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Sibylle de la Révolution (La)
Nicolas Bouchard
Belfond, roman (France), polar historique et fantastique, 309 pages, octobre 2009, 19€

Alors que la Terreur révolutionnaire noie la France sous un fleuve de sang frais, Gabriel-Jérôme Sénart, secrétaire rédacteur du Comité de sûreté générale, est discrètement missionné par son supérieur afin d’enquêter sur un meurtre des plus horrible et mystérieux.
Et quand Marc Guillaume Alexis Vadier, député de l’Ariège, président et doyen du Comité de sûreté générale, également surnommé le Grand Inquisiteur, donne un ordre, on obéit sans discuter.
Même quand il vous conseille fermement d’aller rencontrer Marie-Adélaïde Lenormand, une très séduisante voyante et cartomancienne, emprisonnée à la prison de la Force.

Habilement conseillé par la belle captive, temporairement libérée pour l’occasion, le citoyen Sénart va remonter la piste du meurtrier et intégrer une secte qui vénère le démon Abaddon. Celui qui ne serait rien moins que le centième membre de leur confrérie et aussi le suspect numéro un !



Découvert et révélé par Gilles Dumay qui publia ses deux premiers romans de science fiction dans la collection Encrage (« Terminus Formalhaut » en 1997 et « Colonies Parallèles » en 1999), Nicolas Bouchard écrit alternativement de la fantasy (« L’Empire de la Poussière » publié chez Mnémos), des romans policiers et historiques chez Flammarion, des polars purs et durs (« La Ville Noire » qui reçut le prix des Incorruptibles en 2001), des romans jeunesse chez Mango et revient régulièrement à la SF (Fleuve Noir, Mnémos).
Petit-fils de l’écrivain Marc Michon, il est aujourd’hui juriste et écrivain, habite dans le Limousin et avoue une passion réelle pour la littérature de science fiction depuis son adolescence.
On lui reconnaît également un art certain de mener une enquête policière, de la rendre crédible sur le papier pour le lecteur lambda, quelle que soit l’époque choisie ou le genre littéraire par lequel l’intrigue est abordée. En effet, dès « Terminus Formalhaut », son premier roman situé dans un univers purement SF, la mécanique du récit était portée par la résolution d’un meurtre mystérieux dans un vaisseau spatial.

Pour cette « Sibylle de la Révolution », Nicolas Bouchard centre son récit sur deux personnages ayant réellement existé. Tout d’abord, il se saisit de Marie-Anne-Adélaïde Lenormand, jeune femme très tôt orpheline, élevée dans un couvent et qui dispose (dans son roman) d’un véritable don de voyance assez étonnant -qu’elle prétendit avoir réellement dans sa vraie vie, ce qui n’a jamais été démontré, évidemment. En effet, il est à noter que si la vraie carrière de Marie-Adélaïde Lenormand est plus à mettre au crédit d’un véritable talent de la communication que de dons surnaturels avérés, le Gabriel-Jérôme Sénart du roman nous est présenté sous une forme qui correspond globalement à celle du personnage historique (et nous en parlerons plus complètement ensuite).
Bref, Gabriel-Jérôme Sénart est un jeune et zélé secrétaire rédacteur du Comité de sûreté générale, chargé par son supérieur d’enquêter sur un meurtre assez abominable (un franc-maçon retrouvé totalement démembré à son domicile parisien).

Ce couple improbable va donc naviguer en eaux troubles, partant à la rencontre de nombreux illuminés qui, dans Paris ou ses proches faubourgs, traquent le mystère ésotérique, les grands secrets ou l’immortalité, par passion, par arrivisme ou désœuvrement.
Forcé de persévérer dans son enquête, Sénart va même être officiellement poursuivi par le pouvoir révolutionnaire. Une manœuvre classique qui lui permettra d’infiltrer la secte des meurtriers, une loge noire qui prophétisent peu ou prou l’avènement de l’AntéChrist et vénèrent le féroce démon Abaddon -qui serait aussi le centième membre de leur organisation.
Évidemment, l’élucidation du mystère est au bout de ce travail d’infiltration.

Habilement construit sur une structure majoritairement composée de dialogues vifs et faciles à dévorer, le récit est judicieusement entrecoupé de petits chapitres en forme de retours sur le passé, centrés sur quelques-uns des principaux personnages du roman (sans doute les chapitres les plus littérairement aboutis et aussi les plus touchants).

