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James Graham Ballard est mort
L’enfant de L’Empire du Soleil a fait le grand voyage.
19 avril 2009

James Graham Ballard était devenu depuis deux bonnes décennies un écrivain mainstream, attaquant sans relâche le sujet de la déshumanisation de l’individu occidental face à la société de consommation et de communication contemporaine.



Ces trois derniers romans, « Super-Cannes », « Millenium People » et « Que Notre Règne Arrive » étaient devenus des œuvres symboliques de ses obsessions actuelles, lui ouvrant les portes de la grande presse littéraire.
Étrangement, s’il y a plusieurs écrivains appelés J.G. Ballard, c’est sans doute le dernier (de « Sauvagerie » en 1988 à aujourd’hui) qui est le plus connu à travers des textes oscillant entre le détournement de la réalité et le fantastique de situations d’apparence normale. Critiques sociales acerbes, pessimistes, exagérées et un rien masochistes, sous l’œil désespéré du romancier, une civilisation s’écroule dans des accès de folie surréaliste.

À cette période de reconnaissance médiatique et culturelle (interviews et dossiers dans tous les grands quotidiens et hebdos nationaux), avait précédé une séquence d’inspiration foisonnante mais très difficile à aborder pour le lecteur moyen (de 1966, soit deux ans après la mort de son épouse, à 1988).
Romans parfois SF, parfois inclassables, écriture éclatée dans de courts textes torturés inspirés des travaux de William Burroughs, il faut une grande force de caractère pour aborder « La Foire Aux Atrocités-Le Salon des Horreurs » (titre changeant en fonction des traductions) et même « L’ïle de Béton » ou « Salut l’Amérique ». Par contre, « I.G.H » (Immeuble de Grande Hauteur) fait figure de respiration presque classique, au moins stylistiquement, et est sans doute le monument de « La Trilogie de Béton » le plus facile et intéressant à découvrir et à lire aujourd’hui.

Au début de sa carrière, très vite devenu un des piliers de la revue anglaise “New Worlds” dans laquelle il avait été publié dès 1956, il était aussi avec John Brunner, Christopher Priest, Brian Aldiss et d’autres, un des auteurs phares du mouvement New Wave de la SF qui, sous l’impulsion de Michael Moorcock, allait envoyer un certain type de récits à l’ancienne dans les oubliettes de l’Histoire et influencer durablement les destinés du genre en Europe, mais aussi aux USA.
De 1962 à 1966, il écrivit donc, comme une suite logique à ses premiers émois SF, quatre récits apocalyptiques : « Le Monde Englouti », « Le Vent de Nulle Part », « Sécheresse » et « La Forêt de Cristal » -dont il refusera en partie la réédition d’au moins un d’entre eux dernièrement, les jugeant globalement indignes de sa plume.
Bien que de pure SF, ces romans portent déjà en eux les racines des traumas futurs de l’écrivain : un homme seul, un monde qui part en vrille dans des cataclysmes d’une beauté hypnotisante, une histoire flottante sans véritable intrigue, un sentiment d’isolement, autant d’éléments qui constituent toujours les axes principaux de son imaginaire.

À travers les différentes phase d’une production romanesque finalement assez réduite en presque cinquante ans d’écriture, il faut noter que Ballard resta toute sa vie un novelliste talentueux et brillant.
Nul ne peut avoir lu le recueil « Vermilion Sands » et sortir intact de l’aventure. Textes ciselés, mélancoliques, poétiques, où des êtres sans motivation particulière errent sur une sorte de Promenade des Anglais futuriste. Là, des sculpteurs de nuages travaillent des nuées cotonneuses dans le ciel, des fleurs mystérieuses chantent des mélodies ensorcelantes et seule la mort distrait de l’ennui.
S’il ne fallait lire qu’un Ballard, c’est incontestablement celui que nous vous conseillerions tant il brille au firmament de la littérature SF.
On pourra aussi redécouvrir avec bonheur ses nouvelles, rééditées en intégralité chez Tristram, traduites par Guy Abadia, et dont la couverture du premier volume illustre ce présent adieu.

