Résumée ainsi, l’histoire relève clairement de la fantasy, mais Adrian Tchaikovsky est plus subtil et a choisi d’illustrer la troisième loi d’Arthur C. Clarke stipulant que toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie. Nous sommes tout à fait dans ce cas de figure, car Nyrgoth n’est autre que le dernier scientifique terrien encore sur la planète Sophos 4. Il s’agit d’un simple observateur qui, un jour, a outrepassé ses prérogatives et est intervenu dans les affaires des autochtones, estimant que la technologie datant de la très ancienne colonisation en était la cause. Les mauvaises langues diront qu’il est tombé sous le charme d’Astresse, la grand-mère de Lyn. Quand il se réveille de son animation suspendue lui permettant de franchir les siècles, il croit que c’est elle qui revient, avant de comprendre sa méprise. Il ne veut pas à nouveau contrevenir à la non-ingérence, mais Lyn sait se montrer persuasive et il se sent si seul, ne recevant plus aucune nouvelle de la Terre, qu’il choisit de suivre les deux femmes. Leur relation ne manque pas de saveur, car il n’a de cesse d’expliquer sa condition, de nier être un magicien, ses capacités relevant de la science, rien n’y fait, Lyn voit toujours en lui un sorcier. Un chapitre présente à merveille cette incommunicabilité, cette incompréhension.
D’un côté, la jeunesse, la fougue avec Lyn endossant son rôle de princesse et défenseuse des faibles, toujours prête à tirer son épée, et de l’autre, Nyrgoth l’Aîné qui a traversé les siècles, possède d’importantes capacités d’auto-guérison et pense en scientifique. Deux mondes s’affrontent : passion et raison, fantasy et science-fiction. Le mélange est vraiment savoureux et réside dans le fossé infranchissable les séparant et creusé aussi bien par les connaissances que le langage. Et quid du monstre ? Celui dont ils découvrent au fil de leur avancée les effets dévastateurs...
Lyn s’avère facile à appréhender, car elle est animée de sentiments humains immédiatement compréhensibles. Nyrgoth est plus complexe, il possède un implant régulant ses émotions et le rendant plus détaché des événements pour mieux analyser les situations, ce qui n’est pas sans lui jouer des tours. Parfois, il le déconnecte, lâchant alors la bride à ses émotions, à sa détresse d’être si seul, peut-être définitivement abandonné sur la planète. La présence de Lyn lui offre une bouffée de vie, un îlot d’espoir dans un océan de solitude, d’inutilité dans son rôle d’observateur. Peut-être a-t-il un rôle à jouer, un avenir ?
La relation tout en incompréhension, mais pleine de respect, entre Lyn et Nyrgoth, sert de moteur à ce récit très bien tourné jusqu’à sa conclusion qui mène au démon terrorisant la population locale. La science de l’Aîné saura-t-elle le vaincre ? Ou les pouvoirs du magicien devront-ils prendre le relais ? Cela dépend du point de vue. Oscillant entre science-fiction et fantasy, Adrian Tchaikovsky régale le lecteur. Il joue sur le langage et illustre à merveille cette troisième loi de Clarke qui donne tout son cachet à cette histoire vivante.
« Le dernier des Aînés », un UHL bien épais et particulièrement jouissif.
Titre : Le dernier des Aînés
Auteur : Adrian Tchaikovsky
Traduction de l’anglais : Henry-Luc Planchat
Couverture et conception graphique : Aurélien Police
Éditeur : Le Bélial’
Collection : Une Heure-Lumière
Numérotation dans la collection : 46
Directeur de collection : Olivier Girard
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 178
Format (en cm) : 12 x 18
Dépôt légal : août 2023
ISBN : 9782381630946
Prix : 11,90 €
Adrian Tchaikovsky sur la Yozone :
Sur la route d’Aldébaran
Dans la toile du temps
Dans les profondeurs du temps
Chiens de guerre
Derniers titres de la collection chroniqués :
30. « À dos de crocodile » de Greg Egan
31. « Toutes les saveurs » de Ken Liu
32. « Le livre écorné de ma vie » de Lucius Shepard
33. « Symposium Inc. » de Olivier Caruso
34. « Sur la route d’Aldébaran » de Adrian Tchaikovsky
35. « Simulacres martiens » de Eric Brown
36. « La Maison des Jeux, tome 1 : Le serpent » de Claire North
37. « Un an dans la « ville-rue » » de Paul Di Filippo
38. « Opexx » de Laurent Genefort
39. « La millième nuit » d’Alastair Reynolds
40. « La Maison des Jeux, tome 2 : Le voleur » de Claire North
41. « L’Héritage de Molly Southbourne » de Tade Thompson
42. « La Maison des Jeux, tome 3 : Le maître » de Claire North
43. « Connexions » de Michael F. Flynn
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