Si l’on pense forcément à E.A. Poe dès le premier meurtre, les fantômes de Stevenson pour son “Mister Hyde” et de nombreux romanciers ou feuilletonnistes du dix-neuvième siècle et du début du vingtième siècle sont convoqués.
On soupçonne aussi et logiquement Nicolas Bouchard d’avoir lu « Révélations puisées dans les cartons des Comités de Salut Public et de sûreté générale ou Mémoires de Sénart, Agent du gouvernement révolutionnaire » dont la seconde édition de 1824 est facilement consultable sur le Net.
Car si Marie-Anne-Adélaïde Lenormand (la fameuse Sibylle de la Révolution du roman) a existé et vendit bien ses talents auprès de quelques dirigeants révolutionnaires, puis de l’impératrice Joséphine et même à de nombreuses têtes couronnées vers les années 1820, Sénart n’est pas l’inconnu que l’on croit.
Témoin d’une époque sanglante et révolutionnaire, il fut une de ces petites mains, convaincues d’œuvrer pour le bien du peuple et de la Révolution, une oreille attentive à tous les secrets politiques de son époque. En conséquence de quoi, son destin fut scellé par ceux qui craignaient ses éventuelles révélations dès 1796. Le jeune homme avait à peine trente-six ans...
Faits tout aussi intéressants, il est plutôt joyeux de constater que Nicolas Bouchard s’inspire même directement d’une affaire judiciaire narrée par le citoyen Sénart dans ses mémoires pour construire son propre récit policier. Certes, l’écrivain recrée un imaginaire beaucoup plus chatoyant et sanglant, mais l’on constatera qu’il n’a pas totalement trahi le fait juridique raconté par Sénart dans ses « Mémoires » en intégrant les personnages de Dom Gerle et de Catherine Théot (appelé la Théos et surnommée la Mère de Dieu par ses disciples) dans son entreprise imaginaire.
Au-delà du simple récit distrayant, il y a donc du grain à moudre pour qui s’intéresse à cette sanglante et tumultueuse période.

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Nicolas Bouchad et « La Sibylle de la Révolution » (photo © S. Pons-Yozone

On pourra faire quelques petits reproches stylistiques à Nicolas Bouchard. Principalement sur les nombreux épithètes qui ponctuent régulièrement ses phrases. Un peu trop classiques ou convenus (les cris sont forcément stridents, etc.) afin de ne point désarçonner le lecteur contemporain, ces adjectifs (généralement) eussent pu davantage valoriser la prose de l’auteur en bénéficiant d’un travail de recherche en originalité supplémentaire.

Mais n’en faisons pas trop sur le sujet tant l’époque nous abreuve d’écrivains aux styles inutilement alambiqués et illisibles. Pour une fois qu’un romancier français se concentre sur son sujet et nous offre une prose structurée au service d’une histoire intéressante, il convient de conseiller sans réserve ce roman historique, parfaitement distrayant, sérieusement documenté et qui ne vous fera pas regretter une seule seconde vos dix-neuf euros d’investissement dans cette « Sibylle de la Révolution ».

Bonne nouvelle pour les amateurs, une seconde aventure de Marie-Adélaïde Lenormand est en projet (cf. l’interview vidéo Yozone de l’auteur).

SUR LA YOZONE
- Interview Yozone (vidéo et textes) de Nicolas Bouchard (déc. 2009).


Titre : La Sibylle de la Révolution (Une Aventure de Marie-Adélaïde Lenormand)
Auteur : Nicolas Bouchard
Couverture : Sargologo (© Evariste le magicien de Alexandre Fragonard)
Éditeur : Belfond, 12, avenue d’Italie, 75013 Paris
Catégorie : Roman
Presse : Anny Poughon (Belfond)
Site Internet : fiche roman (site éditeur)
Version numériques : 19€ ou 15,20€
Pages : 370
Dépôt légal : octobre 2009
EAN : 9 782714 444318
ISBN : 978-2-7144-4431-8
Prix : 19 €



Stéphane Pons
11 janvier 2010


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Marie-Anne-Adélaïde Lenormand, gravure (© Wikipédia).



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Extrait du recueil des « Mémoire » de Gabriel-Jérôme Sénart (seconde édition de 1824).



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Nicolas Bouchard (© photo S. Pons-Yozone).



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