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Upgrade
Blake Crouch
Gallmeister, traduit de l’anglais (États-Unis), science-fiction, 444 pages, octobre 2023, 24,90€


« C’est une chose infiniment cruelle que de voir votre esprit se donner un but qu’il est structurellement incapable d’atteindre. »

Legan Ramsay est brillant. Il rêve d’égaler sa mère, généticienne de génie. Hélas, il lui manque quelque chose, il ne parviendra jamais à son niveau, elle qui a découvert la Faux, un système d’édition génétique qui relègue l’enzyme CRISPcas9 (qui valut le prix Nobel de chimie à Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna en 2020) au rang d’accessoire pour amateurs. Il l’assiste néanmoins dans ses expérimentations, ce qui fait de lui le complice involontaire d’une catastrophe unique. Sous l’effet de bactéries, des rizières dépérissent, la famine guette. Transformer des sauterelles pour en faire les vecteurs d’un virus offrant une capacité de résistance du riz aux maladies, voilà qui coûte beaucoup moins cher que de transformer directement les plants. Les expériences sous serre se révèlent probantes. Mais en grandeur nature les choses tournent mal, et la famine est pire que celle que l’on attendait. Que le mieux soit l’ennemi du bien, ou en d’autres termes que l’enfer soit pavé de bonnes intentions, on le sait depuis toujours. Agir ou s’abstenir, le dilemme n’est jamais loin. Bientôt, il reviendra de manière plus criante encore. En attendant la mère de Legan se suicide, et celui-ci s’engage dans un office de lutte contre les manipulations génétiques, désormais proscrites.

« Je détestais participer à ces interventions, mais je me rappelais constamment à moi-même que la peur était une composante essentielle de ma pénitence. »

Lutter contre les laboratoires clandestins, faire partie d’un groupe d’intervention, risquer sans cesse sa vie : une manière de racheter ses fautes. Mais, un jour, Ramsey est victime d’un piège bien plus diabolique qu’une simple machine infernale. Le voilà contaminé par un agent infectieux inconnu, mis au secret et en isolement. Mourant presque, puis renaissant. Découvrant alors, toujours en isolement, qu’il n’arrive pas à la guérison complète – la fameuse restitutio ad integrum des cliniciens – mais à quelque chose d’autre. Lui-même, mais en mieux. Une mémoire devenue parfaite. Des sens plus aiguisés. Des aptitudes physiques accrues. Aucune chance qu’on le relâche : le voilà devenu malgré lui un spécimen de laboratoire. Pourtant, quelqu’un qui comme lui a été augmenté, quelqu’un qu’il connaît, organise son évasion. Et tous deux comprennent qu’ils n’ont pu être « upgradés » que par une seule et même personne. Ce qui leur semble à tous deux impossible.

« C’est une chose de fabriquer de nouvelles formes de vie, guérir des maladies (…). Mais changer la façon dont les membres d’une espèce pleinement consciente pensent est sans doute l’expression ultime du pouvoir d’édition génétique. »

Une longue série de mystères, une succession d’étapes menées tambour battant dans un univers de faux semblants où il est difficile de savoir qui sont les ennemis et qui sont les alliés : entre chasseur et chassé, Ramsey démêle l’écheveau d’un complot aux conséquences planétaires.

Un complot, on s’en doute, dont la nature est avant tout génétique. D’où le travail de Blake Crouch pour doser justement science et action. À la différence de bien des auteurs qui se contentent de glisser ici et là un terme scientifique pour donner une fausse impression de hard-science, Blake Crouch a travaillé son sujet. Pas suffisamment pour faire illusion auprès d’un véritable scientifique – il se garde bien de détailler la technique de « forçage génétique » qui permettrait aux mutations induites de devenir héréditaires, ledit forçage se transmettant également de génération en génération, et si l’augmentation de nombreux gènes cités reste possible, il est peu probable qu’un tel kaléidoscope et feu d’artifice d’augmentations puisse, dans le grand jeu métabolique, se faire simultanément sans effets indésirables – mais assez pour rendre les grandes lignes crédibles, ou, du moins, dans l’emballement de l’action, pas trop invraisemblables. Car, de l’action, cet « Upgrade  » n’en manque pas. Ce n’est pas un hasard si Ramsay fait partie d’une équipe d’intervention et si sa sœur est passée par les forces spéciales. On s’en doute : s’il évite la très classique surenchère pyrotechnique, « Upgrade  », par sa structure tendue, fait plus d’un appel du pied au cinéma hollywoodien.

