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Thecel
Léo Henry
Gallimard, Folio SF, n° 655, fantasy, 255 pages, mars 2020, 7,50€


« Moira songe au plafond de la nurserie, à cette carte gigantesque dont elle ne parvient à se rappeler aucun détail. Un dessin du monde, document inestimable dont il ne reste, dans son souvenir, qu’un tourbillon de couleurs. »

Tout commence par une carte, tout finira par une recomposition non seulement du topos – on notera la magnifique couverture d’Aurélien Police, qui en dit déjà long sur la thématique – mais aussi de bien plus que cela. C’est l’histoire de Moïra, fille de l’Empereur des Sicles, dont le destin pourrait-bien être, à la mort de celui-ci, de reprendre les rênes de l’Empire : son frère ainé, Aslander, qui n’aspire qu’à vivre caché, a disparu, s’est enfui, sans doute. Quand on veut marier de force Moïra, celle-ci s’enfuit à son tour, et part à la recherche de son frère.

« À certains égards, la folie froide du lieu rappelle à Moïra les ailes désertées du Palais de Thecel. Miryi en a la démesure et le chaos. Mais il y manque le mobilier et les miroirs, les rideaux aux fenêtres, il y manque le souvenir des présences passées, les fantômes. »

Quête initiatique : le cliché est lâché. Il y en aura d’autres, mais pas que, à travers l’aller-retour de Moïra, princesse vagabonde, vers les marges de l’Empire, à travers ses démêlés avec les deux autres branches du pouvoir, l’Oecumaîtrise et ses sages, le Temple et ses sœurs combattantes. Elle qui lisait autrefois un ouvrage intitulé « Mes voyages dans les mondes inverses » en apprendra beaucoup sur la labilité des êtres et de la géographie. Il est vrai que dans le palais sans fin de Thecel, dont la richesse et la vastitude, avec sa forêt intérieure et bien d’autres lieux, font penser au Gormenghast de Mervyn Peake, une géographe lui avait expliqué qu’ici comme ailleurs, tout avait un double fond.

« Tout le monde sait que le malheur me précède partout où je vais. Lorsque j’étais encore enfant, on m’a donné le nom du grésillement qui vient avant la chute d’un éclair. »

Lancée dans le vaste monde, elle découvrira les falaises et les mers, les bivouacs dans le froid et les combats, la divination avec les « faces pâles », les îlots, les dresseurs de renards et de renardeaux, une pie magique, le vol à dos de dragon, le « retournement » et bien d’autres surprises encore. Mais les quêtes de pouvoir sont aussi une forme de jeu de stratégie : tout tournera, en définitive, autour d’un jeu au sens propre du terme. Un jeu de plateau, qui peut-être plus encore que le pouvoir ou la sagacité des humains, confère la maîtrise du monde. Un jeu qui fait et défait, qui retourne, renverse et, recompose, à commencer par ce topos que l’on mentionnait plus haut, en scènes qui pourront évoquer, pour les amateurs de longs métrages, le « Dark City » d’Alex Proyas ou l’« Inception  » de Christopher Nolan.

« La cartographe insiste encore pour passer par les archives de l’Empire, des enfilades de pièces basses, sans portes, pleines d’étagères à casiers toutes semblables. Les boîtes numérotées contiennent des quantités inconcevables de paperasses, mais aussi des artefacts curieux provenant de toutes les contrées de Thecel : rongeurs empaillés, cristaux de roche, petits objets d’artisanat, et quelques représentations du monde schématiques, dont certaines très étranges, peintes sur des sphères de bois. »

Si on le compare aux ouvrages plus ambitieux publiés par l’auteur chez Dystopia, « Thecel  », tout comme « La Panse » et « Le Casse du continuum », eux aussi directement édités chez Folio, fait partie d’une série d’ouvrages moins littéraires, plus ludiques, et destinés à un plus large public. En ce sens, « Thecel  » aurait pu être également proposé dans une collection destinée à la jeunesse. Les lecteurs exigeants pourront lui reprocher des personnages ou des arrière-plans souvent trop rapidement esquissés pour convaincre, trop superficiels pour bâtir une trame solide. Mais ces défauts de cohérence, que viennent souligner ici et là certains détails comme la mention répétée de hangars et d’usines dans un univers avant tout médiéval, sont à l’évidence volontaires : le monde décrit est par essence labile, volatile, métamorphique. Tout se joue et se rejoue sans cesse, avec des pièces à chaque fois différentes.


Titre : Thecel
Auteur : Léo Henry
Couverture : Aurélien Police
Éditeur : Folio
Collection : Folio SF
Site Internet : page roman
Numéro :655
Pages : 288
Format (en cm) : 11x18
Dépôt légal :mars 2020
ISBN : 9782072849663
Prix : 7,50 €


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Hilaire Alrune
17 mars 2020


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