Dans le berceau du temps

Denoël, Lunes d’Encre, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), science-fiction, 474 pages, avril 2025, 24€

Dans le berceau du temps

Adrian Tchaikovsky

dimanche 27 avril 2025, par

Après « Dans la toile du temps » et « Dans les Profondeurs du Temps », la suite des aventures des humains et des portidés.

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S’il n’est pas besoin d’avoir lu les deux premiers tomes pour aborder « Dans le berceau du temps », c’est parce qu’une brève chronologie en tête de volume en fait le résumé. La Terre mourant à petit feu, des vaisseaux sont partis terraformer de lointaines planètes. Des générations plus tard, des vaisseaux abritant des milliers d’humains en stase prennent à leur tour leur essor depuis une Terre exsangue en espérant atteindre ces nouveaux environnements propices à leur implantation. « Dans la toile du temps » décrivait un projet singulier et assez improbable : la pré-colonisation d’une planète étrangère par l’implantation de singes infectés par le nanovirus de Rus-Califi, destiné à les rendre plus intelligents afin qu’ils puissent préparer le terrain pour les humains. Une expédition qui avait échoué pour les singes, mais qui, de manière inattendue, avait permis l’émergence d’une société d’araignées – les portidés – dotées de pensée. « Dans les Profondeurs du Temps » se révélait plus ambitieux et plus complexe : sur une autre planète, les poulpes avaient pareillement tiré bénéfice de ce virus. Humains, portidés et poulpes, qui peu à peu avaient appris à cohabiter, se trouvaient confrontés à une entité colonisatrice, contaminante – les nodiens – avec laquelle ils avaient fini par pactiser. Ce sont donc désormais quatre types d’intelligences qui essaimaient tant bien que mal à travers l’espace.

« Leur union indéfectible – sélectionnant un représentant dans les deux sortes d’esprits dérangés – faisait de chaque couple un nouvel esprit composite supérieur à ses éléments.  »

Si « Dans le berceau du temps » marche sur les traces de ses prédécesseurs, il s’en éloigne également. Une brève première partie est consacrée à la planète Rourke, sur laquelle, malgré des efforts acharnés, la colonisation a fini par échouer, les implantations humaines périclitant au fil des générations dans un écosystème incapable d’assurer sa survie à long terme. Les humains y ont disparu les uns après les autres, jusqu’au dernier, tandis que sous la pression de la sélection naturelle – et non plus sous l’effet du virus de Rus-Califi – les corbeaux y ont développé une ahurissante forme d’intelligence. Arrivant sur Imir à bord du vaisseau Skipper, humains, portidés, poulpes et nodiens découvrent ces corbeaux et en emmènent un couple à leur bord.

Ce sont donc cinq types d’intelligence qui découvriront un autre monde ayant fait l’objet d’une tentative de terraformation, la planète Imir. Dont la situation évoque le fiasco de la planète Rourke : tout y va de mal en pis, l’écosystème construit au fil des générations n’est pas viable, il se dégrade, privant peu à peu les humains de ressources indispensables. Le lecteur y suit les évènements à travers les yeux de Liff, une enfant qui semble également hantée par la présence impossible de son grand-père mort. Qui s’enfonce dans les bois à la recherche de la sorcière. Qui aperçoit des oiseaux alors qu’il n’y en a jamais eu sur Imir. Qui voit des hommes-corbeaux, et qui semble, de manière impossible, vivre sur deux trames temporelles distinctes, une où elle fait partie de la première ou seconde génération des humains nés sur Imir, et une où elle est née deux siècles plus tard ; une où elle a encore ses deux parents, une autre où elle a été recueillie par un de ses oncles.

