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YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Amelith Deslandes : déviant dans l’âme
Une interview exclusive Yozone
Février 2010

Né en 1977 à Dijon, Amelith Deslandes habite aujourd’hui encore en Côte d’Or. Durant quelques années, il a vécu au Québec, période durant laquelle il a fondé avec son épouse, Hérélys, Pandemonium le fanzine des arts déviants.
Les premiers textes d’Amelith Deslandes ne sont pas passés inaperçus, il a su d’emblée marquer l’imagination des lecteurs. Chacune de ses nouvelles est une porte ouverte sur la noirceur, celle qui effraie, dérange, plonge dans l’horreur. Il joue de nos peurs et les alimente, ne juge pas mais expose, ce qui est bien pire.
De nombreux fanzines (Borderline, Le Calepin Jaune…) et revues (Solaris, Emblèmes, Codex Atlanticus) lui ont ouvert leurs pages, reconnaissant là son talent.
En 2006, Nuit d’Avril a publié son premier recueil, « Les Loges Funèbres ».

Cette année, « Chair et Tendre », son second recueil, paraît chez les éditions La Madolière. L’occasion pour la Yozone de l’interroger pour, qui sait, peut-être lever une partie du mystère entourant cet auteur qui se plaît à trancher dans nos travers, à disséquer nos habitudes, transformant ainsi notre quotidien en terrain d’expérimentations cauchemardesques.




À lire sur la Yozone, la chronique de « Chair et Tendre »


Yozone : Vous êtes un auteur assez secret et finalement on ne sait pas grand-chose de vous. Pourriez-vous nous en dire plus sur qui est Amelith Deslandes ?

Amelith Deslandes : Amelith Deslandes n’est qu’un alias, il n’a pas, à proprement parler, d’existence propre.
On partage la même boîte crânienne, et je lui passe les commandes lorsqu’il s’agit d’écrire, voila tout.
Pour tout avouer, rien ne serait jamais arrivé, et l’anecdote est authentique, sans le concours d’un extralucide, croisé au hasard d’une foire, qui me confia avoir des flashs très forts concernant ma carrière artistique. N’ayant à mon actif, à l’époque, que quelques infâmes barbouillages, je me suis dit, bah, après tout pourquoi pas, ce défi là en vaut bien un autre. Ayant une oreille d’artilleur, j’ai rapidement biffé tout ce qui touchait à la musique, souffrant de daltonisme et d’une tremblote pré-parkinsonienne, on pouvait également oublier la peinture et la photo, je me suis donc tourné vers la littérature, par défaut, et c’est le moment qu’a choisi Amelith pour sortir de sa boîte.

Q. : À la lecture de « Chair et Tendre », je n’ai pu m’empêcher de penser à Serge Brussolo, celui de ses romans chez Fleuve Noir Anticipation et chez Présence du Futur. Daniel Walther et ses recueils de nouvelles chez Néo (notamment « Requiem pour Demain ») me sont aussi venus à l’esprit. Que pensez-vous de ces comparaisons ?

A. D. : J’en pense qu’elles sont flatteuses, j’apprécie particulièrement ces deux auteurs et si j’ai réussi à les évoquer à travers mes écrits, ne serait-ce que fugacement, alors j‘en suis heureux.
« Vue en coupe d’une ville malade » est sans doute mon recueil de nouvelles préféré, il m’a beaucoup influencé et je le garde en ligne de mire, comme une sorte de mètre-étalon. Serge Brussolo n’avait pas son pareil pour entretenir l’ambigüité, c’est ce qui faisait tout la force de romans tels que « Ambulance cannibale non identifiée » ou « Enfer vertical en approche rapide » pour ne citer que ceux-là, on arrive à la fin du bouquin et… rien, pas de solution, pas d’évidence, rien n’est tranché et le final se joue derrière le rideau, j’aime assez ce genre de jeu…
Quant à Daniel Walther, je l’avais découvert à la lecture d’un recueil qui s’intitulait « Les mandibules et les dents » si ma mémoire ne me fait pas défaut, une révélation là encore, tout y était, la folie, l’indicible, le cauchemardesque, je me souviens avoir enchainé avec « Les quatre saisons de la nuit », et ce texte, “Les voyageurs”, absolument implacable, le genre de récit après la lecture duquel on se dit qu’il serait préférable de tout lâcher parce que quoi qu’on fasse on ne pourra jamais faire ne serait-ce qu’aussi bien.

