La préface de Brian Stablelford est d’une rare concision pointue et érudite mais doit être lue après les nouvelles qui la suivent.
Je ne suis pas une légende est une variation tragi-comique sur le trop fameux texte de Richard Matheson. C’est drôle et glauque, surtout drôle, et formidablement écrit.
Le sourire cruel des trois petits cochons est une histoire étrange avec un flic, des sureaux (oui, des arbres) qui poussent trop vite dans un cimetière et un petit garçon qui sauve le Monde avec ses rêves. Comment faire du gore poétique et associer l’horrible et l’optimisme. Et quelle écriture subtile !
L’immaculée conception est une longue nouvelle, ou une novella, qui a obtenu le GPI dans cette catégorie. Un texte violent, féroce, engagé contre ces injustices flagrantes de la condition féminine que sont la grossesse et l’accouchement, servi par une prose parfaite de sensibilité toute en violence contenue. Un prix mérité. Une trame fantastique –et encore ?– mais surtout un quotidien de banlieue sordide, de boulot ingrat, d’une agoraphobie ou asociabilité primaire et vraie. Une claque.
Vergiss mein nicht est un hommage à un mort trop jeune. Du vrai faux fantastique (où existe une explication rationnelle, comme la plupart des textes de ce recueil que l’on peut rapprocher de ce genre) avec toujours la sensibilité et l’irruption de la beauté des myosotis dans la boue immonde de nos déchets.
La lumière des elfes est un texte court sur la création artistique et l’Art qui échappe à ceux qui le pratiquent. Bien écrit, évidemment, mais moyennement convaincant. (Je rappelle que cette chronique n’est qu’une suite de ressentis qui ne peuvent que différer d’un lecteur à l’autre.)
Rhume des foins est un très court texte, un poème sur le paradis inaccessible.
Le Jardin de Charlith est aussi, quelque part comme les précédents, une ode à la beauté de la Nature et des gens, mais aussi à l’amour « courtois » entre jeunes adolescents, à l’angoisse et à la tristesse qui les accompagnent.
Mater Clamorosum change complètement de registre et tourne autour, dans un passé lointain, des phrases d’une chanson rapportée par A. Le Braz. Triste et dur mais qui peut ne pas emporter l’adhésion car trop distant à bien des points de vue.
Confession d’un mort est un texte à la manière de Poe, un brillant exercice de style.
Valaam est une histoire dans la Russie maffieuse d’après la chute du Mur, où on apprend des choses sur les icones.
Le cygne de Bukowski est un carnet de voyage aux Etats-Unis, avec beaucoup de vécu dedans, qui parlera à tous ceux qui ont « fait la route » là-bas, même si c’était quinze ans avant.
Kurt Cobain contre Dr. No continue dans une description indirecte de l’Amérique, mais dans la tête de ce musicien et de son combat contre la douleur, la dépendance et la gloire. Les icones appelées comme personnages secondaires sont délibérément complètement transparentes et, comme le titre, apporte une distanciation comique un peu incongrue.
Avec Une troll d’histoire le lecteur va encore changer d’humeur, passant de la mélancolie plus ou moins réaliste des textes précédents à une nouvelle de fantasy grotesque au comique outrancier. Il découvre que le pougnard, plus gros et plus fort que les trolls, peut tomber amoureux.
On reste dans le comique avec La perruque du juge, le procès de Peter Pan. Une nouvelle à double chute. Très drôle.
Le poème au carré est un rêve inédit d’Alice, celle du révérend Dodgson, où sont convoqués Lewis Padgett, Boris Vian et un sous-marin jaune. Il faut se méfier des poèmes traduits par un poète.
L’accroissement mathématique du plaisir, qui donne son titre au recueil, est une nouvelle difficile, de science-fiction. Deux personnages avec des noms d’éditeurs, Kluwer et Elsevier, discutent sur la Beauté, représentée par une statue de femme parfaite créée par l’un et dont l’autre tombe dramatiquement amoureux.
La liste des souffrances autorisées, encore de la SF, a un petit côté cyber. Il s’agit d’une histoire d’amour racontée par un homme à un de ses amis. Ils sont riches et mangent des trucs bizarres (de la v-food) dans des endroits impossibles. On peut tomber amoureux d’une fille rencontrée sur le réseau. Mais qui manipule qui dans ce monde-là ?
L’amour au temps de l’hormonothérapie génique est une histoire d’amour (encore) dans un futur proche. La maîtresse délaissée est chercheuse, elle va utiliser ses connaissances pour se venger.
Un soleil fauve sur l’oreiller est une très jolie nouvelle sur l’amour d’une mère à son fils. Il y a aussi une vieille dame dans un lavomatic. Superbe et émouvant.
Mémoires mortes, la nouvelle qui devait donner son titre au recueil, est aussi une histoire d’enfance et d’amour entre frère et sœur. Peut-être que les morts survivront dans les mémoires informatiques. Très beau et poignant.
Bois de souche, une postface par Catherine Dufour, rend d’avance ridicules les analyses et exégèses des critiques. Elle y explique le pourquoi et le comment de chacun de ses textes.
Et, si vous vous posez encore des questions, lisez Un entretien avec Catherine Dufour par Richard Comballot.
Le volume s’achève par une bibliographie exhaustive concoctée par Alain Sprauel.
Ce recueil est sans doute possible un des meilleurs bouquins de la rentrée. Ceux qui connaissent le talent de l’auteure seront ravis et, comme moi, boiront du petit lait. Pour ceux qui n’ont jamais lu Catherine Dufour, c’est l’occasion de découvrir la richesse de son imagination et l’immense qualité de son écriture protéiforme.
Titre : L’Accroissement mathématique du plaisir
Recueil de 20 nouvelles dont 7 inédites, 2 préfaces et une postface de l’auteure + un entretien + bibliographie
Auteur : Catherine Dufour
Préface : Brian Stableford
Couverture : Caza
Recueil réuni par : Richard Comballot
Directeur de collection : Olivier Girard
Éditeur : Le Bélial’, 50 rue du Clos, 77670 Saint Mammès
Pages : 445
Format (en cm) : 20,5 x 14 (broché)
Dépôt légal : septembre 2008
ISBN : 978-2-84344-083-0
Prix : 20 €
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