En orbite, à bord du Skipper, il se passe également des choses incompréhensibles. Du moins pour le lecteur, qui ne parvient pas à comprendre par quelle série de paralogismes les voyageurs de l’espace ne donnent aucun signe de vie, restent dissimulés sur une orbite invisible, ne viennent pas au secours de la colonie moribonde. Ne pas leur imposer le choc d’autres formes d’intelligences ? Sans rien faire pour les aider, les voyageurs vont s’infiltrer dans la colonie pour l’étudier. On a l’impression qu’il s’agit ici de créer artificiellement une situation faisant référence au Cycle de la Culture de Iain M. Banks. Mais le lecteur, au terme d’un récit venant en rupture avec les deux premiers tomes, finira par avoir une ébauche d’explication.

En rupture, tout d’abord, pour des raisons de topographie. Parce que si l’on fait exception de la mince première partie consacrée à la planète Rourke, il n’est plus question ici de l’immensité de l’espace. La quasi-totalité du récit se limite à Terre-Neuve, un gros bourg d’Imir, et à quelques arpents de la forêt avoisinante. Malgré ce que laisse augurer l’entame du roman, on n’est donc pas dans un véritable space-opera, ni même dans un planet-opera. Et le lecteur finira par comprendre que l’essentiel de l’action se déroule dans un espace plus réduit encore que celui d’une petite ville.

En rupture, également, parce que ce n’est pas seulement la taille du théâtre qui change ici, mais également sa nature. Sans vouloir trop en révéler, l’auteur emmène le lecteur dans un labyrinthe d’illusions et de pièges du réel à la Philip K. Dick, ce qui pourra occasionner une troisième sensation de rupture, celle ne plus être dans l’ample mouvement d’une histoire du futur, mais dans la réduction à un simple épisode, à une aventure atypique développée dans ses marges. Aventure reposant, qui plus est, sur un deus ex machina, puisque l’on n’en saura jamais beaucoup quant à l’artefact à la base de l’intrigue, dont la localisation et la fonction restent assez peu vraisemblables. À l’inverse, on trouvera une certaine forme de continuité sur les autres thématiques – identité, conscience, intelligence – développées dans les tomes précédents.

« Elle avait toujours cru que l’intelligence constituait le plus précieux le joyau de la galaxie et que l’on pouvait reconnaître son éclat de manière indubitable lorsqu’on le rencontrait. (…) Cependant, elle se trouvait en face de ces deux oiseaux capables d’accomplir des tours très compliqués mais, quand elle plongeait dans les regards de Gethli et de Gothi, elle n’y voyait que son propre reflet. »

Il y a ainsi dans ce « Berceau du temps » de très beaux concepts, comme celui de l’évolution des oiseaux avec deux types d’intelligences complémentaires que l’on pourrait qualifier pour l’une d’opérative et pour l’autre de panoramique, permettant une adaptation optimale des individus grâce à un fonctionnement systématique en binôme : une étrangeté bien rendue par le caractère singulier des dialogues entre oiseaux eux-mêmes, mais aussi entre oiseaux et autres intelligences. Ces corbeaux – qui argumentent eux-mêmes pour arriver à la conclusion qu’ils ne pensent pas – représentent le point fort et la grande originalité d’un roman qui développe une réflexion sur l’identité, l’intelligence et la conscience, réelle ou ressentie – que ce soit par des entités informatiques ou par les complexes machineries moléculaires que sont les cerveaux organiques. Au carrefour entre la science, la philosophie, et la fable, « Dans le berceau du temps » s’écarte des odyssée stellaires pour s’intéresser à notre nature profonde et à notre perception du réel.


Titre : Dans le berceau du temps (Children of Memory, 2022)
Auteur : Adrian Tchaikovsky
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Henry-Luc Planchat
Couverture : Alain Brion
Éditeur : Denoël
Collection : Lunes d’encre
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 474
Format (en cm) : 14 x 20,4
Dépôt légal : avril 2025
ISBN : 9782207159965
Prix : 24€



Adrian Tchaikovsky sur la Yozone :

- « Dans la Toile du Temps »
- « Dans les Profondeurs du Temps »
- « Chiens de guerre »
- « Sur la route d’Aldébaran »
- « Le Dernier des aînés »




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