C’est animé par la curiosité pour Henri Mouquin d’Handrax, un peintre mineur dont il a acquis l’une des toiles, que le narrateur se trouve amené à rencontrer l’actuel héritier de la famille et petit neveu de l’artiste, le baron Archibald d’Handrax. Un excentrique qui, dans le village d’Handrax, achète et collectionne les maisons encore habitées au cours des décennies précédentes, demeures qu’il se garde bien de rénover ou de redécorer, préférant les conserver « dans leur jus » avec les tapisseries, ameublements et objets d’époque, et qu’il utilise comme des machines à retrouver le passé – du moins, quand il ne s’offre pas des séjours en internat de collège pour retrouver ses jeunes années.
Excentrique, le baron Archibald d’Handrax ? Il faudra au narrateur bien des années pour prendre la pleine mesure de ce hobereau fortuné qui jamais ne cessera de le surprendre. Organiser des idées de sosies n’est pas une mince affaire, mais pour le baron d’Handrax certains plaisirs sont insurpassables – comme boire un bock avec Jean-Paul Sartre, qu’il considère comme un individu déplorable, ou plus exactement avec un sosie presque aussi idiot que l’original.
Des apocryphes, des manuscrits inachevés, un livre qui semble destiné à n’être jamais que partiellement traduit, un jardinier spectral, des anecdotes impensables autour d’une collection de cartes géographiques ou au sujet d’étranges usages des noms de rues, de non moins impensables stratagèmes pour bénéficier des meilleurs points de vue et de paysages parfaits au cours de la déambulation, la manière détournée de devenir le mécène d’un cambrioleur plutôt que de lui faire l’aumône, l’art de l’inversion sentimentale de la météorologie, on n’en finirait pas de lister les inventions poétiques ou saugrenues du baron Archibald d’Handrax. Sans oublier qu’il pratique à l’occasion un humour noir consommé – les renifleurs, la fabrication de guillotines atypiques – qui vient donner encore un peu de piquant au tableau.
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Mais d’où viennent donc ces idées, qui, depuis les « Contes carnivores », émaillent, enrichissent, égayent et colorent les nouvelles et romans de Bernard Quiriny, en un foisonnement lui-même excentrique ? “Il s’agit généralement d’espèces de petites épiphanies”, expliquait il y a peu l’auteur au micro de François Angelier, dans l’émission Mauvais Genres de France Culture. “La plupart du temps d’ailleurs c’est en lisant, je bute sur un mot, sur une expression, et cette expression me fait dévier pendant une microseconde. Alors il faut que je la note immédiatement sinon elle va tomber irrémédiablement dans l’oubli.” On comprend ainsi comment sont venues, en petite touches successives, mille et une idées parmi lesquelles l’auteur a pu sélectionner les éléments venant, en strates successives, faire accrétion et donner de l’épaisseur au baron d’Handrax et à ses excentricités.
On s’en doute : un tel fourmillement d’idées et d’inventions rend tout livre de ce genre définitivement irrésumable. C’est pourquoi nous n’en avons révélé ci-dessus que quelques-unes et n’en dirons guère plus, si ce n’est qu’au final ce « Portrait du baron d’Handrax », éclectique et pourtant cohérent, conserve d’un bout à l’autre sa pleine saveur. Et même au-delà, puisque le farfelu poursuivra ses farces et ses excentricités depuis le royaume d’outre-tombe, allant jusqu’à envoyer des cartes postales posthumes (lointain écho, peut-être, d’une des « Nouvelles du grand possible » de Marcel Thiry) et faire parvenir à sa famille de fausses lettres de condoléances signées de grandes figures elles aussi défuntes. On s’amuse de ce fantôme revenant de mille manières, et l’on goûte avec ce « Portrait du baron d’Handrax » une agréable récréation littéraire.
Titre : Portrait du baron d’Handrax
Auteur : Bernard Quiriny
Couverture : Tableau de Cornelis Norbertus Gysbrechts, photo Kevin Best
Éditeur : Rivages (édition originale : [Rivages], 2022)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 181
Format (en cm) :11 x 17
Dépôt légal : mars 2025
ISBN : 9782743666422
Prix : 8 €
Les éditions Rivages sur la Yozone :
« La Ronde de nuit » par Bora Chung
« Chants du cauchemar et de la nuit » par Thomas Ligotti
« La Vieillesse de l’axolotl » par Jacek Dukaj
« L’Occupation du ciel » de Gil Bartholeyns
« L’Odyssée des étoiles » par Kim Bo-young
« L’île de Silicium » de Chen Qiufan
« La Messagère » de Thomas Wharton
« Les Vagabonds » de Richard Lange
« Comptine pour la dissolution du monde » de Brian Evenson
« Un bon Indien est un Indien mort » de Stephen Graham Jones
« Mon cœur est une tronçonneuse » de Stephen Graham Jones
« N’aie pas peur du faucheur » de Stephen Graham Jones
« Hiérarchie, la société des anges » par Emmanuel Coccia
« De la réminiscence » par Maël Renouard
« L’Attrapeur d’oiseaux » par Pedro Cesaro
« Une bonne tasse de thé » par George Orwell
« Petites choses » de Bruno Coquil
« L’Inventeur » de Miguel Bonnefoy
« Qui après nous vivrez » par Hervé Le Corre