Moyennant finance et confort, Vérona leur propose de l’escorter jusqu’à sa demeure. Après le passage plutôt rock’n roll, d’une enfilade de cahutes miséreuses et hostiles, la troupe stoppe pour la nuit. Jeremiah se fait soigner (et même un peu plus) pour avoir reçu une pierre au visage, par la belle, tandis que Kurdy va hurler avec les loups… Le lendemain, ils arrivent dans une luxueuse villa d’architecte avec piscine où vit toute la famille. Mais sous son vernis de marchand d’art tranquille, Perez de la Véga, père, cache des pratiques bien moins artistiques.
Trente et unième album pour les deux roadies, épris de liberté que l’on surprend à se complaire dans le luxe et la volupté. Nos héros seraient-ils fatigués ? Hermann nous propose un scénario un peu plus relevé que les derniers, même si l’histoire reste convenue. Son scénario tient la route, faisant la part belle au paraître et au superficiel, en écorchant au passage la notion de « famille » ainsi que l’art moderne.
D’abord observateurs au début de l’album, notre duo va peu à peu se retrouver intégré aux problèmes familiaux jusqu’à en devenir les derniers acteurs. Mais bon, sortir avec la fille du patron entraîne obligatoirement quelques devoirs, surtout quand celle-ci « débauche » les deux amis en même temps. Dans une ambiance familiale délétère, où personne n’aime personne, la jalousie, l’envie et le cynisme sont les seuls sujets des échanges. Bien sûr, ce type de fonctionnement ne durera pas et se terminera en drame. Hermann n’est pas très optimiste sur le comportement de l’Homme, même après un cataclysme où celui-ci pourrait reconstruire sur de nouvelles bases. Mais l’individu est ainsi fait qu’il retombe dans ses travers sans tenir compte de l’histoire. Je vous renvoie à l’entretien d’Hermann sur la famille (principalement à travers la série Jeremiah), sur son site.
Hermann introduit son approche de l’art moderne, plus précisément une satyre de l’art conceptuel. Celui-ci est défini non par les propriétés esthétiques des objets ou des œuvres, mais seulement par le concept ou l’idée de l’art. Ici c’est le concept de « dripping » (de l’anglais « to drip » : goutter), cela consiste à faire des superpositions de plusieurs couleurs d’un même spectre, sur des surfaces originales, mais aussi sur une toile. Jackson Pollock en fut la figure principale (1912-1956). L’auteur égratigne au passage le marché de l’art, marchands véreux et amateurs naïfs.
Toujours avec la même envie, Hermann dessine comme il sait si bien le faire. Son talent de dessinateur se superpose à celui de conteur, l’un ne va pas sans l’autre. On peut lui reprocher que ses femmes ne sont pas sexy, il assume. Elles sont représentées comme dans la vie normale, ce n’est pas tant l’enveloppe que ce qu’il met à l’intérieur qui intéresse Hermann. A la manière d’Egon Schiele (1890-1918) avec ses corps osseux voire décharnés, Hermann préfère les corps marqués par la vie. Il est vrai que Véronica sur la couverture, pour moi, manque un peu de charme.
Pour résumé, un Jeremiah qui tient la route, mais qui n’apportera aucune nouveautés aux fans de la première heure. Les deux « poor lonesome cowboys » ont encore une longue route jusqu’à chez eux.
(T31) Le Panier de crabes Série : Jeremiah
Scénario, dessin et couleurs : Hermann
Éditeur : Dupuis
Collection : Grand Public
Dépôt légal : 27 janvier 2012
Pagination : 48 pages couleurs
Format : 22,2 X 29,5 cm
ISBN : 9782800153766
Prix public : 12€
A lire sur la Yozone :
Jeremiah (T24) Le Dernier Diamant
Jeremiah (T27) Elsie et la rue
Jeremiah (T29) Le Petit Chat est mort
Illustrations © Hermann et éditions Dupuis (2012)