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Hideo Nakata remonte sur le Ring
Le Maître de l’épouvante nippone s’autoremake à Hollywood


Hideo qui ?...

Presque inconnu en France, Hideo Nakata a pourtant su s’imposer, en deux films, comme un réalisateur incontournable du cinéma fantastique.
Pour preuve, les remakes systématiques de ses derniers films. On pourrait même penser plagiat. Pour ceux qui ont vu Le Cercle, les séquences d’ouverture ne sont que du copié/ collé, sortes de vues en miroir des premières scènes de Ring. On se dit alors que ce plagiat est une forme de dédicace, un hommage direct au cinéaste japonais.
Mais alors, qu’est-ce qui a poussé Hideo Nakata à faire le remake de son propre film, Ring 2. Mais surtout, qu’est-ce qui pousse les majors américaines à prendre des droits sur un film de Nakata dès qu’il rencontre du succès ?
Serait-il un grand cinéaste ?

... Nakata

Né au Japon en 1961, Hideo Nakata a été touche à tout avant de suivre des séminaires en cinéma. Il devient ensuite assistant sur des tournages de “ roman porno ”, qui sont en fait des films érotiques tournés avec très peu d’argent. Vient ensuite la télévision où il fait ses premiers pas comme réalisateur. En 1996 sort son premier film, Ghost Actress (Joyurei), dans lequel on retrouve un certain nombre des thèmes qui seront repris dans la série des Ring (1997, 1998) et dans Dark Water (2002).

En l’espace de quelques films, Hideo Nakata est devenu une figure incontournable du cinéma contemporain. Cinéaste prolifique, il s’est spécialisé dans le fantastique alors qu’il n’était pas particulièrement attiré par le genre. En effet, c’est en travaillant sur une série télévisée qu’il s’intéresse aux films d’horreur. Puis il est séduit par l’écrivain Kôji Suzuki, considéré alors comme le Stephen King japonais. Avec le scénariste Hiroshi Takahashi, ils adaptent un de ses romans, Ring, qui était déjà un véritable phénomène de société. Lorsque le film sort sur les écrans, l’engouement est à son comble. La suite officielle de Ring sort peu de temps après (Razen), mais Nakata et Takahashi sont insatisfaits. Ils tournent Ring 2. Le film n’atteint pourtant pas la qualité du premier. Chaos, une comédie romantique, suit peu de temps après.
Puis, en 2002, Dark Water déferle sur les écrans. Le film est ovationné et révèle Nakata au public ainsi qu’aux critiques. Dark Water pétrit de peur les spectateurs enfoncés dans leurs sièges et une nouvelle fois, on s’interroge sur ce qui fait la recette de la réussite du cinéaste.

Un petit rappel des synopsis des films en question s’impose

Ring

Un soir, seules à la maison, deux lycéennes se font peur en se racontant une mauvaise blague. Une étrange rumeur circule à propos d’une cassette vidéo qui, une fois visionnée, déclenche une terrible malédiction : une mort annoncée sept jours plus tard. Après le décès de sa cousine Tomoko Oishi, Reiko Asakawa, une jeune journaliste, enquête, mais, très vite le maléfice la rattrape. Son ex mari l’aide dans sa quête. Le chemin les mène jusqu’à l’étrange Sadako.

Ring 2

L’histoire commence 10 jours après la fin de Ring. Reiko et son fils Yoichi ont disparu. L’autopsie du corps de Sadako révèle qu’elle est restée près de trente ans vivante, murée dans son puits. Ni la découverte de son cadavre, ni la destruction de la cassette vidéo maudite sur laquelle son image apparaissait ne semblent en mesure de stopper sa soif de vengeance. Désormais, le petit Yoichi, ayant survécu à la vision de la vidéo maléfique, est le seul à pouvoir lutter contre Sadako. Doté de pouvoirs psychiques, il est depuis tombé dans un mutisme radical. Pour remédier à cela, une mathématicienne, élève du père de Yoichi, va tenter de chasser ses démons.

