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Voyage Ludique avec François Berdeaux – Épisode 1
La genèse de « Totemix » et autres discussions
Février 2024

Dans le monde ludique, François a enfilé immédiatement les 2 costumes d’auteur et d’éditeur.
Son premier jeu, « Totemix », nous plonge dans une course contre la montre afin de sauver notre environnement en pleine déliquescence. Le jeu est-il juste un moment d’amusement ou aussi un média militant ?
Laissons François nous parler de la genèse de son jeu mais de bien d’autres choses aussi…



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Bonjour François. « Totemix », le premier jeu que tu as créé et édité au Crapaud Céleste, s’appelait en premier lieu « Biohazard ». Quelle est l’idée de départ de ce jeu ?

L’idée du jeu est partie du dessin animé « Les Indestructibles » que mes enfants regardaient beaucoup à l’époque. Je voulais les attraper grâce à cette thématique. Je me suis penché sur les costumes des super héros et ça a été le départ pour développer le gameplay. Cette idée de pouvoir s’est peu à peu transformée en élémentaires pour donner « Biohazard ».

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Le principe premier du jeu est le temps réel. Pourquoi avoir choisi ce principe de timing ?

Je voulais faire un jeu sans tour par tour et coopératif. Le temps réel est arrivé au début pour supprimer l’aspect leader par l’ajout de cette contrainte qui l’empêche de prendre le contrôle sur le jeu. Par la suite je me suis aperçu que ce type de gameplay chronométré était très clivant et j’ai développé une version avec des actions limitées au lieu du temps limité afin d’offrir plusieurs expériences de jeu.

Le problème du temps réel, c’est qu’il faut vraiment maîtriser les règles pour éviter les erreurs. D’ailleurs tu proposes le tour par tour pour débuter, et, avouons-le, nous avons eu besoin de ça pour pouvoir maîtriser les pouvoirs de chaque animal Totem. Mais quelle est ta préférence ?

Les actions limitées sont parfaites pour appréhender la mécanique du jeu mais elles deviennent très punitives quand on monte dans les niveaux de difficultés proposés par les puzzles. Le chrono autorise de faire des erreurs.
Je préfère le mode chrono car le jeu a été pensé comme ça au départ et je voulais favoriser l’interaction entre les joueurs et créer plus de tension autour de la table.

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L’aspect frénétique du chrono donne un sentiment d’urgence. Tu voulais refléter cette urgence qui nous touche maintenant vis-à-vis du changement climatique ?

Le chrono, effectivement, renvoie à l’urgence climatique et si le jeu peut nous sensibiliser à cette thématique c’est tant mieux. Pour certains c’était un peu anxiogène mais le jeu, à mon sens, remplit un rôle pédagogique à son niveau.

Nous demandons d’habitude aux auteurs comment s’est déroulée l’expérience avec l’éditeur, mais tu es ton propre éditeur. Alors comment s’est déroulé le travail avec toi-même ? Comment prends-tu du recul sur ton jeu pour en éliminer les scories ?

Je pense qu’il est plus difficile d’être auteur-éditeur. En effet, le travail avec un tiers permet de prendre du recul et de travailler ensemble. Les amis, qui sont les premiers testeurs, ne sont pas totalement objectifs. Un éditeur qui va investir son argent l’est un peu plus… Les distributeurs m’ont aidé à reconsidérer certains choix, couverture de boite, remise en question du mode chrono, etc. Les salons permettent également de recueillir des impressions directes.

Comment as-tu trouvé l’équilibre entre les pouvoirs des animaux Totem ?

Chaque animal est lié à un environnement sur la table mais il fallait effectivement que chaque pouvoir soit indispensable pour réussir. Il y a eu beaucoup de tests et d’échecs. Des fois tout fonctionne parfaitement dans le tableau Excel et moins en jouant. Il faut tester et retester. Et surtout garder la motivation chez les testeurs car les pauvres jouent souvent à des versions qui ne tiennent pas la route avant de dénicher le Saint Graal de la fluidité.

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Comment as-tu organisé l’aspect graphique avec Hervé Prat ? Comment as-tu fait la connaissance de cet illustrateur et qu’est-ce qui t’a attiré dans son graphisme ?

Je connaissais Hervé via une expérience professionnelle où nous avions travaillé ensemble comme chorégraphe et réalisateur. J’avais eu l’occasion de voir ses storyboards et de découvrir ses talents d’illustrateurs. Nous habitons à 700 kms de distance et faire ce projet a permis de garder le contact et de mieux se connaître. C’est d’ailleurs lui qui a fait évoluer le projet initial des super héros. Cela a bougé beaucoup de choses. Il n’en a subsisté que la mécanique de « construction de personnage ».

Quel a été l’accueil du jeu lorsqu’il s’appelait encore « Biohazard » ?

Pas terrible, il faut l’avouer. « Biohazard » n’avait qu’un mode chrono et cela a été un gros frein. Je crois que les règles étaient un peu plus compliquées encore. La direction artistique n’avait pas fait beaucoup d’émules et j’ai essuyé les plâtres à cause de ma méconnaissance de ce milieu ludique dans lequel je débarquais avec mes gros sabots.

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Les changements pour parvenir à « TOTEMIX » sont sans doute dus aux retours lors des présentations en festivals. Quels étaient les nouveaux retours après la transformation ?

La thématique Animal Totem était plus adaptée. L’ajout du mode action limité, le mode chrono devenant juste une variante, a vraiment fait la différence. Je me suis aussi entouré d’une équipe plus expérimentée pour ce reboot avec Synergy Games pour la partie production et l’arrivée d’Alexis Vanmeerbeek, le graphiste, a permis de professionnaliser ce projet.

