Lire China Miéville est toujours un peu compliqué. Si on trouve assez vite ses marques dans son univers post-fantasy déliquescent de Bas-Lag (« Perdido Street Station », « Le Concile de Fer », « Les Scarifiés »...) ses thrillers fantastiques (« Kraken », « The city and the city », « Celui qui dénombrait les hommes »...) ont parfois des ambiances déroutantes, telle cette novella de 200 pages, complètement surréaliste, il n’y a pas d’autre mot.
Car aller imaginer que dans les projets improbables de mettre fin à la guerre, un savant ait su capter l’énergie créatrice d’un groupe d’artistes et que cette énergie, libérée brutalement sous forme d’explosion engendre des créatures « vivantes » complètement folles, qui transforme la capitale occupée en champ de bataille artistique, c’est ajouter une pierre à l’œuvre des Surréalistes. L’auteur, sensible au mouvement, s’est beaucoup documenté, et si on regrette les trop rares reproductions dans l’ouvrage, il livre d’amples notes et références, pour retrouver les oeuvres existantes invoquées ou celles « créées ».
Si cette histoire, baroud de la dernière chance, pourrait s’avérer presque ordinaire au-delà de son décor fabuleux et à la richesse artistique de tous ses éléments secondaires, Miéville rajoute en post-face une couche de bizarre, avec son témoignage de la collecte de ce récit, rendez-vous mystérieux avec un vieillard à moitié fou dans un hôtel anonyme en 2012, une prise de notes frénétiques des heures durant avant que l’homme, peut-être le vrai Thibault, ne s’évapore. Il renverse ainsi notre regard critique, en devenant lui-même un premier rempart d’incrédulité à la propre histoire qu’il nous a contée. Mise en abyme classique de « justifier » une uchronie, qui déploie des accents de vérité autant que de ressorts fictionnels dont le lecteur d’imaginaire est friand. Exercice de méta-littérature, le résultat est d’une efficacité redoutable, et on peut refermer le livre avec de véritables interrogations sur notre propre crédulité, dans le sens de « capacité à croire ».
On a jamais vu l’Occupation comme cela, avec ce grain de folie fantastique de mêler nazis, démons, et œuvres d’art biscornues, impossibles. Le conflit se teinte de couleurs inédites, les barricades, les pavés et les maisons bombardées deviennent un tableau à la Jérôme Bosch version XXe. L’intrigue, reposant sur ce duo bancal, avec une Sam très discrète sur ses objectifs face à un Thibault encore naïf et pétri d’idéaux, s’achève en feu d’artifice de série B avec la fermeture de la bouche infernale et une surenchère dans la plus pure tradition des histoire mêlant nazis et occultisme. Après des pages et des pages qui auraient pu sembler à un catalogue d’expo, Miéville tient la promesse de son titre et met fin à cette étrangeté en un finale proprement jouissif.
Auteur incontournable, China Miéville fait encore une fois montre de son talent fabuleux à nous emporter au-delà de l’étrange, à nous faire trembler aux côtés de ses personnages, humains et faillibles, dans des mondes où le réel n’a plus de sens. La traduction de Nathalie Mège est à saluer, car elle n’a pas dû être une partie de plaisir, même si depuis « Perdido... » elle a l’habitude du bonhomme.
Titre : Les Derniers jours du nouveau-Paris (the last days of new Paris, 2016)
Auteur : China Miéville
Traduction de l’anglais (G-B) : Nathalie Mège
Couverture : Olivier Fontvieille
Éditeur : Au Diable Vauvert
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 254
Format (en cm) :
Dépôt légal : septembre 2018
ISBN : 9791030702309
Prix : 20 €