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Et cette porte, là-bas, qui se fermait…
Pierre Gévart
Argemmios, Novella, novella (France), mythologie et caprice du destin, 113 pages, octobre 2009, 11€

Orphée et Eurydice vivent ensemble. Comme si leurs noms, hérités de la Grèce antique, les y prédestinaient. Mais le quotidien est plus rude. Orphée, plus scribouillard que poète, boit, trop. Eurydice fume. Une jalousie maladive tenaille le poète. Sa compagne, elle, est de plus en plus tentée de partir. Et un matin, une porte restée entrouverte sur le palier va tout déclencher.



Pierre Gévart est un auteur prolifique et touche-à-tout. Disons surtout, pour notre domaine de prédilection, qu’il a fondé le fanzine « Géante Rouge », le Prix Pépin et qu’il est depuis mai 2008 rédacteur en chef de la revue « Galaxies » (et les numéros parus depuis : n°3 et n°4). Cependant son champ d’action est beaucoup plus large, ainsi qu’il l’est détaillé en fin d’ouvrage.

Le texte qu’il nous propose chez Argemmios est impressionnant. C’est juste l’histoire d’un couple qui se déchire, le détail des dégâts causés par la jalousie lors d’une dernière journée. Quasi de la littérature générale (beurk !) dont on nous submerge à chaque rentrée, les malheurs des uns, les tracasseries des autres.
Mais cette analyse n’est que finale, car Pierre Gévart nous emballe cette histoire dans la mythologie, en s’interrogeant sur le mythe d’Orphée et Eurydice.
Petit rappel : la belle Eurydice est morte, et Orphée le poète obtient de la délivrer du royaume d’Hadès, à la seule condition qu’il ne se retourne pas pour regarder son amour avant d’être sorti des entrailles de la terre. Et Orphée se retourne au dernier moment, alors qu’Eurydice n’avait plus qu’une marche à grimper. Elle retourne aux Enfers, et Orphée devient le plus grand poète à chanter la tristesse de son amour perdu.

Les incipits des dix chapitres de « Et cette porte, là-bas, qui se fermait… » posent des questions naturelles et rationnelles : Eurydice voulait-elle quitter les Enfers ? Avait-elle vraiment envie de connaître de nouveau les affres de la vie ? Pourquoi Orphée s’est-il retourné trop tôt ? Est-ce la force de l’amour, ou voulait-il vérifier que la récompense était à la hauteur de ses efforts ?

L’auteur “casse le mythe” par ses questions, et son récit de la mythologie se teinte au fil du roman de détails fantaisistes très amusants (la bureaucratie olympienne…), oscillant entre la parodie actuelle (Orphée fait jeune premier pour la légende, mais un peu beauf hors caméra) et la comédie antique (les dieux sont fantasques et parieurs).

Toute la puissance du mythe se révèle dans ses acteurs contemporains. Orphée boit, dès le matin, et suspecte Eurydice de le tromper. Sa journée commence mal, par ce soupçon qui s’insinue dans son esprit maladif à cause d’une porte restée entrouverte. Et toute la journée, il va ressasser, donnant raison à sa compagne et se maudissant de boire, promettant de faire un effort. Eurydice, de son côté, tente de passer l’éponge, de ne pas voir, mais surprendre Orphée au comptoir après qu’il ait fui leur appartement et la dispute qui s’initiait (de son fait) porte un rude coup à ses espoirs. Néanmoins, malgré des envies de tout plaquer, elle va rester, cherchant même à faire plaisir à son poète quadra.

Un quiproquo final vient (hélas ?) concrétiser les pires craintes des deux amants, et force le destin à s’accomplir inéluctablement. Eurydice fuit son Orphée qui s’est retourné trop tôt, encore et toujours. Mais comme souvent, ce n’est point tant la fin que le chemin qui nous intéresse.

La plume de Pierre Gévart traite à la perfection cette histoire, son style séparant clairement les deux visions du monde de ses protagonistes, leurs deux styles de vie, et mythologie mise à part, on sent par la seule écriture que ce couple mal assorti (par le destin) va lâcher, malgré les bonnes intentions et les espoirs pas encore déçus. La dimension métaphorique introduite par la rationalisation du mythe (qui va jusqu’à donner comme voisins des amants un vieux couple, Hadès et Perséphone) rend captivante une histoire en fait banale et quotidienne sur les dangers de la jalousie et du soupçon infondé.

Une belle mais triste histoire d’amour, dont on connaît déjà la fin, mais qu’on espérera différente jusqu’au bout. En un sens, elle l’est, et les raisons de cette rupture d’aujourd’hui éclairent parfaitement celle du mythe antique.

Pour une somme modique, n’hésitez pas à découvrir ce texte fort bien écrit, vraiment hors des sentiers battus, du space-opera et de la fantasy. Certains auteurs transcendent ces genres, Pierre Gévart, lui, préfère modestement éclairer de réalisme les légendes du passé.

Le lecteur prendra néanmoins garde à un petit souci de mise en forme. Suite à une intervention d’une divinité chaotique, les pages 32 et 33 ont été interverties, et quatre espaces insécables ont été envoyés dans le Styx. Il manque quelques traits d’union, mais sinon quasiment pas de coquilles. Comme toujours, le détail ci-dessous.

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Et cette porte la-bas qui se fermait - corrections

Titre : Et cette porte, là-bas, qui se fermait…
Auteur : Pierre Gévart
Couverture : Mathieu Coudray
Editeur : Argemmios
Sites Internet : fiche du roman, le site de l’auteur, celui du fanzine “Géante Rouge”
Collection : Novella
Pages : 113
Format (en cm) : 14 x 20
Dépôt légal : octobre 2009
ISBN : 978-29530239-5-4
Prix : 11 €



Nicolas Soffray
8 novembre 2009


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