Dark Water

Yoshimi Matsubara vient de divorcer et élève seule, dans des conditions difficiles, Ikuko, sa fille âgée de six ans. Pour améliorer leur quotidien, elle décide d’emménager dans un appartement plus grand. Mais, une fois sur place, les lieux se révèlent insalubres. Des bruits étranges retentissent à l’étage supérieur. Du plafond commence à tomber de l’eau, infernal goutte à goutte qui, lentement, envahit le domicile. De petites bulles d’eau qui éclatent comme autant de bombes destinées à faire voler en éclats la vie fragile de Yoshimi.
Elle ne trouve pas de travail, son mari essaie de récupérer la garde de l’enfant, le concierge n’entreprend pas de réparations dans l’immeuble... Peu à peu, l’horreur s’installe. Et, à mesure que l’existence de Yoshimi se dégrade, ses pires cauchemars prennent forme.

Au tout début était...

Ring, un roman, premier volet d’une trilogie (Razen et Fool).
En adaptant le roman au cinéma, Nakata a donné à la légende le poids de la vérité : elle existe désormais par les images. Si à l’origine le personnage principal était un homme, Nakata et le scénariste ont eu la judicieuse idée de choisir une femme. Un choix qui renforce le film puisque dans la société japonaise, la femme n’y tient pas un rôle dominant. L’héroïne se retrouve dans une situation qui la fragilise... elle est totalement déstabilisée. Divorcée, elle tente d’élever seule son petit garçon, subit l’arrogance et le machisme de ses collègues journalistes, sans oublier les nuisances d’un ’ex-mari misogyne. Seule contre tous, elle ne peut compter que sur elle-même pour s’en sortir. De plus, le choix du personnage principal féminin correspond à un principe inhérent au genre. Jamie Lee Curtis dans Halloween, Neve Cambell dans Scream pour ne citer qu’elles. Ici, pas de glamour, l’héroïne ne court pas en petite culotte. Mais la figure de la femme victime est fédératrice. Elle permet l’identification à un large public. Qui plus est, le Japon connaît un engouement pour les mangas d’horreur qui sont exclusivement adressés aux adolescentes, le kowei manga. Mélange de romantisme et de policier, ces histoires mettent en scène des situations dramatiques qui basculent vers l’horreur. Mais ici, pas d’histoire d’amour. Les époux sont séparés, ce qui permet à la thématique du fantastique d’être exclusivement développée.

Tradition & modernité

Ce qui fait l’originalité de Nakata tient dans le mélange de tradition et de modernité.
Connus sous le nom de “yurei eiga” ou “bake-monoeiga”, les films de fantômes étaient très courant dans les années 50 à 60. Tirés d’histoires populaires du théâtre Kabuki ou du Nô, ces contes fantastiques chinois mettent en scène des revenants connus au Japon sous le nom de “Kwaidan”. Le fantôme est une figure récurrente. Il s’agit d’une femme qui peut-être défigurée, elle a de longs cheveux noirs. Elle porte une robe blanche et avance les paumes en dedans (le dessus de la main étant symbole du Yin, énergie négative).

Hérités de la tradition du film d’horreur japonais, le fantôme en habit blanc et le puits sont des principes qui participent au fantastique. Sans oublier la chevelure noire qui recouvre le visage. Le personnage de Sadako est recouvert par ses cheveux, son regard est occulté. Elle n’a pas d’identité, sauf lors de la scène finale de Ring où on découvre toute la puissance maléfique de son regard.

Dark Water est tiré d’une nouvelle de Suzuki, L’eau flottante. Les thèmes de l’enfance traumatisée par l’abandon, de l’eau, symbole de mort et de folie, sont renforcés par les figures du puits (le container) et du revenant. _ Dark Water est intemporel, s’ancre tout de même dans une dynamique passéiste. Nakata ne transgresse pas les codes du cinéma fantastique et donne une œuvre épurée.

