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Plage de Verre (La)
Iain M. Banks
Pocket, n°7045, traduit de l’anglais (Écosse), science-fiction/aventures, 727 pages, mai 2010, 10,20€

Si Iain Banks est surtout connu pour son gigantesque Cycle de la Culture, il est aussi l’auteur de romans relevant du polar et de la littérature générale, voire inclassables comme « Le Seigneur des guêpes ». Avec « La Plage de verre », il nous offre un récit de science-fiction distinct de son œuvre dans ce domaine, et animé par un esprit différent : tout aussi cohérent, tout aussi inventif, mais essentiellement axé sur l’aventure.



Sur la planète Golter, divisée en royaumes ou baronnies chapeautées par une Cour Mondiale corrompue et guère plus efficace que la Société des Nations, Banks décrit un mélange de technologie et de Moyen-Âge d’autant plus cohérent et vraisemblable qu’il ne fait guère que décalquer la réalité très proche de la Terre du XXe siècle. Bien que certains royaumes aient technologiquement accès à l’espace et aux plus proches planètes, Golter n’a jamais réussi à véritablement faire table rase de son histoire et ses habitants continuent à macérer dans leurs rivalités éternelles.

Sept générations avant le début de ce récit, une duchesse a subtilisé aux Huhsz, secte de religieux passablement dérangés, un mystérieux artefact dénommé “canon lent”. Que la secte elle-même ait eu quelque chose à se reprocher envers cette dame n’entre pas en ligne de compte : la Cour Mondiale accorde enfin aux fanatiques un “permis de chasse” les autorisant à poursuivre et à légalement assassiner sa dernière descendante, Sharrow, pour qui la seule manière de mettre fin à cette traque sera de retrouver le canon lent –perdu depuis des lustres– et de le remettre aux Huhsz.

Fort malencontreusement pour les Huhsz, Sharrow est un ancien soldat d’élite qui, avec l’aide des membres de son équipe, ne manquera pas de leur mener la vie dure. Chance pour le récit, elle s’était reconvertie après sa démobilisation dans la traque aux antiquités et se lance aussitôt en quête du canon lent. Dès lors, c’est parti sur les chapeaux de roues pour plus de sept cents pages, et, hormis quelques flash-backs nécessaires à l’histoire, il n’y aura pas la moindre pause pour souffler.

Iain Banks accumule avec frénésie les péripéties (qu’elles soient purement classiques ou au contraire parodiées et détournées), les changements de décor, les renversements de situation. Les protagonistes y sont tour à tour héroïques et picaresques, les personnages savoureux. Les rebondissements sont étayés non seulement par une trame historique et géographique solide, mais aussi par des images et des idées parfois marquantes. Sans trop en révéler, citons par exemple la piscine au-dessus du gouffre, le message dissimulé à la fois dans les gènes et dans la chorégraphie, et cet incroyable castel hétéroclite et multiséculaire, mais à prédominance gothique, dont les habitants appartiennent à une confrérie de Frères à la fois libres et captifs, enchaînés à des rails leur permettant de se déplacer à travers la bâtisse, délirante invention d’allure victorienne à laquelle on serait bien en peine de trouver quoi que ce soit d’équivalent.

Péripéties, idées, rythme frénétique, donc, mais tout de même une belle scène paisible, que l’on pourrait croire écrite par Clifford Simak, peu après la cinq centième page. L’héroïne s’y lie avec un androïde qui remet en état une cité irradiée, à présent délaissée par des hommes. “Souvent,” explique l’androïde, “quand je travaille le plâtre, je me repasse de vieux romans d’aventures, je les revis avec des vieux livres, d’antiques films bidimensionnels ou des œuvres plus modernes.” Et le même androïde d’ajouter, quelques instants plus tard : “Votre propre vie sera un jour ou l’autre un roman d’aventures, dame Sharrow. Je n’en doute point.”

Le robot s’est révélé, l’auteur également. Voilà, pour ceux qui à ce stade n’auraient pas pleinement réalisé le fin mot de l’affaire, le but ultime de l’auteur : exploiter le filon sans fin qu’est la science-fiction pour bâtir un grand roman d’aventures. Mais c’est à partir de ce moment aussi que le récit devient plus âpre, que le drame s’installe. Les uns après les autres, les protagonistes sont mis sur la touche, jusqu’à ce que ne reste plus en lice, sur son destrier mécanique, que l’héroïne face à ses démons, son passé, son hérédité et ses ennemis véritables. Éclate alors pleinement la toile de fond du récit, cette frustration quasi victorienne de personnages hantés par l’échec et qui se croient libres mais demeurent prisonniers pour toujours de carcans héréditaires et des vieilles querelles familiales, et jamais ne sauront atteindre la grandeur à laquelle ils aspirent –drame des individus, drame de Golter toute entière. Et ce n’est nullement par hasard si le roman vient se terminer pratiquement là où il avait commencé, devant ce castel gothique qui symbolise l’histoire de la planète.

