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Bifrost n°114
La revue des mondes imaginaires
Revue, n°114, nouvelles - articles - entretiens - critiques, avril 2024, 192 pages, 11,90€

L’auteur écossais du « Cycle de la Culture », Iain Menzies Banks est décédé en 2013, voilà onze années, mais il reste bien présent dans nos mémoires, tant son œuvre est forte et essentielle. « Bifrost » lui consacre enfin un dossier. Autant dire qu’il était attendu !



Pascal J. Thomas présente Iain M. Banks et il le fait remarquablement, prenant le temps de dresser un portrait qui n’est pas sans contradiction. Ami de Ken MacLeod, l’auteur aimait notamment bien boire et conduire de puissants véhicules à toute berzingue, c’était un homme de conviction, n’hésitant pas à dire tout le mal qu’il pensait de Thatcher et Blair. Plus d’une anecdote croustillante émaillent ce portrait d’un bon vivant qui n’a jamais baissé les bras à ses débuts, multipliant les petits boulots et se fixant pour but de publier son premier livre avant ses trente ans. Les premiers romans appartenant à la Culture ont été refusés, avant qu’un éditeur croie suffisamment en lui et publie l’exubérant « Le seigneur des guêpes ». Sa carrière démarrait avec un étonnant contraste entre deux pans de sa production. C’est là qu’intervient le fameux M, celui de Menzies que son père a oublié lors de son enregistrement à la naissance. Au bout d’un moment, il désirait distinguer ses romans de SF qu’il écrivait en alternance avec ceux de littérature générale, dont certains ne sont pas sans flirter avec la littérature de genre. Avec M, c’est estampillé SF et sans M, littérature hors genre. Dans la bibliographie de l’écrivain, Alain Sprauel fait justement la séparation. Un cancer a mis fin à sa brillante carrière en 2013. Quinze pages vraiment instructives et passionnantes, poursuivies par un entretien sûrement réalisé en 2010 par Jude Roberts. L’homme est égal à ce que la présentation laissait entendre.
Son grand cycle, celui de la « Culture » (neuf romans et un recueil), est décrypté par Alice Carabédian, docteure et chercheuse en philosophie politique, qui a écrit une thèse sur le sujet. À son papier consacré aux différents volets du cycle et à ses caractéristiques, je ne peux m’empêcher de rajouter son article pour la rubrique “Scientifiction” : “L’utopie mise en Culture” qui s’attaque justement à la face essentielle de la Culture, celle de l’Utopie qui n’est pas cantonnée à un lieu abrité. Sa seconde intervention renforce la première et donne un tout de haut vol, propice à la réflexion.
Avant la bibliographie que chacun ne manquera pas de parcourir, les différents livres ressortant de près ou de plus loin à l’Imaginaire sont chroniqués, et ce, sans s’attacher à la présence du M ou non.
Ce dossier se sera fait désirer, attendre, mais au final, il ne déçoit en rien, cochant toutes les cases, notamment par le choix de ses deux chevilles ouvrières, Pascal J. Thomas et Alice Carabédian qui livrent un travail exemplaire.

Et cerise sur le gâteau, la nouvelle “Descente” qui figure au sommaire de « L’essence de l’art ». Après un crash sur une planète inhospitalière, un homme et son scaphandre tentent de rallier à pied une base éloignée, dans l’espoir qu’elle soit encore habitée. Même si le scaphandre protège l’homme, il s’agit d’un individu à part entière dans le cycle de la Culture. L’IA et l’homme échangent, se soutiennent mutuellement, mais se tapent sur le système au fil des jours. Une nouvelle classique à la fin somme toute attendue mais qui fonctionne à plein.

Figure aussi dans ce numéro : Alastair Reynolds avec “Les Nuits de Belladone” qui semble effectivement se situer après « La millième nuit » et « La maison des soleils ». Elle met en scène le bien connu Campion qui assiste en tant qu’invité à la cérémonie de la millième nuit de la Lignée Mimosa. Shaula lui trouve une étrange attitude, il la snobe, l’évite mais lui dépose en cachette des bouquets devant la porte. Il y a bien sûr une explication qui n’est pas sans faire écho avec la tragédie de « La maison des soleils » et dégage une impression de fin d’un temps. Triste et beau à la fois pour cette nouvelle pierre à l’histoire passionnante de la Lignée Gentiane.

Dans “Quelque chose dans l’air” de Carolyn Ives Gilman, une expédition scientifique va de surprise en surprise. Une mathématicienne, son ex et le chef qui ne rêve que de gloire se rendent sur une étrange planète dont la surface semble changeante, comme si elle s’adaptait à leurs désirs. Un texte intrigant tout du long avec des personnages centraux aux motivations diverses. De quoi regretter les trop rares traductions de l’auteure.

Un laveur de carreaux de vaisseaux spatiaux en a mare de sa condition et entraîne son chien dans ses envies d’émancipation. Dialogues savoureux entre les deux, non sans anachronismes criants, et projet fou au programme de “Roger Will Comply” de Jean Baret dans un registre bien moins sérieux.

Au sein des nombreuses recensions des parutions récentes, on remarquera celle de « Mon travail n’est pas terminé » de Thomas Ligotti qui s’achève par cette formule de Jean-Pierre Lion : « Sans doute y a-t-il un public pour Thomas Ligotti. On aura compris que je n’en suis pas. » qui est à mettre en regard avec les mots de François Angelier de l’émission « Mauvais Genre » interviewé par Erwann Perchoc, encensant justement cet auteur.
Comme il est fait mention dans l’éditorial et “Infodéfonce & Vracanews” en fin de numéro, les derniers mois ont prélevé un lourd tribut parmi les auteurs de science-fiction et non des moindres. Pour ne pas les oublier, les revues jouent un rôle essentiel dans la mémoire du genre.
Ce « Bifrost » le prouve parfaitement avec le dossier Iain M. Banks. Un très bon numéro, inspiré, complet et des plus plaisants.


Titre : Bifrost
Numéro : 114
Rédacteur en chef : Olivier Girard
Couverture : Manchu
Illustrations intérieures : Philippe Gady, Anthony Boursier, Nicolas Fructus et Franck Goon
Traductions : Laurent Queyssi (Les Nuits de Belladone), Pierre-Paul Durastanti (Quelque chose dans l’air) et Sonia Quémener (Descente)
Type : revue
Genres : SF, études, critiques, nouvelles, entretien, etc.
Sites Internet : le numéro 114, la revue (Bifrost) et l’éditeur (Le Bélial’)
Dépôt légal : avril 2024
ISBN : 9782381631318
Dimensions (en cm) : 15 x 21
Pages : 192
Prix : 11,90€


Iain M. Banks sur la Yozone :
- Iain M. Banks : Le Cycle de la Culture
- L’essence de l’art
- Les enfers virtuels
- La plage de verre, version Fleuve Noir et Pocket
- L’agébriste
- Transition
- Effroyabl Ange1


Pour contacter l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
6 mai 2024


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