A vrai dire, les éditions Delcourt n’ont pas été les premières à flairer le filon, puisqu’en mai 2009 déjà, les éditions Dargaud exploitaient les charmes sulfureux de la guerre froide avec l’éblouissant “Laïka” de Nick Abadzis, dont la succession implacable de cases aux allures de chromos surannés, prenant prétexte du parcours de la célèbre chienne, recréait l’univers sans pitié de l’astronautique à la mode soviétique, totalement inféodée à la raison d’Etat et aux caprices du pouvoir.
Dans un format et un découpage plus classiques, Hautière et Cuvillier ne font rien d’autre, tout en faisant aussi bien. Les deux publications se complèteraient même, puisque cet album-ci décrit les tout débuts de la conquête spatiale, avant même que le monde médiatique encense cette Laïka dont la mort-spectacle lui vaudra le triste privilège de rester à la postérité comme le premier être vivant (du moins le premier connu...) à être propulsé dans l’espace intersidéral. En l’occurrence, il nous est donné de plonger dans le noeud d’intrigues qui a présidé à la mise au point du lanceur R7 : celui-là même qui enverra dans l’espace le premier satellite Spoutnik (dont la raison d’être aurait été de simuler une charge atomique) à partir du cosmodrome de Baïkonour (dont on apprend que, pour des raisons de haute sécurité, il avait été implanté à plusieurs centaines de kilomètres de la localité ainsi nommée !).
En arrière-plan de l’intrigue, l’ingénieur bien réel que fut Sergueï Pavlovitch Korolev (1907-1966), sans qui rien ne serait arrivé et dont on sait qu’il avait connu le goulag stalinien avant de se mettre au service des rêves de puissance d’un certain Krouchtchev. Comme déclics narratifs, l’assassinat d’un chercheur et l’enquête qu’il suscite font revivre, comme de l’intérieur, la réalité de cet univers mortifère dont les couleurs d’Emmanuel Pinchon restituent bien l’ambiance glauque et glacée. Tout en y incrustant des scènes d’action où Damien Cuvillier n’est pas toujours à l’aise, ce qui explique sans doute que la couverture de l’album ait été confiée à Manchu, ce déjà vieux routier de l’illustration S-F. L’ensemble réussit cependant à communiquer le sentiment oppressant d’un monde coupé du monde. D’un univers où, paradoxalement, l’ennemi semble partout, de sorte que chacun des artisans du grand-oeuvre soviétique vit dans la hantise de passer pour un espion à la solde des Etats-Unis !
Bref, saluons “1957 Spoutnik” comme le premier jalon d’une série prometteuse où Histoire et histoires se conjuguent avec une redoutable efficacité.
(T1)1957- Spoutnik Série : La Guerre secrète de l’espace
Scénario : Régis Hautière
Dessins : Damien Cuvillier
Couleurs : Emmanuel Pinchon
Editeur : Delcourt
Collection : Machination
Date de publication : 25 août 2010
Pagination : 61 pages couleurs
Format : 24 x 32 cm
Prix public : 14,95 €
ISBN : 978-2-7560-1806-5
© Delcourt et les auteurs