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Route (La)
Cormac McCarthy
Éditions de l’Olivier, Littérature étrangère & Seuil, Points, roman (traduit de l’anglais, États-Unis), anticipation post-apocalyptique, 256 & 251 pages, janvier 2008 & mai 2009, 21€ & 6,80€

Dans une civilisation post-apocalyptique, un père et son fils suivent une route. Toutes leurs possessions sont soit sur leur dos, soit dans un caddie qu’ils s’acharnent à pousser.

Toujours sur leurs gardes, ils cherchent à atteindre le sud plus accueillant dans un monde ravagé, où toute rencontre est potentiellement dangereuse, car survivre représente un véritable combat.



Pour ce roman, Cormac McCarthy a obtenu le Prix Pulitzer 2007. Sa sortie début 2008 chez les Éditions de l’Olivier n’est pas passée inaperçue, divisant souvent son lectorat.
Bientôt adapté à l’écran, « La Route » appartient à ces livres qu’il est difficile d’oublier. Un an et demi après l’avoir lu, bien des traces subsistent encore dans mon esprit…

Deux choses étonnent au premier abord : le style, et ne rien savoir des personnages ni du pourquoi ils en sont arrivés là.

Dès le début, les phrases à rallonges, juste ponctuées par des “et” surprennent. Pas de virgules, synonymes d’arrêts pour reprendre notre souffle, comme le père et son fils condamnés à avancer. Le moyen de nous immerger dans leur quotidien ? Le procédé peut déranger, car le style s’avère vraiment étonnant. Toutefois, petit à petit, on s’y fait.
À plusieurs reprises, des arbres tortus nous interpellent. Tortus ? Un mélange entre tordu et torturé, imagine-t-on.
À n’en pas douter, Cormac McCarthy a du style.

Et puis « La Route » se déroule après une guerre, que l’on suppose atomique, qui a tout ravagé. Les survivants ne connaissent plus qu’un monde de ruines et de cendres sous un soleil masqué. Chaque rencontre peut être la dernière, la mort peut rôder à chaque tournant. Comment en sommes-nous arrivés là ? L’auteur ne s’étend pas dessus, à nous d’imaginer l’histoire. D’ailleurs le père et son jeune enfant sont logés à la même enseigne. Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? On sait juste qu’ils vont vers le sud. Au fond d’eux subsiste le fragile espoir de sortir de cette horreur quotidienne.
Chaque jour se révèle un défi pour voir le prochain. Qu’il soit plus fort ou plus faible, chaque humain est une menace. Dans le premier cas, il vous détroussera de vos possessions ou pire, vous tuera sans sourciller. Et si jamais vous prenez pitié d’un pauvre hère, l’aider vous privera de biens dont vous aurez le plus grand besoin dans le futur. Le dénuement entraîne un autre mode de pensée, plus calculateur. Un adulte n’aura pas le même point de vue qu’un enfant.

Ce duo suit le ruban d’asphalte en poussant un caddie. Ce symbole de la consommation par excellence n’abrite plus que de maigres possessions. Le lecteur est bien en peine de dire où ils se trouvent. Cormac McCarthy conserve toujours le mystère, une certaine distance vis-à-vis de sa création. Il nous pousse, malgré nous, à combler les vides, à nous forger notre propre vision de l’histoire.

Un enfant a besoin de protection, alors forcément leur périple nous touche. Comment réagirions-nous dans une telle situation ? Ignorerions-nous aussi le passé pour oublier ce qu’était la vie d’avant ? Qui sait…

Sous des dehors minimalistes, « La Route » soulève bien des questions. Cormac McCarthy n’y répond pas, il se contente de décrire la vie du père et de son fils. Même si l’artifice de trouver une cachette avec de la nourriture consommable est assez grossier, on éprouve du soulagement pour eux et, plus égoïstement, de sortir un temps de la misère ambiante. Qui mériterait une telle existence ? En cherchant bien, notre société actuelle engendre aussi des cas de la sorte, et que l’on évite souvent de regarder afin d’ignorer la triste réalité.

« La Route » ne laisse pas insensible, aussi bien par son sujet poignant que par son traitement peu courant. Cormac McCarthy nous oblige à réagir. Que l’on aime ou pas, il signe là une œuvre très forte. Le contexte est éprouvant et ne nous fera que davantage apprécier notre situation actuelle.

Une fois lu, impossible de l’oublier. « La Route » nous hantera, des traces subsisteront toujours dans nos mémoires. L’image de ce père et de ce fils derrière leur caddie, subsistant de presque rien, aura toujours sa place dans notre cerveau.

On pourra longtemps discourir sur les mérites de ce roman, le qualifier de chef-d’œuvre ou non, on ne pourra jamais lui retirer sa force d’évocation.
Alors « La Route », un chef-d’œuvre ? À vous de vous faire votre opinion, ce roman le mérite.

« La Route » existe aussi en version poche chez Points.

François Schnebelen

UNE AUTRE CRITIQUE

Difficile lecture que « La Route ». McCarthy nous jette dans son texte sans préambule, sans point de repère initial. La suite n’y changera rien. Un homme et son jeune fils sont sur la route, après un cataclysme qui a ravagé le pays, un grand incendie qui a décimé la population. La cendre recouvre tout, sature l’air. Eux survivent, avancent, à la recherche de nourriture, évitant soigneusement les (mauvaises) rencontres. Ils avancent vers la mer, comme un idéal, même si le père se doute que la côte n’est que le mirage d’un ailleurs meilleur.

