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Nomade du Temps (Le)
Michael Moorcock
Gallimard, Folio SF, romans (trilogie), traduction (anglais), SF - uchronie - Steampunk, 705 pages,

Alors qu’il vient mettre au pas le mystérieux et redoutable Sharan Kang dans une région paumée du Tibet, le Capitaine Oswald Bastable se retrouve projeté dans les méandres du temps et des dimensions paralèlles du fameux Multivers conceptualisé par Michael Moorcock.

De l’aventure, de l’action, des guerres, des révolutions, des catastrophes, des génocides et surtout, une certaine idée de l’Anarchie, avec un grand A.



« Le Nomade du Temps » que vient d’éditer la collection Folio SF est une trilogie narrant les aventures inter dimensionnelles et temporelles d’un soldat de Sa Très Gracieuse Majesté dans les flots impétueux de la pensée de Michael Moorcock.

La présente édition qui agrège en un seul volume les trois romans parus en 1971, 1974 et 1981 déjà assemblés par le génial créateur du « Cycle d’Elric » et son épouse en un seul volume en 1993, offre donc la dernière version d’un cycle légèrement modifié au cours de ces différentes éditions. Il conviendra donc de lire la courte mais intéressante préface de l’écrivain qui en explicite les tenants et les aboutissants. Néanmoins, les explications de Michael Moorcock résonneront surtout aux oreilles des patients qui iront au bout de l’aventure et (re) liront le troisième volume (« Le Tsar d’Acier »), celui sans nul doute, qui a subi le plus de modifications vraiment importantes (si j’en juge sur les souvenirs que l’on peut avoir de l’édition du Club du Livre d’Anticipation puis les reprises en Pocket plus tard).
Bon, pas d’affolement non plus ou d’excitation particulière, ça ne saute pas vraiment aux yeux et à moins d’être un exegète de l’œuvre du maître, il ne convient pas de s’attarder plus que cela sur ces détails narratifs.

Trilogie volontairement distrayante qui mixe agréablement les marottes de l’auteur, « Le Nomade du Temps » vaut cependant l’arrêt lecture car rien n’y est fondamentalement ennuyeux (même si l’on sautera volontiers quelques pages surtout dans le dernier roman). Bien au contraire, Michael Moorcock démontre que l’on peut tout à la fois amuser et faire travailler ses méninges pour peu que l’on veuille chercher le sens véritable de la trilogie.

Certes, l’écrivain s’inscrit d’office dans la grande tradition du roman d’aventure (tendance souvenirs imaginaires d’un soldat de « la coloniale »), ne renie pas son monde SF (Multivers et personnages récurrents compris), établit presque par accident quelques fondations du genre Steampunk (travail sur les décors, l’époque, la machinerie technologique), place un héros moorcockien en diable (plus spectateur qu’acteur des événements), s’interroge sur les paradoxes temporels et dimensionnels, s’amuse avec quelques figures politiques emblématiques de notre temps (Lénine, Staline, Reagan, Ghandi, divers révolutionnaires du XXe siècle, des politiciens plus ou moins vertueux, etc) mais le fond de sa pensée est finalement ailleurs.

Au-delà des apparences, Michael Moorcock livre une trilogie construite sur des idéaux situés entre la Première et de la Deuxème Internationale des Travailleurs (qui deviendra après la Seconde Guerre Mondiale l’Internationale Socialiste, celle des partis socio-démocrates). Une pensée politique de gauche (d’ultra gauche par les temps présents !) qui fait la part belle à la philosophie anarchiste.
D’ailleurs, les rares personnages positifs croisés tout au long de la trilogie sont peu nombreux : Ghandi en président du Bantoustan, une Afrique du Sud unifiée, non ségrégationniste, pacifique et pays d’accueil de tous les hommes de bonne volonté dans une année 1941 devenue apocalyptique, et Nestor Makhno. Il convient d’ailleurs de s’attarder sur l’importance de cet anarchiste ukrainien dans notre dimension du Multivers. Makhno qui tenta de libérer son pays aussi bien des contre-révolutionnaires blancs que des Bolchéviques de 1918 à 1920 devient dans « Le Tsar d’Acier », le dernier rempart aux ultimes crime de notre bon vieux Staline transformé en illuminé socialiste d’inspiration divine et manipulateurs de légions cosaques.

Autre constante du récit et contrepoint anti-militariste d’une trilogie où l’on se fait tout le temps la guerre, quel que soit le lieu ou l’époque choisis, c’est le bombardement atomique d’Hiroshima qui apparaît comme le nœud gordien déclencheur du chaos. Et quand ce n’est pas le cas (« Le Léviathan des Terres ») son utilisation est suggérée ou dépassée par la création d’une machine de guerre assez incroyable.

