Cimqa

Gallimard, Folio SF, n° 765, science-fiction, 412 pages, mars 2025, 9,50 €

Cimqa

Auriane Velten

jeudi 1er mai 2025, par

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Une étrange pandémie instantanée et passagère, nommée l’Évènement, frappe l’humanité toute entière. Perte d’équilibre, difficulté à gérer les distances, vision latérale inhabituelle. Puis tout rentre dans l’ordre. Du moins en apparence. Car, du côté des coordonnées géostationnaires, il y a désormais des anomalies inexpliquées. Et apparaissent bientôt des phénomènes nouveaux d’abord désignés par l’acronyme HC (hallucinations collectives) mais qui, on refuse tout d’abord de l’admettre, sont bien plus que cela. Nombre d’enfants sont en effet capables de susciter ce que l’on a tout d’abord pris pour des visions collectives, mais qui s’avère être une réalité.

Telles sont les points de départ de ce « Cimqa  » composé d’une alternance de chapitres tour à tour intitulés “Ici (là-bas)” et “Là-bas (ici)” et mettant tour à tour en scène Sarah, une enfant de huit ans, ses parents et son amie Ada, et une Sara (sans « h »), que l’on croit tout d’abord être son alter-ego dans la futur, âgée d’une cinquantaine d’années, et de sa compagne Eva.

Dans le présent, Sarah se découvre le pouvoir de faire apparaître à volonté les créatures issues de son imagination ou de l’imaginaire collectif. Elle n’est pas la seule – ce don semble désormais assez répandu – mais elle découvre au fil du temps que son don à elle sort de l’ordinaire. Si ces apparitions de créatures sont habituellement très limitées dans le temps – très exactement onze secondes – elle est capable de les faire perdurer, non pas à volonté, mais bien au-delà. Et elle est capable de transmettre ce don, ou d’expliquer comment le modifier, à son amie Ada. Approchée de façon très classique par les autorités gouvernementales (le récit se passe au Royaume-Uni), elle aidera bientôt d’autres personnes à développer ce don.

Dans le futur, Sara vit une existence difficile. Elle aussi porteuse du don, elle travaille comme technicienne pour la London Cimqa Production. La Cimqa, c’est le cinéma de l’imaginaire, une nouvelle industrie du loisir où le cinéma classique est « augmenté » par l’apport direct de l’imaginaire. Mais faire de son don un métier n’était peut-être pas la meilleure idée du monde. Sara a connu son heure de gloire avec de grosses productions, puis, comme tout un chacun, a connu des hauts et des bas – et surtout des bas. Car, dans la Cimqa comme partout ailleurs, humanité et compassion font défaut. C’est du business, et rien d’autre. On casse les contrats, on licencie. À l’approche de la cinquantaine, la pression, le stress des contrats au lance-pierres, les maladies psychosomatiques, les rêves-cauchemars, les productions involontaires et inopinées de créatures rendent l’existence difficile. Avec l’aide de sa compagne Eva, Sara essaie de survivre, de vivre, de se reprendre.

Dans ces deux univers à la fois distincts et continus – celui d’une petite fille de huit ans et celui d’une cinquantenaire quelques décennies plus tard – Auriane Velten ne cherche pas à être trop explicite. Les anomalies de l’espace – que les enfants modifient comme l’on tire un tapis – les autres dimensions, le pays d’où viennent les créatures imaginaires, tout cela reste volontairement flou. De même, la manière dont les productions imaginaires se mêleront quelques décennies plus tard aux productions technologiques reste assez nébuleuse. L’impact de ces dons sur la société reste éludé, de même – le roman reste très anglosaxonnement-centré – que leur retentissement sur le reste du monde. Mais le propos n’est pas là. Pas plus qu’il n’est, non plus, de créer un véritable imaginaire. Entre dragons et Père Noël détectés par les radars, entre fée clochette et lutins faisant le ménage, les entités que les enfants font apparaître sont en effet très classiques, et semblent pour la plupart tirées d’un imaginaire commercial et de pacotille : un choix sans doute délibéré de la part de l’autrice, et destiné à montrer, au-delà de l’aspect merveilleux, que l’imaginaire des enfants est déjà appauvri par une sort de walt-disneysation des esprits. S’il y a un moment une belle idée à la James Morrow quand les prosélytes essayent de faire apparaître leurs dieux respectifs, celle-ci est rapidement balayée. Et si l’imaginaire se matérialise dans le monde réel, il ne semble pas non plus opérer de véritable débordement : on reste donc, pour l’essentiel, dans la zone de confort de l’imaginaire tout-venant.

