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Essence de l’art (L’)
Iain M. Banks
Le Livre de Poche, n°32868, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), science-fiction, 309 pages, février 2013, 7,10€

On a l’habitude de lire Iain M. Banks (qui écrit aussi, pour ses ouvrages atypiques, sous le nom très légèrement raccourci de Iain Banks) sous la forme longue. Des romans, souvent ambitieux, souvent longs de plusieurs centaines de pages, pour la plupart consacrés à la Culture, une civilisation extra-terrestre, et à ses interventions auprès d’autres intelligences. Mais, comme beaucoup d’auteurs du genre, Banks s’est également essayé à la forme courte. Les huit nouvelles de « L’Essence de l’art » permettront au lecteur de découvrir de nouvelles facettes de cet écrivain.



Premier texte du volume, “La Route des crânes,” fragment d’une imagination fantaisiste et baroque, métaphore d’une fiction destructrice et sans fin, laisse l’impression mitigée d’une idée inaboutie. “Un Cadeau de la culture” , qui lui fait immédiatement suite, laissera également le lecteur sur sa faim au terme d’un texte qui apparaît tronqué, ou qui ressemble à un chapitre de roman qui resterait à écrire.

Curieuse jointure ” met en scène, avec un humour horrifique, la rencontre dramatique entre deux intelligences : amusant, mais rien de très nouveau pour cette nouvelle convenue, au thème mille fois exploité, qui aurait pu avoir été écrite dans les années cinquante, et que l’on considérera comme un hommage à l’âge d’or.

Descente ” est également très classique : un individu dont la navette a été détruite échoue à la surface d’une planète proche grâce à un scaphandre intelligent. Seule chance de survie à terme : gagner, à pied, une base éloignée. Une nouvelle intéressante, qui relève elle aussi de la science-fiction classique, et dont certains lecteurs verront sans doute venir la chute à l’avance.

Science-fiction classique encore avec “Nettoyage ” qui aurait pu être écrite par un auteur comme Clifford D. Simak. Des artefacts extra-terrestres apparaissent sur terre ; les scientifiques parviennent à comprendre à quoi ils servent, mais l’usage décidé par les politiques ne sera pas vraiment le bon. Sans prétention, pleine d’humour, parfaitement grinçante, un brin désespérée : sans doute une récréation pour l’auteur.

Fragment ” ne relève pas de la science-fiction, mais de la sociologie. Le narrateur, sans doute naïf, découvre – et explique à sa parentèle – l’intolérance religieuse d’individus dont tout laisse à penser qu’ils font partie des individus rationnels. Hélas, pour ceux qui ont déjà été confrontés à ce problème – rares sans doute sont ceux qui n’ont jamais eu affaire à ces gens si charmants, si courtois, si formidablement intégrés, y compris dans les élites, et dont le masque, au détour d’une conversation, à l’occasion d’une discussion, d’un détail, subitement tombe : la haine à l’état pur, l’intolérance à un degré insurpassable, le fanatisme à fleur de peau, et, bien souvent, en prime, un mépris total, absolu, inouï, irréfragable pour les femmes – pour qui a déjà vécu de tels épisodes, donc, Banks ne fait guère qu’enfoncer des portes ouvertes. De surcroît, en insérant sa nouvelle dans le contexte de l’attentat de Lockerbie, l’auteur prend paradoxalement le risque d’atténuer son propos : d’une part parce que des attentats épisodiques ne sont rien comparativement aux modifications insidieuses des sociétés, passées ou futures, générées par l’intolérance des uns et des autres, d’autre part parce que bien des lecteurs, et plus particulièrement encore dans les années à venir, risquent de ne pas comprendre à quel évènement l’auteur se réfère.

Avec “Eclat,” Iain M. Banks ne se montre guère plus convaincant. Littérature expérimentale – simple remplissage diront certains – à base de flashs de conscience ou sous-corticaux, de bribes d’information, cherchant à donner la « Situation présente et à venir de l’espèce Homo sapiens considérés sous l’aspect du contenu d’un discours spontané contemporain » à travers la bouillie mentale d’un individu, « Eclat » demeure dont assez anecdotique.

On est, après la lecture de ces sept nouvelles, loin de l’ampleur revendiquée du cycle de la Culture, loin de l’imagination foisonnante d’un roman comme « La Plage de verre », loin de la perfection formelle, pour des textes courts, de cette extraordinaire nouvelle qui représente le premier chapitre de la première partie, intitulée « Métaphormose », du roman « Entrefer ». Heureusement, l’avant-dernière nouvelle vient contrebalancer cette impression un peu mitigée.

L’Essence de l’art”, plus une novella qu’une nouvelle (environ cent trente pages) représente donc le point d’orgue de ce volume. En mettant en scène des membres de la Culture découvrant la Terre, orbitant secrètement autour d’elle, l’observant jusque dans ses moindres détails, envoyant ses agents vivre au cœur de l’humanité pour tenter de la comprendre, Iain M. Banks résume l’essence même de la Culture et des dilemmes auxquels elle est confrontée. Faut-il intervenir pour aider l’humanité, aider ces gens que « leurs esprits tordus ont emmenés à la dérive sur une voie de garage d’une sublime imbécillité en termes d’évolution sociale  » ? Faut-il au contraire « rester là pour les quelques millénaires qui s’annoncent, à observer ce tas de clowns génocidaires  » ? En faisant décrire l’humanité par ses protagonistes à partir d’éléments assez communs (les guerres incessantes, les systèmes politiques, la faim dans le monde), Banks prend le risque d’une vision trop anthropomorphique de la Terre, mais l’on comprend progressivement que les membres de la Culture sont à la fois très proches des humains – l’un décidant de rester parmi eux – et trop éloignés pour réellement intervenir. L’humanité, un simple « groupe témoin » pour laquelle on ne ferait rien, et qui servirait de comparateur pour d’autres intelligences au profit desquelles la Culture ferait le choix d’intervenir ? Une idée qui, pour finir, fait réellement frémir.


Titre : L’Essence de l’art (The State of the Art,1991)
Auteur : Iain M. Banks
Traduction de l’anglais(Grande-Bretagne) : Sonia Quémener
Couverture : Studio LGF
Éditeur : Le Livre de Poche (édition originale : Belial,2010)
Collection : Science-fiction
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 32868
Pages : 309
Format (en cm) : 11 x 17,8
Dépôt légal : février 2010
ISBN : 978-2-253-15990-2
Prix : 7,10 €



Iain Banks sur la Yozone :
- La chronique de « La Plage de verre »
- Le Cycle de la Culture
- Gerard Klein et le Cycle de la Culture
- Une chronique de « L’Usage des armes »


Hilaire Alrune
30 mars 2013


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