Mais pour le grand public, Ballard est avant tout l’auteur de « L’Empire du Soleil », récit quasi autobiographique et romancé sur son enfance dans un camp de prisonniers en Asie durant la Seconde Guerre Mondiale.
Évidemment, c’est grâce au succès du film de Steven Spielberg qu’un coin du voile fut soulevé.
Pourtant, plus étrange et révélateur de son travail, c’est surtout le « Crash » de David Cronenberg, très libre revisitation de sa nouvelle « Crash ! » (in « La Foire aux Atrocités-Le Salon des Horreurs ») -inspiratrice du roman éponyme publié quelques années plus tard et source du cinéaste sans doute- qui l’installera tout en haut de l’affiche, à juste titre.
Textes obsessionnels, étranges, difficiles à aborder et passablement illisibles (soyons francs), en résumé réservés à un public très averti et prévenu, la lave littéraire de l’écrivain anglais fusionna parfaitement avec les obsessions du réalisateur canadien. « Crash » le film n’a rien à voir avec « Crash ! » de Ballard. Et pourtant, les deux œuvres sont très proches l’une de l’autre et le résultat sur grand écran est un film dérangeant, mais totalement fascinant et sublime. Un des très rares cas d’osmose créatrice parfaite.

Victime d’un cancer de la prostate depuis de nombreuses années déjà, James Graham Ballard, né en 1930, luttait contre la maladie, continuant à écrire, réduisant ses rendez-vous avec le monde extérieur au strict minimum et devenant un ermite unanimement respecté de la littérature contemporaine.

Réalisé il y a quelques années déjà, présenté au Festival de Science Fiction des Utopiales de Nantes en 2007 et diffusé en ce début d’année sur Arte, le docu-fiction « L’Oracle de Shepperton » (nom de la banlieue de Londres où Ballard s’était installé en 1964 et qu’il habitait depuis) est un travail intéressant sur Ballard... sans Ballard.
Cette même chaîne Arte propose depuis quelques temps déjà pas mal d’infos sur ce programme réalisé par Bruno Samper et Thomas Cazals avec l’aide de Jacques Barbéri au scénario (et même un jeu !).

Si nous ne saurions recommander l’intégralité de l’œuvre de J.G. Ballard sans mesures préventives, tant les variations de style peuvent surprendre et dérouter, il était et restera un auteur important. Et ce, tout autant par les textes qu’il laisse que par l’influence que son travail aura eu sur plusieurs générations d’écrivains.

Vous pouvez retrouver ses textes dans de nombreuses éditions de poche (en neuf et en occasion) avec parfois des traductions de ses premiers romans un rien discutables d’après les spécialistes, mais aussi dans la collection Lunes d’Encre chez Denoël grâce aux efforts attentifs d’un vrai directeur de collection (Gilles Dumay) qui a permis la réédition de ses premiers romans dans des traductions entièrement revues.
Sans oublier les éditions Gallimard, il y a surtout et aussi chez Tristram un remarquable boulot disponible sur ces premières nouvelles (et à qui l’on souhaite un beau succès) ainsi que l’emblématique « Sauvagerie ».

Véritable auteur de science-fiction qui aura finalement plus séduit ceux qui n’aimaient pas la SF (car ils n’ont jamais compris qu’elle avait changé à l’orée des années soixante) que le public auquel il destinait ses premiers écrits, J.G. Ballard aura conquis un public très divers et non SF.
Nombreux sont ses admirateurs qui refoulent ce passé presque indigne, alibi pratique d’un imaginaire qu’ils n’ont pas compris.
Somme toute, Ballard travaillait depuis toujours un réel cauchemardesque, teinté d’un humoir noir et grinçant, revenant sans cesse à ses premières idées apocalyptiques... et donc forcément SF.


Stéphane Pons
Nicolas Soffray
21 avril 2009


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