Après l’excellent et déjà très historique « Royaumes de vent et de colère », Jean-Laurent Del Socorro nous brosse un portrait de femme libre et déterminée, une femme entièrement dévouée à ses principes, au prix de sa vie de fille, de femme et de mère. Fillette solitaire, coupée des autres enfants du fait de son statut de princesse héritière du clan, elle n’a qu’une amie, son exact opposée, la douce et muette Jousse, qui deviendra sa confidente et son amante. Rejetée par son père aux yeux duquel elle ne trouvera grâce qu’une fois métamorphosée en guerrière, brouillant un peu plus dans l’esprit endeuillé d’Antedios l’image de son épouse adorée et de sa fille. Mais elle est déjà trop entière, trop rebelle pour se confondre avec sa génitrice au nom de déesse, elle ne comprend pas les atermoiements de ses aînés, elle maudit le refus de se soulever, de soutenir son presque frère Caratacos dont les troupes se font massacrer.
Elle doit donc apprendre, elle la guerrière impulsive. Apprendre la patience, la diplomatie, la politique. Le poids des mots et surtout des silences, comme le lui enseigne le druide. Accepter de se soumettre pour sauver des vies. Elle admet finalement que la colonisation romaine n’est pas sans avantages, et que les influences culturelles sont réciproques. Mais certaines choses ne passent pas, comme la divinisation d’un Empereur Claude bègue, donc faible, et la relégation des femmes à un rang inférieur. On impose à une autre reine bretonne, rebelle, dangereuse, son modèle depuis qu’elle est petite, un époux romain, et la guerrière farouche s’éteint, perd toute flamme. Jamais Boudicca ne lui pardonnera d’avoir trahi ses idéaux, son peuple et ses rêves de petite fille.
C’est une histoire de révolte, un refus de plier le genou une fois de trop, et qui n’est pas sans rappeler « Parleur ou les chroniques d’un rêve enclavé » d’Ayerdhal, transposition de la Commune. Au côté de son époux, Boudicca s’échappe pour aller frapper Rome dans une campagne d’escarmouches qui se termine dans le sang, sous l’écrasante supériorité numérique et stratégique des légions, et en l’absence de soutien des siens. La vie de Boudicca est une succession d’échecs, mais autant de preuves de résistance, de refus d’abandonner, de renoncer, qui construisent la légende de la reine guerrière, jusqu’au baroud final, qui lui prendra tout. Archétype d’un acharnement destructeur, Boudicca aura perdu par la guerre sa mère, l’amour de son père, celui de ses filles qui grandissent loin d’elle. Au nom de ses idéaux.
Elle ne s’accorde que de rares moments de faiblesse, souvent dans les bras de Jousse, le reste du temps entièrement investie de son rôle social et politique. Le ton du texte, à la première personne, est sec, froid, parfait reflet de la détermination de la jeune femme. Jean-Laurent Del Socorro se coule parfaitement dans une narration interne féminine, car son héroïne est une femme, à cent pour cent, incarnation pure et brute des qualités de sa déesse tutélaire, Andraste ou son équivalent Minerve, loin de la mollesse des hommes gouvernés par leurs appétits et leurs passions (ou leur absence). Le style n’est pas sans rappeler la plume de Justine Niogret, le poli et la rudesse sans concession de « Chien du Heaume », un destin plus tragique encore à la clé, puisque la reine entraine son peuple avec elle.
Roman historique oblige, c’est aussi un choc culturel, et c’est une perspective toujours agréable à lire que le point de vue des vaincus de l’Histoire. C’est observer le vainqueur d’un œil critique, balayer le manichéisme des manuels qui résument un conflit en deux lignes sans nuances. Derrière la fiction, on retrouve la civilisation avancée des peuples bretons, certes guerriers mais aussi fins artisans, face à un Empire romain colonisateur mais déjà déliquescent, certains officiers et administrateurs en son nom déjà pourri jusqu’à la moelle par l’exercice du pouvoir. Le roman alterne judicieusement les exemples, et on se prendrait presque à rêver à une résolution pacifique, on reprocherait presque à l’héroïne ce refus de voir certaines réalités en face, on suit volontiers les arguments de son époux partisan d’une paix au prix de quelques concessions et taxes. Mais lorsque la folie de quelques hommes, comme Néron, mais aussi le jusqu’au-boutisme de Caratacos conduisent à tant de morts, et pour quel résultat, on s’interroge à juste titre sur le droit à la rébellion. Vaste question, philosophique, à laquelle le roman répond très bien.
Signalons pour finir une pointe de légèreté avec un haut druide devin qui zozote, avant le conflit final. Mais le passage n’est pas gratuitement humoristique, l’auteur en profitant pour pointer la gestion obscure du pouvoir chez les représentants des dieux et les abus terrestres dont ils n’hésitent pas à faire usage.
Un très bon roman, confirmant le talent de son auteur.
Titre : Boudicca
Auteur : Jean-Laurent Del Socorro
Couverture : Yana Moskaluk
Éditeur : ActuSF
Collection : Bad Wolf
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 276
Format (en cm) : 20 x 14 x 2
Dépôt légal : février 2017
ISBN : 9782366298376
Prix : 18 €