Trilogie anti-colonialiste aussi puisque chacun de ses romans sous-tend l’idée que des voyageurs temporels soutiennent des luttes qui visent à dépouiller les sociétés occidentales du pouvoir qu’elles ont sur le reste du monde. Pour la petite histoire, dans aucun des mondes proposés la France ne tient un rôle capital. Le narrateur se bornant à préciser dans « Le Tsar d’Acier » que ce pays après avoir perdu son Empire s’est somme toute retiré des affaires du monde et ne s’en porte que mieux !

On n’est pas obligé non plus de plonger dans les multiples références historiques, politiques, littéraires ou révolutionnaires que Michael Moorcock dispense quasiment à chaque page. À moins d’être doué, comme l’auteur, d’une culture quasi encyclopédique, on en rate sans doute pas mal au passage. Et peu importe finalement car il reste toujours le plaisir d’une lecture au premier degré. Bon, évidemment, quand on saisit ces références, elles jouent le rôle d’épices intrigantes sur un plat déjà très riche.

Est-ce à dire que « Le Nomade du Temps » est un chef d’œuvre de la SF ? Franchement, absolument pas.
Trilogie intéressante, souvent passionnante, intelligente et finaude, elle n’en contient pas moins les défauts récurrents d’un écrivain qui va parfois trop vite et ne se relit pas toujours (même si le temps passant, il essaie de corriger discrètement ses petits défauts).
Si le premier voyage temporel d’Oswald Barstable (« Le Seigneur des Airs ») semble généré par un phénomène magique (ou paranormal) voire par un cataclysme terrestre en plein Tibet (why not), son origine devient très confuse ensuite. Dans « Le Léviathan des Terres », « on » remet un manuscrit au père de Michael Moorcock et dans « Le Tsar d’Acier », c’est le personnage d’Una Perssson qui vient tout simplement à la rencontre de l’écrivain !.
Par ailleurs, des personnages se croisent d’un roman à l’autre, devraient se reconnaître ou pour le moins se souvenir de lieux où ils étaient allés ensemble auparavant, mais... rien. Et Moorcock, que l’on soupçonne fortement d’avoir eu quelques remords à ces incohérences, nous sort tout d’un coup une explication assez fumeuse basée sur des problèmes d’ordres psychiques qu’éprouveraient les voyageurs temporels. Explication bien pratique, mais un peu légère quand, dans les pages suivantes, le voyageur se met à se souvenir d’événements qu’il aurait du justement oublier...
Bref, ça patine un peu dans la semoule du Multivers et la logique n’est pas toujours au rendez-vous.
On a même la forte impression que l’écrivain a ajouté des détails liant ses romans entre eux au fur et à mesure qu’il en écrivait les suites afin d’inclure ce tout, un peu de force, dans son Multivers (bien pratique pour l’occasion).
La sensation que l’on est passé du one shot (« Le Seigneur des Airs ») à une trilogie, aux forceps, est même parfois présent. Il faut bien l’avouer, dans sa volonté légitime et compréhensible d’unifier son œuvre sous une même bannière, Michael Moorcock nous prend gentiment pour des brêmes de temps à autre.

Est-ce choquant ou dérangeant ? Not at all ! Le talent de Michael Moorcock est si évident qu’on lui pardonne tout. Mieux, on le remercie de ses intenses moments de distraction intelligente où le genre SF se conjugue avec virtuosité.

Le Nomade du Temps (A Nomad Of The Times Streams, 1993)
Auteur : Michael Moorcock
Trilogie : Préface de l’auteur, « Le Seigneur des Airs » (The Warlord Of The Air, 1971), « Le Léviathan des Terres » (The Land Of Leviathan, 1974) & « Le Tsar d’Acier » (The Steel Tsar, 1981)
Couverture :
Traductions : Denise Hersant et Jacques Schmitt
Traductions révisées et complétées par : Sébastien Guillot
Éditeur : Gallimard
Collection : Folio SF
Directeur de Collection : Pascal Godbillon
Numéro : 318
Catégorie : F14
Sites Internet : Page roman (site éditeur)
Format (en cm) : 17,7 x 3,1 x 10,6 (poche, broché)
Dépôt légal : septembre 2008
Code Hachette : A 34776
EAN : 9 782070 347766
ISBN : 978-2-07-034776-6
Prix : 9,90€

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Stéphane Pons
11 novembre 2008


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