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Exoplanète
Martial Caroff
Terre de Brume, Littératures, roman (France), science-fiction, 217 pages, janvier 2009, 18€

Quel rapport entre l’apparition d’une nouvelle étoile en 2030, une gravure de l’« Utopie » de Thomas More, des astronomes, un archéologue, un libraire, la légende du roi Arthur et le périple d’un roi mage ?

Pour certains, le lien ne saurait être qu’une intelligence extra-terrestre.



L’histoire se passe en 2030. Après une ouverture mettant en scène un archéologue, qui a tout d’une scène d’introduction cinématographique, le premier chapitre, décrivant une conférence de presse à l’Observatoire de Meudon, pose d’emblée le ton : plutôt que verser trop ouvertement dans la hard-science, l’ambiance est celle d’une anticipation scientifique à l’ancienne, sans surcharge, accessible à tout lecteur.

Deux thèmes scientifiques d’importance y sont pourtant abordés : les extraordinaires fossiles des schistes de Burgess, en Colombie Britannique, qui à leur découverte firent dessiner de nouvelles branches sur l’arbre de l’évolution (et au sujet desquels on ne saurait trop recommander le passionnant essai de Stephen Jay Gould, « La Vie est belle : les surprises de l’évolution », Seuil, collection Science ouverte 1991, réédition collection Points Sciences 1998), et le domaine des hypertéléscopes imaginés par Labeyrie (les amateurs pourront trouver sur cette thématique un bel article d’Antoine Labeyrie lui-même, directeur du Laboratoire d’Interférométrie Stellaire et Exo-panétaire et titulaire de la chaire de physique observationnelle au Collège de France “Les hypertélescopes d’un futur proche” dans « Les Dossiers Pour la Science » n°53, octobre 2006).

Le développement du roman met en scène la même équipe d’astronomes, un libraire spécialisé dans les livres rares, un esthète et idéaliste espagnol, érudit lui aussi, un médiéviste breton, le voyage de Balthazar, la disposition des pyramides au bord du Nil, l’antique Méroé, une gravure d’Ambrosius Holbein pour l’ « Utopie » de Thomas More, les « Prophetie Merlini » intégrées au XIIe siècle par Geoffroy de Monmouth dans son « Historia Regum Brittanniae », la supernova décrite dans les textes anciens en l’année 1006, et d’autres sources ou éléments qui au fil des chapitres s’articuleront avec une précision toute horlogère –disons, astronomique– pour aboutir à la découverte d’une intelligence extra-terrestre, située à quelques trois cent quatre-vingt-neuf années lumières de notre monde.

Trois cent quatre-vingt-neuf années lumières : une distance difficile à concevoir pour l’esprit humain, mais aussi un obstacle irrémédiable à toute communication. Pourtant, cette intelligence qui, grâce à la mise au point d’hypertéléscopes que nous n’avons pas encore su concevoir, a pu détecter sur la Terre des signes d’intelligence, est également parvenue à élaborer un artefact spatial colossal destiné à nous envoyer un message lumineux, en sachant que les expéditeurs de ce message seront morts bien avant de recevoir une hypothétique réponse.
Le retournement de perspective opéré par l’auteur sur la fin du roman, la description, côté extra-terrestre, de la mise en œuvre titanesque de ce système aboutit à une dernière partie mêlant la science et la poésie. L’idée de ce contact lumineux, terriblement éloigné sur la distance, terriblement éloigné dans le temps, et voué à ne déboucher sur rien, prend des allures mystiques et métaphysiques. Le contact : un simple principe, une idée magnifique, mais dont on n’attend rien en retour, que l’auteur résume avec élégance et sobriété : “Ils engagèrent leur peuple et sa descendance dans la plus fantastique, la plus belle et la plus inutile des aventures.”

Pour aboutir à ce final métaphysique, avant de refermer avec habileté le roman comme il l’avait ouvert, sur l’image de l’archéologue autrefois isolé dans sa prison -ce que l’humanité, grâce à cette découverte, a également cessé d’être-, Martial Caroff mêle, au fil du récit, l’astrophysique contemporaine et l’érudition historique.
Pour autant les aspects hard-science et archéologie littéraire n’ont rien de particulièrement ardu. Si l’auteur use tout au long du roman des artifices classiques pour amener les notions essentielles (la conférence d’experts avec questions de journalistes, les conversations répétées entre protagonistes scientifiques et littéraires, chacun se faisant expliquer le domaine de l’autre), le recours à une écriture simple et à un découpage feuilletonesque à base de chapitres brefs rend la lecture particulièrement aisée. Les personnages sont sympathiques, chacun d’entre eux mène avec enthousiasme l’enquête dans le domaine qui lui est propre, des pointes d’humour viennent égayer les dialogues, et l’intrigue, tendue, fait se dérouler l’histoire sans longueurs.

L’auteur évite avec habileté bien des écueils au passage, en particulier les clichés que de telles thématiques attirent presque immanquablement. L’artifice classique de la quincaillerie high-tech, rituellement tapie au coin de chaque page, est ici soigneusement évité : le monde de 2030 est donc assez proche du nôtre.
Les dérives mystiques ou religieuses secondaires à l’apparition d’une nouvelle étoile, lieu commun de récits de genre, sont expédiées en quelques lignes. Les rivalités entre scientifiques de divers pays sont absentes –l’intrigue est ici purement hexagonale, sans doute pour accentuer la parenté avec les récits d’anticipation ancienne. Les interférences politiques manquent également à l’appel, tout comme les militaires ou les classiques personnages infâmes, traîtres ou saboteurs. Et ce refus de se plier aux compromissions habituelles, de céder aux lieux communs romanesques est heureux : le récit peut se concentrer sur l’essentiel sans s’alourdir de ces péripéties répétitives et standardisées déjà lues –ou vues– mille fois.

Avec « Exoplanète », Martial Caroff établit un pont entre l’anticipation scientifique du siècle précédent et la hard-science d’un futur proche. Faisant fi des rituels de la littérature de genre, ne s’embarrassant ni de ses poncifs ni de son techno-langage, il développe grâce à ces choix et à l’ampleur du thème développé un roman plaisant et presque intemporel. Sans doute est-ce en raison de ce caractère atypique que cet opus n’a pas été publié dans la collection “Poussières d’Étoiles”, qui regroupe les ouvrages étiquetés science-fiction chez Terre de Brume.
Il est vrai qu’il peut dérouter les aficionados du genre, mais aussi constituer pour certains d’entre eux une agréable surprise. Il est rare en tout cas de trouver dans la littérature de genre une tonalité atypique, tonalité qui est loin de desservir le propos et qui, nous l’espérons, se retrouvera dans de futurs romans de l’auteur.


Titre : Exoplanète (France, 2009)
Auteur : Martial Caroff
Couverture : Eric Scala
Préface : Alain Cirou
Éditeur : Terre de Brume
Collection : Littératures
Site éditeur : page roman
Pages : 217
Format (en cm) : 14 x 24
Dépôt légal : janvier 2009
ISBN : 978-2-84362-392-9
Prix : 18€


Hilaire Alrune
7 novembre 2009


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