Et, comme en apothéose, voici « Les Naufragés », premier d’une suite de quatre titres qui, tout à la fois, confirme le talent de Jodorowski et nous le fait découvrir où on ne l’attendait pas. C’est qu’“Ogregod”, nom de la série, avec les images de dieu anthropophage qu’il fait naître avant lecture, laisse à penser que Jodo, selon une de ses spécialités, nous entraîne dans quelque montage où dictature technologique et dérives ésotériques s’entrecroisent, pour mener à des gouffres mentaux semblables à ceux de l’hyper-espace. Une supposition que semble conforter sa collaboration avec Zoran Janjetov, avec qui il avait conçu les huit volumes des “Technopères”, édités aux Humanoïdes Associés.
Supposition parfaitement gratuite, puisque “Les Naufragés” réserve une surprise épatante : celle d’une trame très fluide, en fait, qui conte l’expédition spatiale que s’offrent huit jeunes héritiers des plus riches familles de la planète militaire Okkar, avec pour seuls accompagnateurs un robot que sa programmation prive de tout pouvoir réel et un jeune quatrope, un de ces humains à quatre jambes que la nomenklatura d’Okkar réduit au rôle d’esclaves et considère comme des sous-hommes.
Dans de telles conditions, on imagine aisément que les huit adolescents, livrés à leurs caprices, auront tôt fait de transformer ce qui s’annonçait comme une joyeuse excursion en un parfait désastre. Ce qui se concrétise sans tarder, leur vaisseau échouant sur une des planètes de la galaxie Ogregod - ennemie déclarée des impérialistes d’Okkar - après qu’il soit sorti des routes balisées de la navigation spatiale.
Voici donc nos jeunes gens réduits à l’état de naufragés sur une planète où les dangers menacent, contraints de mettre entre parenthèses dissensions et jalousies pour tenter de survivre, de s’organiser et de tirer leur épingle d’un jeu dangereux dont ils sont, précisément, devenus les enjeux... Puisque en arrière-plan, les pouvoirs respectifs d’Okkar et d’Ogregod font de la musculation, et que la récupération ou non des huit rejetons pourrait bien décider d’une conflagration interplanétaire...
Ce qui frappe, dans ce premier album, est le ton enjoué et la simplicité proche de l’épure avec laquelle Jodorowski expose les pires épouvantes sur le mode drôlatique. Projet parfaitement servi par la capacité qu’a Zoran Janjetov de relever différents défis : dont celui de faire de la caricature sur le mode réaliste, et celui de rendre criants de vérité anatomique ces quatropes dont la paternité revient pourtant à l’imaginaire survolté d’un jeune scénariste de quatre-vingt-et-un ans. Projet dont la réussite doit sans doute aussi à “Deux ans de vacances”, le texte de Jules Verne dont Jodorowski déclare s’inspirer librement et dont il restitue la manière toute simple et presque candide de redécouvrir le monde.
(T1) Les Naufragés Série : Ogregod
Scénario : Alexandro Jodorowsky
Dessin : Zoran Janjetov
Couleurs : Zoran Janjetov
Éditeur : Delcourt
Date de publication : 6 octobre 2010
Pagination : 56 pages couleurs
Format : 24 x 32 cm
Prix public : 13,95 €
ISBN : 978-2-7560-1941-3
Illustrations : © Delcourt et les auteurs