Pas d’imaginaire qui dérange, donc, dans ce récit très classique et souvent prosaïque où l’enfance est assez bien mise en scène, en particulier lors des conventionnels échanges entre les parents qui voudraient bien voir leurs enfants choisir un « vrai métier » alors que ceux-ci préféreraient vivre de leur art, un élément appelé à prendre dans ce roman une dimension singulière. Les lectrices trouveront dans « Cimqa  » leur lot d’émois lesbiens, qui semblent être devenus un marqueur de la fantasy contemporaine (voir par exemple chez Fabrice Colin, Alix Harrow et plus subtilement chez Jedediah Berry). Dans un monde où les hommes ne semblent guère figurer que pour les clichés et le décor, ce « Cimqa  » est avant tout très cosy, très féminin : thé, cuisine, pâtes, infusions, albums photos, canapés, sushis, soucis cutanés, emplettes, restaurants, chat venant ronronner sur le canapé : une fois encore, on reste bien au chaud dans sa zone de confort.

Même si Auriane Velten, au risque de paraître vouloir en rajouter, enrichit sur la dernière partie son récit avec l’esquisse d’une autre dimension encore, celle du rêve, l’intrigue reste globalement simple, voire simpliste, avec cette histoire très – trop – classique de laboratoire et de tentative de récupération des dons par les militaires. Les quelques péripéties sont attendues, l’écriture simple et fonctionnelle, le lexique banal – à l’exception, peut-être, de la couleur octarine empruntée à Terry Pratchett – et la surabondance de dialogues permet de faire défiler rapidement les quatre cents pages. Ce « Cimqa  » relève donc en définitive beaucoup plus de la littérature « jeunesse » que des romans pour adultes et constitue une lecture facile et peu exigeante.

Pour autant, ce « Cimqa  », présenté sous une très belle couverture d’Hervé Leblan, n’est pas dénué d’intérêt. Il pourra faire réfléchir (et ceci même si les relations complexes entre l’art et la marchandise ont déjà une très longue histoire), sur la récupération et la corruption de l’imaginaire par les grandes industries du loisir, régies à la fois par l’exclusive et pure – ou très impure – fringale de dividendes, et par les statistiques des désirs et rejets du plus grand nombre sur les moindres détails, qu’ils soient esthétiques, narratifs, plastiques, philosophiques, sociétaux et tutti quanti. Nous parlions plus haut de l’imaginaire déjà corrompu et appauvri des enfants. Le mérite de ce « Cimqa  » est aussi de faire ouvrir les yeux sur une évidence : cette corruption de l’imaginaire n’est pas celle d’un « système » désincarné, d’une machine à dollars apparue comme d’elle-même, d’un rassemblement de squales à face humaine ayant jeté tout scrupule à la poubelle et consacrant une énergie diabolique à pressurer l’imaginaire jusqu’à la dernière goutte pour en faire une gigantesque pompe à bénéfices. Cette corruption de l’imaginaire, nous en avons tous les germes en nous. C’est ce qu’explique très bien, et très finement, Auriane Velten à travers la trajectoire de Sarah et d’Ada, qui, alors qu’elles sont toutes deux encore des enfants, refusent de considérer leur don comme une chance, un plus, un bonus, et décident non pas de le pratiquer pour le plaisir mais d’en vivre, d’en faire leur métier, leur gagne-pain. Non pas de vivre leurs rêves mais de faire en sorte que leurs rêves les fassent vivre. Un idéal trompeur, irréfléchi, chez ces deux enfants qui déjà dessinent les contours d’une entreprise, au sens financier du terme, et qui, guère pires que ces militaires qu’elles abhorrent, sans peut-être le vouloir et sans doute sans s’en rendre compte, deviendront elles-mêmes des requins.


Titre : Cimqa
Auteur : Auriane Velten
Couverture : Hervé Leblan
Éditeur : Gallimard (édition originale : Mnémos, 2023)
Collection : Folio SF
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 765
Pages : 412
Format (en cm) : 11 x 18
Dépôt légal : mars 2025
ISBN : 9782073061911
Prix : 9,50 €


Auriane Velten sur la Yozone :

- Entretien avec Auriane Velten dans « Géante Rouge » n° 31
- « 37,0 C » par Auriane Velten dans « Géante Rouge » n° 30




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