Q. : D’ailleurs, quelles sont vos influences, vos lectures ?

A. D. : Je suis très éclectique, un rien m’imprègne, peu importe le médium utilisé, ainsi, deux textes de « Chair et Tendre » m’ont été directement inspirés par les tableaux-objets de Mimi Parent, une artiste incroyable, un autre fait allusion au « Locataire » de Polanski, et, en écho, à l’excellent bouquin de Topor, « Le locataire chimérique », un autre encore au film « Cube », et ainsi de suite.
Quant à mes lectures, il serait sans doute oiseux de toutes les évoquer ici, je me bornerai à citer quelques ouvrages marquants, c’est arbitraire, et un peu frustrant aussi, mais, classiquement, si je devais me retrouver coincé sur une ile déserte j’emporterais « Le cadran solaire » de Shirley Jackson, « Sérénissime assassinat » et « Chaque jour est un arbre qui tombe » de Gabrielle Wittkop, « Orient néant express » et « Métaux Lourds » de Fred Katyn, « Monstres invisibles », « A l’estomac » et « Choke » de Chuck Palahniuk, « Hellraiser » de Clive Barker… Pfff, il y en a tellement, le plus simple serait sans doute encore d’emporter ma bibliothèque avec moi !

Q. : Dans certains textes au sommaire, on peut remarquer une évolution de votre style. Par moments, vous usez de phrases très courtes, avec de fréquents passages à la ligne. De même, vous semblez ralentir à dessein le rythme de lecture avec l’emploi fréquent de virgules. Est-ce une évolution naturelle de votre style ou utilisez-vous ce procédé pour doucement faire monter l’angoisse ?

A. D. : Pour être tout à fait honnête, il s’agit surtout d’un vilain tic d’écriture dont j’ai le plus grand mal à me défaire.

Q. : Pour un recueil de la sorte, comment procédez-vous ? Cherchez-vous une certaine unité entre les textes ? Ou soumettez-vous un ensemble de textes à l’éditeur qui fera alors un choix ?

A. D. : J’ai sélectionné les textes moi-même, contrairement à mon premier recueil où le choix des nouvelles avait été celui de l’éditeur. Pour le reste, je suis très attentif à l’unité entre les textes, leur résonance, la façon dont ils se répondent. Il n’est d’ailleurs pas rare que je les lie ensemble par de menus détails, des références minuscules qui font écho, une manière de resserrer un peu les planches de mon petit théâtre d’épouvante, j’imagine...

Q. : Entre « Les Loges Funèbres » et « Chair et Tendre », trois ans et demi se sont écoulés. L’écriture des douze nouvelles s’étale-t-elle sur cette période ou sur une durée beaucoup plus brève ? Et quand vous écrivez une nouvelle, avez-vous seulement en tête l’idée de recueil ?

A. D. : La durée est difficile à évaluer, vu que certains textes datent d’avant la parution de mon premier recueil, maintenant, il est clair que le temps passé à démarcher les éditeurs dépasse de loin celui employé à la rédaction de « Chair et Tendre ».
Sinon je n’ai jamais en tête l’idée du recueil, seulement son titre, je sais, c’est bizarre…

Q. : Avez-vous des préférences parmi les textes au sommaire ? Pour ma part, “La maison-tranchoir” hantera mon esprit, avec ses guillotines suspendues au plafond et bougeant au moindre souffle d’air.

A. D. : Merci, c’est sans doute mon texte le plus “brussolien”.
Pour ma part je retiendrais volontiers “Chroniques des égarés” parce que le bougre m’a quand même donné du fil à retordre avant de prendre forme, et “Une dernière nuit à Venise” parce que mon éditrice ne l’aime pas et que j’ai l’esprit de contradiction ! *rires*

Q. : Votre inspiration provient aussi bien de la science-fiction (“Maudit soit le jour”) que du fantastique (“Une dernière nuit à Venise”), mais l’horreur finit toujours par surgir. Alors vous définiriez-vous comme auteur dans le genre de l’horreur à part entière ?