Si Banks, d’un bout à l’autre de son roman, use avec habileté des sciences, y compris biologie et génétique, au profit de son histoire, il se réserve quelques inconnues qui seront sources de surprises. Ainsi le canon lent après lequel courent les protagonistes n’a-t-il rien de rationnel ni de compréhensible : il évoque bien des artefacts de l’âge d’or de la science-fiction, de ces objets relevant à la fois de la science et de la fable et dont la vocation était de demeurer éternellement mystérieux. Le canon lent est ici une sorte de graal, de clef, le but final qui sauvera, peut-être, notre héroïne, mais sert en premier lieu à justifier les mille et une péripéties d’un roman qui est, avant tout, une gigantesque chasse au trésor.

On connaît, depuis « Le Seigneur des guêpes », le goût marqué de Banks pour la fantaisie macabre. Comme dans d’autres de ses romans, on retrouve ici et là des pointes de cet humour à la fois féroce et british : les courses de sials dont on a remplacé les cerveaux par ceux de criminels, un ouvrage du roi de Pharpech recouvert avec la peau d’un leader révolutionnaire paysan, la mort tragi-comique dudit roi après l’échec d’une tentative d’assassinat manquée qui finira par signer sa perte, et le cadavre du grand-père de l’héroïne, visible par une fenêtre de son mausolée, “sanglé dans ses superbes cuirs éraflés, assis sur sa moto favorite, couché sur le guidon comme s’il était encore en vie”.

Ce long récit d’aventures ne s’émaille pas seulement d’humour noir, mais aussi de satire sociale et politique. Quand Banks décrit une civilisation qui dilapide l’intégralité de ses bénéfices en coûteux objets dont le critère principal est d’être totalement inutiles, et ceci à seule fin de ne pas se laisser la moindre possibilité d’évoluer, on a là une des critiques les plus brèves et les plus féroces de la société de consommation jamais esquissées. La charge anticléricale, elle aussi brève et dispensée comme en passant, ne manque pas non plus de saveur : à Pharpech, nul ne se hasarde à simplement récuser l’existence de Dieu, mais les chapelles ne servent qu’à célébrer et chanter la haine que tous lui portent, l’archiblasphémateur y est l’équivalent de l’archidiacre, et les exorcismes ont pour seul et unique but la purgation de toute influence divine.

On peut, bien entendu, émettre quelques critiques : le second degré est parfois lourdement appuyé, avec certaines scènes peut-être trop caricaturales et une ou deux facilités scénaristiques, notamment le retournement de situation lié à l’ignorance de certaines caractéristiques des passeports par les Huhsz. Mais ces défauts, somme toute mineurs et très probablement volontaires, s’effacent rapidement sous le flot de découvertes, de surprises et de péripéties, et ne sont pas suffisants pour rompre la solidité de la trame tissée par Banks, auteur qui, une fois de plus, sait parfaitement créer un univers et lui donner cohérence.

Par son caractère ludique ouvertement revendiqué, « La Plage de Verre » ne cherche donc pas à prendre place parmi les œuvres majeures de l’auteur. Ce space opera démesuré, qui est aussi une ode au récit d’aventures portée par une dimension jubilatoire manifeste, se veut avant tout distrayant. Avec « La Plage de Verre », l’auteur échafaude, sur une vaste trame de thèmes et d’influences – il y a du Jack Vance dans la description soigneuse des pays à travers lesquels pérégrinent nos héros, du Voltaire ou du Swift dans la satire, du Stevenson dans l’aspect récit d’aventures – un roman dense et profus. Prolifique sans être prolixe, foisonnant sans être répétitif, rebondissant mais jamais redondant, « La Plage de Verre » est un formidable ouvrage de distraction, riche et rythmé, intelligent et pourtant sans prétention : un récit comme on aimerait en lire plus souvent, un hommage aux genres auxquels il fait pleinement honneur.

RTF - 655 octets
Coquilles La Plage de verre

Titre : La Plage de Verre (Against a dark background, 1993)
Auteur : Iain M. Banks
Traduction de l’anglais (Écosse) : Bernard Sigaud
Couverture : Stephan Martinière
Éditeur : Pocket
Collection : Science-Fiction
Site internet : page roman (site éditeur)
Pages : 727
Format (en cm) : 17,8 x 10,9 x 3
Dépôt légal : mai 2010
ISBN : 978-2266203807
Prix : 10,20€



À lire également sur la Yozone :

- La Plage de Verre (Fleuve Noir), la critique de l’édition grand format
- Iain M. Banks : Le Cycle de la Culture


Hilaire Alrune
1er août 2010


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