Comment vis-tu la présentation de tes jeux en festivals ou tout autre endroit de jeux ? Est-ce un des aspects de la création que tu préfères ?

Cela dépend des festivals en fait. Beaucoup de plaisir sur les festivals de taille moyenne qui te laissent le temps d’échanger avec les joueurs, moins sur les plus gros où il faut faire tourner les tables afin de les rentabiliser.
Les salons sont essentiels pour développer un jeu, on voit où ça bloque dans les explications de règles, on cerne mieux le public cible. Mais courir les salons représente une grosse charge de travail et de temps.

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L’écologie et l’éveil des consciences sur les dégâts du changement climatique et des diverses pollutions est au centre du jeu. Penses-tu qu’un jeu puisse vraiment permettre de réveiller les gens ?

Un pas après l’autre. Un jeu, plus un film, plus un débat, plus une discussion… Pour moi c’est une pierre à l’édifice. Le jeu porte des valeurs. Dans « Totemix », on travaille en coopération pour sauver des environnements en difficultés. Le fait qu’il n’y ait pas de tour par tour mais une gestion commune des actions bouscule aussi les habitudes mais montre que tout le monde doit participer sans attendre de leader.

Quelles sont ta position et tes réflexions à propos des problématiques environnementales actuelles ?

J’ai quitté la région parisienne pour me construire une maison en bois dans la forêt. Je fais mon potager, produis une partie de mon électricité. Je fais ma part à mon niveau. J’ai fait un jeu sur cette thématique. Je pense qu’il faut être dans l’action. Prendre des parts dans une coopérative solaire, cotiser à des ONG, bien voter… On a tous un rôle à jouer. J’ai plus de mal avec les discours du type : ça ne sert à rien tant que des supertankers polluent 1,000,000 de fois de plus que moi.

Défends-tu ces positions à travers les autres arts que tu pratiques ?

J’ai fait un spectacle il y a 20 ans « Patchwork » qui parlait du terrorisme vert avec des clowns à la sauce hip-hop. Cela parlait de la question du radicalisme et du danger de l’action violente face à l’immobilisme. J’ai également écrit un roman d’anticipation « Les Décompteurs » qui imagine la transformation positive de la société. Je m’étais rendu compte que la plupart des livres de SF portaient sur des futurs apocalyptiques alors j’ai essayé de dépeindre un futur désirable avec un mode d’emploi.

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« Penses-tu dans le monde du jeu que la thématique de la nature soit plus un joli prétexte que de véritables messages pour éveiller les consciences ?

Il y a une immersion quand on joue qui est plus forte que dans d’autres médias culturels car on est impliqué, on agit, on interagit. Je pense que ça permet de faire ressentir différemment ce type de questionnement écologique. Je suis bien conscient également qu’on reste sur un objet ludique et que le plaisir, le challenge doivent prédominer. Un équilibre entre les deux démarches doit se tenter. De plus en plus de jeux proposent une thématique en liens avec la nature. Au-delà de l’effet de mode, cela peut contribuer à éveiller les consciences.

L’impact environnemental des jeux est souvent mis en avant à cause des matériaux, du transport et aussi de la « surproduction » s’il en est. Comment conçois-tu les jeux du « Crapaud Céleste » vis-à-vis de ces problématiques ? Penses-tu que le monde de l’édition de jeux est proactive sur ces problématiques ?

Question très compliquée. Très compliquée. Pour « Totemix », j’ai essayé de faire au mieux. Production en Pologne, pas de plastique dans la boîte, bois certifiés etc. Pour un premier projet dans ce secteur avec un faible tirage, cela revient à se tirer une balle dans le pied. Très dur de trouver la juste mesure à partir du moment où on entre dans une logique de production. « Totemix » étant ma première expérience dans ce milieu industriel, j’ai dû réévaluer mes convictions et les confronter au réel. Car souvent la ligne de ce qu’il conviendrait de faire si on veut être vertueux est très ténue.
Produire en Europe à partir de pâte à papier chinoise issue de forêt européenne a un bilan carbone moins bon que de produire directement en Chine. Bien souvent, on s’aperçoit que quantité de produits ne sont quasiment plus réalisables en Europe faute de machines spécialisées. Comment vendre une boîte au double du prix du marché ? Comment concevoir un jeu avec des matériaux respectueux ? En tant qu’éditeur, ce sont des dilemmes permanents, sans réponses toutes faites.

Comment vois-tu l’avenir des jeux face à ces problématiques ?

Je pense que rien ne bougera si l’ensemble de la filière ne bouge pas. J’ai rencontré plein de professionnels heureux de travailler avec des éditeurs soucieux des questions environnementales mais pas enclins à rogner sur leurs propres marges pour participer à l’effort. Alors que si on veut produire en Europe ou en France, il y a forcément un énorme surcoût qu’un éditeur ne peut porter seul.
Il faut aussi que les joueurs soient mieux informés par les boutiques et prêts à payer plus pour des jeux moins remplis. Quand je vois toutes ces séances d’unboxing où l’on s’émerveille du poids de la boite par rapport au prix, je me dis que ce n’est pas gagné, que le retour en arrière ne sera pas facile.

N’hésitez pas à suivre François dans « Voyage Ludique avec François Berdeaux – Épisode 2 ». Bientôt en ligne sur la Yozone…


À lire sur la Yozone :
- Voyage Ludique avec François Berdeaux – Prologue
- Chronique de Totemix

Liens utiles :
- Le Facebook de François
- Le site de la maison d’édition Le Crapaud Céleste


Illustrations © D.R.


Michael Espinosa
Christelle Espinosa
20 février 2024



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