A. D. : Je ne pense jamais un texte en termes de genre, je ne me préoccupe pas de savoir s’il relève plus du fantastique ou de la science-fiction, maintenant il est vrai que quel que soit le sujet abordé j’ai souvent une fâcheuse tendance à déraper dans l’horrifique à la moindre opportunité.
Donc j’imagine que la réponse est oui.

Q. : Ne trouvez-vous pas que les éditeurs français publient plus volontiers les auteurs anglo-saxons d’horreur que les auteurs français, souvent obligés de se tourner vers de petites structures ?

A. D. : Je ne me suis jamais vraiment posé la question.
J’imagine qu’aux yeux des gros éditeurs, un auteur anglo-saxon d’horreur apparaîtra souvent plus “bankable”, pour dire une grossièreté, qu’un auteur français.
Plus connu, moins risqué, le calcul est vite fait.

Q. : La nouvelle semble vous convenir à merveille, mais l’envie d’écrire un roman ne vous titille-t-elle pas ?

A. D. : J’y pense, parfois, mais je n’ai encore jamais dépassé le stade de la novella.
C’est plus une question de goût que d’aptitude, je crois, en tant que lecteur je lis très peu de romans.
Du reste, je ne suis pas persuadé qu’un bon nouvelliste fasse forcément un bon romancier.
Un garçon comme Bentley Little, par exemple, de mon point de vue ses romans sont souvent poussifs mais ses textes courts sont tout bonnement ahurissants, avis aux amateurs d’ailleurs, à ma connaissance seuls quelques textes ont été traduits, donc si les maisons d’édition qui se promènent avec des coffres-forts dans les poches nous lisent, n’hésitez pas, c’est du tout bon !

Q. : Où aimez-vous travailler ?

A. D. : À mon bureau, entouré de murailles de livres, de disques, de médocs et de canettes vides.
Je sais, je suis bordélique.

Q. : Avez-vous une méthode de travail particulière ?

A. D. : Je griffonne des idées sur un bloc-notes et je laisse mûrir, parfois très longtemps.
Après, je fais, ou non, des recherches, ça dépend de ce que le texte exige, je collecte, trie les informations récoltées et ensuite seulement je me mets au travail.

Q. : Avez-vous un objet fétiche (stylo, ordinateur...) ?

A. D. : Non.

Q. : Avez-vous un rituel avant de commencer un livre ? Pendant l’écriture ? Après l’avoir terminé ?

A. D. : Avant de commencer, deux ou trois bols de sang de vierge au petit-déjeuner, pour me donner du courage, sinon rien de bien extravagant…
Je plaisante, bien sûr, je n’ai pas vraiment de rituel mais j’écris beaucoup en musique, avec une nette prédilection pour les galettes de Rose et Noire, Punish Yourself, Nehl Aëlin, Land, Flint Glass, Aythis, Mismerizer, bon, c’est comme pour les livres, je ne peux pas tous les citer mais il y en a un paquet…

Q. : Auriez-vous quelques conseils à donner à un aspirant-écrivain ?

A. D. : Un seul : change de vocation ! *rires*

Quel est votre futur éditorial ?

A. D. : Dans l’idéal, un troisième recueil de nouvelles constitué d’une dizaine de textes et d’une novella, toujours chez La Madolière.
Et dans un futur plus immédiat j’aimerais beaucoup écrire un pastiche de Jean Lorrain.

Yozone : Merci beaucoup, Amelith.

Amelith Deslandes : Mais tout le plaisir était pour moi.

Propos recueillis en ce début d’année 2010 par :



François Schnebelen
16 février 2010


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Amelith Deslandes



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« Chair et Tendre », éditions la Madolière (2010)



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« Les Loges Funèbres », Nuit d’Avril (2006)



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‟Borderline traffic”, Borderline 00 (février 2005)



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‟Maudit soit le jour”, Borderline 4 (mai 2006)



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‟Les crochets et la soie”, Codex Atlanticus 18 (2009)



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‟Des rouages, défigurent”, Éclats de Rêves 11 (avril 2007)



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‟Les désaccords incendiaires”, Éclats de Rêves 14 (décembre 2007)



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‟L’hymne à la mort”, Le Boudoir des Gorgones 12 (2005)



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‟Peau vive et masque mort”, Twice 25 (2004)



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