Dans les deux Ring, la cassette est l’élément central. C’est par elle que la peur et la mort se diffusent. Elle est le danger, l’image virus. La cassette et son visionnage permettent aussi au cinéaste de mettre un film dans un film. Cette mise en abyme conforte la théorie de l’entrelacement, très présente dans le film. Chaque acte a des conséquences qui se répercutent sur un autre événement. Belle façon détournée de dire que chacun est responsable de ses actes.
Mais les images de la vidéo apportent aussi un élément dramatique : d’où proviennent-elles ? Que disent-elles ? Pour garantir le côté étrange de la vidéo, le cinéaste a utilisé le rétro-mouvement : les acteurs effectuaient des mouvements en sens inverse. Le sens sur la pellicule était ensuite inversé, ce qui donne cette impression étrange. Mais ces images seraient-elles une comparaison à notre société moderne, avide d’images toujours plus chocs, toujours plus effrayantes ?

Où poser la caméra ?

La mise en scène de Nakata atteint son apogée dans Dark Water. Les bases de son cinéma sont claires dans Ring mais atteignent ensuite un réel niveau de perfection.

Suggérer plutôt que montrer.

Nakata puise son art dans l’érotisme.
Est pornographique tout ce qui est montré sans restriction, sans cache, sans pudeur. Un film violent peut être, comme un film X, considéré comme étant pornographique. Est érotique tout ce qui est suggéré, car la suggestion amène au fantasme. Ce qui n’est pas montré est remplacé par l’imaginaire, parfois bien plus créateur que la réalité. Le fantastique joue beaucoup sur la suggestion. Pendant la majeure partie de Ring, le visage de Sadako n’est jamais dévoilé, comme si le montrer était interdit, dangereux.
Le rythme lent des films de Nakata participe aussi à la suggestion. Les pistes qui mènent à la vérité sont détournées, erronées, obligeant le spectateur à prendre des chemins de traverse qui vont encore plus le perdre, alors qu’il tente de trouver une raison. La vérité n’est pas absolue, n’est pas fiable, elle n’est que suggérée, ce qui met le spectateur dans une situation inconfortable.

Quand tout est question d’ambiance

Nakata sait faire monter la tension. Avec lui pas de caméra qui court dans tous les sens (Le Projet Blair Witch), pas de course-poursuite en forêt (Massacre à la tronçonneuse) ni d’héroïne qui se cache bêtement à l’étage (Scream). Loin de la tradition tapageuse des films d’horreur avec du sang qui gicle partout, Nakata préfère emprunter la tranquillité des Shyamalan ou Amenabar avec Les Autres.
Il prend son temps, joue sur le hors-champ et découvre le pouvoir des plans séquences. L’attente devient insupportable, le suspense est à son comble.
Nakata sait jouer sur la montée de l’angoisse, notamment dans Dark Water. Le cinéaste a compris que pour capter l’attention du spectateur, il ne suffisait pas de lui en mettre plein les yeux.
Et question ambiance, rien n’égale Dark Water. D’ailleurs, ce film, si vous ne l’avez pas encore vu, courrez le louer avant de voir le remake qui sortira dans quelques mois. Rarement un film provoque autant l’anxiété. Et pour cela, Nakata a su jouer avec les décors. Des couloirs interminables aux portes des appartements qui recèlent de terribles secrets, plus jamais vous ne regarderez votre salle de bain de la même manière ! Et, si par malheur vous avez un container sur le toit, assurez vous bien qu’il soit vide !
En plus d’être un constat désabusé sur la société japonaise, Dark Water est aussi un film sur la folie. Avec son style dépouillé, il est un chef d’œuvre.

Mais qu’est-ce qui pousse au remake ?

D’un œil occidental, Ring et Dark Water comportent des thèmes qui nous sont un peu étrangers. C’est peut-être ce qui nous attire et nous fascine. Cette différence de culture, enrichissante, peut être vécue comme une barrière pour un certain public. D’où la nécessité d’adaptation et donc d’appropriation. Le seul point positif est la curiosité. Si un spectateur aime l’adaptation, il fera peut-être la démarche de voir le film original pour découvrir le cinéaste.
Il arrive parfois que des cinéastes fassent une nouvelle version d’un de leurs films, comme Hitchcock avec L’homme qui en savait trop (1934 et 1956) ou Leo McCarey avec Elle et lui (1938 et 1957). On espère que Nakata aura les pleins pouvoirs sur cet auto remake, qu’il saura, tout en gardant l’esprit du fantastique, rendre l’histoire intéressante et plus cohérente, qu’il réussira là où il a précédemment échoué.
Verdict dans quelques mois.

