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Frankia, T1
Jean-Luc Marcastel
Mnémos, Icare, roman (France), trilogie fantasy-uchronie, Janvier 2009, 350 pages, 21€

1940, alors que les armées de la puissante Frankia viennent d’être anéanties par les forces d’une revancharde Teutonia, c’est en Zone Libre, lors de la capture d’un résistant par la police secrète de l’envahisseur, qu’un jeune homme et son frère orc comprennent réellement la cruauté malsaine du conflit.

Loïren qui a été recueilli et élevé par le père de Morkhaï comme s’il s’agissait de son propre fils, n’était vraiment pas préparé à accepter les persécutions dont sont maintenant victimes les elfes, accusés de tous les maux par les occupants.

Mais l’invincible armée des envahisseurs utilise de tels pouvoirs magiques et des machines de guerres si effrayantes, que l’on ne voit pas très bien en quoi Loïren (ou d’autres) pourraient influer sur le cours des événements.

Et pourtant...



Étonnant et encourageant pari réalisé par les éditions Mnémos, la publication intégrale de la trilogie « Frankia » de Jean-Luc Marcastel en un petit semestre dans la collection “Icares” est un joli coup éditorial qui mérite d’être salué.

Revisitation de la période de la Seconde Guerre mondiale, de l’Occupation, des rafles et de la collaboration, cette série propose un registre thématique qui agrège aux éléments précités la magie, la fantasy, l’uchronie et une pointe de technologies steampunk. Mon tout va servir de toile de fond à la création d’une grande romance entre un jeune être humain et une princesse elfe légendaire, persécutée par l’occupant.

Ce premier tome, séduisant et surprenant, offre donc de très belles pages sur deux registres assez différents.
Tout ce qui touche aux ambiances rurales est parfaitement rendu. Que ce soient les travaux des champs, la rude vie des petites gens (hommes, nains ou orcs), les péripéties sociales d’un petit bourg de province, les belles descriptions où l’on traverse des gorges et ravins désolés en compagnie des principaux protagonistes, la narration nous dit que l’écrivain s’est nourri à de fières mamelles campagnardes dont il nous livre une vision crédible, parfaitement sentie, malgré un contexte fantastique et romanesque qui eut pu nous effaroucher. L’imaginaire de l’écrivain est incontestablement ancré dans le réel.
En outre, son univers magique et fantasy recèle suffisamment d’invention et d’originalité pour étonner le plus blasé des lecteurs dont les centres d’intérêts sont pourtant très éloignés du registre invoqué par le romancier. Il est plaisant de découvrir des humains, des orcs, des nains et des elfes qui vivent ensembles dans une même société tout en partageant des problématiques communes à la trilogie -ce qui n’a rien à voir avec les éternelles redites, forcément moins talentueuses, du « Seigneur des Anneaux » dont on nous submerge depuis deux bonnes décennies.

Si l’histoire de ce « Frankia » n’est pas en elle-même révolutionnaire et propose le canevas habituel de l’éternel « élu », personnage forcément innocent et anonyme, qui par la révélation de pouvoirs surnaturels imprévus va devenir le champion du bien, il n’en reste pas moins que Jean-Luc Marcastel dispose et fait évoluer ses pièces avec un talent certain pour le suspense.
Il regroupe autour de Lorïen une sympathique petite troupe hétéroclite composée principalement de son frère orc Morkhaï et de Faëllia la princesse elfe, auxquels viendront s’ajouter quelques résistants, humains ou nains. Tous unis dans un même combat, l’histoire les mènera logiquement sur les routes de la Frankia profonde dans une sorte de road movie rural bien pensé. Les dialogues sont très réussis, vivants, agréables et ne tombent que très rarement dans l’incroyable, ce qui est un point important à mettre en exergue.

Seule petite déception, consubstantielle du projet, on finit par regretter les liens trop évidents entre notre histoire contemporaine (très présente) et le récit fantastique proposé, qui ne s’en démarque pas tant que ça.
Paradoxalement, ce qui faisait l’originalité de la démarche imaginaire en devient son point faible et provoque quelques petits moments de doute où l’on frise le trop-plein, un rien caricatural. Il en est de même avec quelques termes ou patronymes (Uberkaïser, Technarkonte, Von Drakho, Von Wolfe -bof) ou les noms de pays tels Frankia, Teutonia, etc qui ne semblent pas les plus appropriés et flirtent un peu trop (à mon goût) avec des ambiances de séries Z. Pourquoi ne pas avoir tout simplement conservé les noms usuels de notre présente dimension ?
Et tant qu’à jouer la carte de l’uchronie décalée ou de la réécriture magique et fantasy, n’eut-il pas été plus surprenant et original de ne pas aller chercher le décalage trop loin ? La base du roman suffisant à provoquer la curiosité et ne nécessitant pas obligatoirement l’invention de noms fantastiques dans une situation militaire et géographique en tout point semblable à notre passé.

Petits reproches qui ne doivent pas faire oublier de belles inventions et tout particulièrement le personnage de la Walkyrie Ishaëna, une créature qui tient autant du succube que de la mante religieuse, capable d’aspirer dans une étreinte létale la substantifique moelle tout autant que la chair des êtres qu’elle croise, ne laissant qu’une enveloppe vide ou un tas de cendres derrière elle.
Rarement dans le registre de la fantasy, les allusions sexuelles n’avaient été aussi clairement énoncées, Eros et Thanatos aussi franchement présents, dans un être pervers. Un fait assez rare et courageux qui doit être souligné.
Avouons-le, si le sexe et les rapports amoureux sont toujours sous-jacent dans ce genre hybride des littératures de l’imaginaire, on y dépasse rarement le stade des chastes et brèves évocations de la position du missionnaire. Sans en rajouter, Jean-Luc Marcastel va loin, beaucoup plus loin en inventant cet être étrange et mystérieux, condensé de soufre aux motivations complexes. Mieux, il ajoute aussi ce paramètre à la base même de sa trilogie et n’ignore pas la problématique du sexe pour tous les autres protagonistes de l’intrigue.

Le lecteur curieux découvrira aussi en fin d’ouvrage quelques dessins de l’auteur représentant les principaux personnages du roman. Une idée intéressante qui prouve que Jean-Luc Marcastel ne s’est pas seulement contenté d’écrire une trilogie, mais portait bien en lui un projet très personnel.
Les couvertures des trois tomes, toutes réalisées par Arnaud Cremet, sont également joliment pensées et présentées.

Lu en deux ou trois jours, ce premier opus de « Frankia » est une franche et belle surprise qui donne véritablement envie de poursuivre l’aventure.


Titre : Frankia, tome 1 (roman, France, 2009)
Série : Frankia (trilogie)
Auteur : Jean-Luc Marcastel
Couverture : Arnaud Cremet
Illustrations intérieures : Jean-Luc Marcastel
Éditeur : Mnémos (Les Éditions), 15, passage du Clos Bruneau, 75005 Paris
Collection : Icares, L’Aventure Imaginaire
Direction éditoriale : Célia Chazel
Pages : 351
Format (en cm) : 15,5 x 2,8 x 23,5
Dépôt légal : 29 Janvier 2009
EAN : 9 782354 080464
ISBN : 978-2-35408-046-4
Diffusion : Harmonia Mundi
Prix : 21€



Stéphane Pons
23 septembre 2009


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« Frankia », une trilogie de Jean-Luc Marcastel à suivre de très prés (Mnémos, Icares, 2009)



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