Le lecteur peut donc sans peine ici et là glisser sur les listes de gènes et de codons d’ADN pour arriver à l’essence de ce thriller dont nous parlions plus haut : le complot génétique. Car, en termes de narration, la dissémination brutale d’un vecteur de modification génétique n’est autre qu’un schéma classique du thriller : la bombe que l’on doit retrouver et désamorcer avant l’heure fatidique. Une bombe génétique qui permettrait d’ « upgrader » l’humanité tout entière. Au risque de laisser quelques millions de personnes sur le carreau. Pourtant, la facette la plus dangereuse de cette amélioration génétique ne réside peut-être pas dans ses effets collatéraux. Son but initial est lui-même discutable. En effet, un tel « Upgrade  » est confronté à ses propres limites. Le terme retenu par l’auteur et conservé pour la version française, qui relève avant tout du langage informatique, n’a pas été choisi par hasard. On n’a pas ici de surhomme au sens nietzschéen : aucune morale, aucune philosophie, aucune hauteur de vues dans l’histoire, mais une amélioration au sens superficiel, façon superhéros de comics : plus rapide, plus fort, plus affûté. L’intelligence paraît purement fonctionnelle, pragmatique, technique. Pour le reste, au niveau de la psychologie, au niveau de la morale, les individus demeurent exactement les mêmes. L’auteur aborde donc un problème majeur. Est-il intelligent d’upgrader l’intelligence ? Ne serait-ce pas au contraire augmenter les capacités de nuisance de l’espèce ? En augmentant les capacités à raisonner, ne risque-t-on pas de contribuer à développer les paralogismes – les raisonnements erronés – tout autant que la raison véritable ? N’est-ce pas simple folie que de tout baser sur une simple conviction personnelle ? Qui peut se targuer de savoir ce qui est bien pour les autres ? Avec astuce, Blake Crouch met en scène ce désaccord non seulement entre humains conventionnels, mais aussi entre personnes elles-mêmes upgradées.

On l’aura compris : si en définitive Blake Crouch fait plus dans le gunfight que dans la métaphysique, les questionnements essentiels sont bien là. Libre au lecteur de les mettre de côté pour y réfléchir une fois le volume terminé, car il risque surtout d’être happé par l’aspect techno-thriller dont les rebondissements incessants – certains convenus, d’autres moins attendus – poussent à tourner les pages sans trop s’arrêter. Moins dense que « Récursion », porté par une écriture purement fonctionnelle, avec nombre de passages où l’auteur va à la ligne après chaque phrase, cet « Upgrade  », destiné à une lecture facile et à un large public, se lit très vite. Le rythme toujours maintenu fait d’ « Upgrade  » un « page-turner » intelligent qui se lit sans pause, un peu comme l’on regarde un bon thriller hollywoodien.


Titre : Upgrade (Upgrade, 2022)
Auteur : Blake Crouch
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Jacques Mailhos
Couverture : Aurélie Bert
Éditeur : Gallmeister
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 444
Format (en cm) : 14 x 22,4
Dépôt légal : octobre 2023
ISBN : 9782351783191
Prix : 24,90 €


Blake Crouch sur la Yozone :

- « Récursion »

Les éditions Gallmeister sur la Yozone :

- La collection Néo noir



Hilaire Alrune
25 octobre 2023


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