Clap final

Ring est un pur film fantastique qui exalte les origines du genre tout en s’inspirant de la réalité contemporaine.
Ring 2 n’atteint pas les qualités du premier opus. Suite fade avec quelques défauts dont l’absence de charisme absolument désolant de l’actrice principale et le manque de cohérence de l’histoire. Il faut là aussi espérer que l’auto remake sera plus réussi. Quant à Dark Water, que dire à part que c’est un chef d’œuvre et que l’adaptation risque de s’alourdir d’effets dont l’original a su se passer.

Le Cercle 2, Hideo Nakata, avec Baker Simon, Burch Jesse, Cole Gary, Dorfman David, Haffner Amy, Merriman Ryan, Spacek Sissy, Stables Kelly, Vancamp Emily, WATTS Naomi. Scénaristes : Kruger Ehren, SUZUKI Kôji
Sortie prévue le 30 mars 2005.
Dark Water, de Walter Salles, avec Connelly Jennifer, Duvall Shelley,
Gade Ariel, Haney-Jardine Perla, Manheim Camryn, Postlethwaite Pete, Reilly John, Roth Tim, Scott Dougray. Scénaristes : Ichise Taka, NAKATA Hideo, SUZUKI Kôji, Yglesias Rafael. Compositeur : Badalamenti Angelo
Sortie prévue pour août 2005.

Extrait de la filmographie D’Hideo Nakata
Le Cercle - The ring 2 (The Ring 2) (2003) de Hideo Nakata avec Naomi Watts, Sissy Spacek (remake de Ring2)
Dark Water (2002) de Hideo Nakata avec Hitomi Kuroki, Rio Kanno
Garasu no nou (1999) de Hideo Nakata. Documentaire
Chaos (Kaosu) (1999) de Hideo Nakata avec Masato Hagiwara, Miki Nakatani
Ring 2 (Ringu 2) (1998) de Hideo Nakata avec Daisuke Ban, Kyôko Fukada
Ring (Ringu) (1997) de Hideo Nakata avec Nanako Matsushima, Miki Nakatani
Ghost Actress (Joyurei) (1996) de Hideo Nakata avec Yurei Yanagi, Yasuyo Shirashima

Ring (1997). 1h 38mn. Scénariste Hiroshi Takahashi. Compositeur Kenji Kawai. Directeur de la photographie Junichiro Hayashi. Monteur Nobuyuki Takahashi.
Avec Nanako Matsushima (Reiko Asakawa), Miki Nakatani (Mai Takano), Hiroyuki Sanada (Ryuji Takayama), Yuko Takeuchi (Tomoko Oishi), Hitomi Sato (Masami Kurahashi).
Ring 2 (1998). 1h 35mn. Scénariste Hiroshi Takahashi. D’après l’oeuvre de Kôji Suzuki. Compositeur Kenji Kawai. Directeur de la photographie Hideo Yamamoto. Monteur Nobuyuki Takahashi
Avec Daisuke Ban (Heihachiro Ikuma), Kyoko Fukada (Kanae Sawaguchi), Nanako Matsushima (Reiko Asakawa), Hitomi Sato (Masami Kurahashi), Miki Nakatani (Mai Takano), Hiroyuki Sanada (Ryuji Takayama).
Dark Water (2002) 1h 37mn. Scénaristes : Yoshihiro Nakamura, Ken-Ichi Suzuki D’après l’oeuvre de Kôji Suzuki. Compositeur Kenji Kawai. Directeur de la photographie Junichiro Hayashi.
Avec Hitomi Kuroki (Yoshimi Matsubara), Rio Kanno (Ikuko Matsubara à 5 ans, Mirei Oguchi (Mitsuko Kawai), Asami Mizukawa (Ikuko Matsubara à 16 ans)


Céline Bouillaud
21 mars 2005



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