Le roman, primé par le Pulitzer, est minimaliste au possible. Deux personnages, des échanges oraux réduits au minimum (et même expurgés de toute ponctuation de dialogue), un décor qui semble se dérouler sans début ni fin pour un voyage durant lequel l’auteur se plaît à brouiller la chronologie (seuls quelques brefs indices -le nombre de balles dans le revolver, l’état des chaussures, la propreté des couvertures- laissent deviner certains flashs-back), de brèves rencontres sources de peur et de tension. Le tout semble se répéter inlassablement, dans une lutte perpétuelle pour la survie, et l’absence de marqueurs temporels autre que le jour et la nuit renforce cette sensation de boucle sans fin.
Le style, la syntaxe lourde de répétitions et quasiment enfantine, est marqué par l’absence de tout pronom réfléchi. car dans cette cendre uniforme qui le ronge, il y a bien une chose que le père ne fait plus que très rarement : réfléchir. Il vit presque à l’instinct, chaque geste à la fois. Seules la nuit et les étoiles lui laissent parfois un peu d’espace pour presque philosopher (sur 3-4 paragraphes assez surprenants), ressasser le passé, craindre l’avenir.

Durant leur voyage, l’homme et son fils traversent un pays dévasté, tombant parfois sur des lieux qui n’ont pas encore été pillé (l’occasion de renouveler les provisions et de dormir quelques jours au sec), mais aussi sur d’autres survivants, au quotidien similaire mais parfois affreux. McCarthy brandit les spectres des hordes à la « Mad Max », de captifs dans des caves attendant d’être dévorés, de familles ayant sacrifié leur humanité au nom de la survie.

Mais le pire spectre qui plane sur ce récit d’anticipation, c’est la mort. Certes omniprésente, elle est renforcée par les liens qui unissent le père et son fils. On découvrira le sort de la mère (dont je ne vous dit rien, mais bon...), et la hantise du père d’avoir à tuer son fils plutôt qu’à le savoir entre les mains d’autres survivants. Mais même la monotonie de la répétition ne réduit pas la dimension dramatique des passages où le père confie son arme à l’enfant, et lui demande de se tuer s’il ne revient pas de l’inspection d’une maison... Un père qui, malgré l’amour qu’il porte à son fils, ne parvient pas à envisager son avenir après sa mort, inéluctable en regard des quintes de toux sanglantes qui le secouent dès les premières pages.

Les images et les thèmes sont saupoudrés par l’auteur, jamais développés. À nous de remplir les blancs, sur le pourquoi et le comment du cataclysme (guerre ? incendie ?), de nous émouvoir et de nous indigner à chaque rencontre (aider quelqu’un ou garder égoïstement pour soi la nourriture ? Faire confiance ou non ?), de réfléchir sur cette vie qui n’en est pas une, et sur notre société (saurions-nous mettre tous nos biens dans un caddie, symbole de la consommation ? Saurions-nous au contraire tout abandonner pour ne garder que l’essentiel à la survie ?). Si le texte est minimal, l’implication du lecteur, ses réactions à chaque scène, sa réflexion, sont maximales.
« La Route » est un roman fort sur la fin d’un monde, où il faut chercher la note d’espoir jusqu’au bout. Son adaptation au cinéma, avec Viggo Mortensen dans le rôle du père, sera sans doute poignante, mais toute comme la lecture du roman, à déconseiller si vous avez un coup de blues actuellement, car vous n’y trouverez pas l’espoir d’un futur meilleur.

Ainsi que le souligne mon collègue, le livre est sorti sous de nombreuses éditions (prix Pulitzer oblige) et déjà en poche. Je l’ai lu dans la version disponible à ma bibliothèque, soit “A Vue d’Oeil”, en gros caractères. Je vous épargnerai donc mes pinailleries habituelles, faute de pouvoir y reporter les pages. Mais tout de même, signalons que la sécheresse des dialogues n’aide guère à reconnaître les locuteurs, et que parfois, la sensation qu’un retour à la ligne manque entre deux répliques remet en question une discussion et renverse les rôles. L’absence de précision sur l’âge de l’enfant nuit à notre évaluation de sa maturité, qui donc nous surprend les premières fois.

Nicolas Soffray

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Titre : La Route (The Road, 2006)
Auteur : Cormac McCarthy
Traduction de l’anglais (États-Unis) : François Hirsch

- Première édition France
Éditeur : Éditions de l’Olivier
Collection : Littérature étrangère
Pages : 256
Format (en cm) : 14,5 x 22
Dépôt légal : janvier 2008
ISBN : 978-2879295916
Prix : 21 €

- Édition - parution en « poche »
Éditeur : Seuil
Collection : Points
Site Internet : fiche recueil (site éditeur)
Pages : 251
Format (cm) : 10,8 x 17,8 (poche)
Dépôt légal : 7 mai 2009
ISBN : 978-2757811610
Prix : 6,80 €



François Schnebelen
Nicolas Soffray
2 décembre 2009


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L’édition moyen format (Éditions de l’Olivier, 2008).



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L’édition « Points » Seuil (2009).



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Le film (sortie en salle le 2 décembre 2009).



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Nouvelle couverture (Points, Seuil, 2009)



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