martin Lessard et un dictionnaire des auteurs, ce volume est présenté sous une couverture de Xavier Collette qui en illustre parfaitement la volonté pulp.

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Titre : Aventures sidérantes
Auteur : Xavier Dollo et Martin Lessard (anthologistes), Patrice Lajoye, Jean-Michel Calvez, Christian Léourier, Olivier Caruso, Bruno Pochesci, Cyril Carau, Eric Vial-Bonacci, Nando Michaud, Laurence Suhner, Emmanuel Quentin, Xavier Mauméjean, Pierre Gévart, Alain Rozenbaum, Elodie Boivin, Gulzar P. Joby, Michèle Laframboise
Couverture : Xavier Collette / Frédéric Serva
Éditeur : Flatland
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 248
Format (en cm) :13 x 21,5
Dépôt légal : mai 2020
ISBN : 9782490426072
Prix : 16 €



Hilaire Alrune
3 août 2020


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