Nous l’avons cueilli à son retour d’un autre tournage, avant qu’il ne reparte à des milliers de kilomètres. Ouvert, humble et sincère, il parle sans concession et avec conviction. Une liberté de parole qui n’a pas toujours été simple à assumer…
D’où reviens-tu ?
Là je reviens de Hong Kong. Pendant trois mois j’ai fais de la direction de cascades sur le long-métrage « Largo Winch », de Jérôme Salle. Avec eux on a déjà fait Malt, la Sicile, et maintenant on est sur « Transporteur 3 », un film d’Olivier Mégaton.
Dans « Largo Winch », les cascades seront orientées dans quel style ?
Genre free-style. On a tout fait faire à l’acteur, sans doublure, donc travail assez complexe. Notamment, une chute de trente-sept mètres dans le vide, une très belle bagarre préparée pendant un mois, qui se passera sur le toit d’un hôtel… Très sympa !
Est-ce dur de coacher des acteurs qui à la base ne sont pas des cascadeurs ?
Un cascadeur va aller à fond dans son action, il va la vivre pleinement. Si un acteur doit faire un saut en chute libre et que c’est sa première fois… il va peut-être vivre son action, mais pas comme souhaité pour son personnage. S’il est censé incarner un parachutiste qui en est à son douze millième saut, ça va pas le faire ! C’est ça notre travail, amener l’acteur à une attitude physique et émotionnelle adéquate.
Ces dernières années (et tout particulièrement cette année), tu t’orientes de plus en plus vers le métier d’acteur. Pourquoi as-tu si souvent des rôles de méchant ?
C’est mathématique ! Je suis réalisateur de cascades… Dans un scénario, le personnage qui combat, qui manie les armes, s’échappe etc… c’est souvent le méchant. Niveau budget, pas facile pour une production de former un acteur qui exécutera tout ça. Sur « Truand » ou « 36 Quai des Orfèvres » par exemple, les metteurs en scène savaient que j’aime jouer la comédie et que je pouvais exécuter toutes les cascades demandées. Et comme l’entente est bonne, on m’a donné les rôles. A force de réfléchir avec eux sur les acteurs envisageables, on finit par me dire « et tiens, pourquoi pas toi ? ». C’est comme ça que ça a démarré.
Es-tu désormais davantage comédien que cascadeur ?
Non, je suis l’un comme l’autre. Qu’est-ce qu’être acteur au juste ? Je ne pense pas l’être dans l’absolu, j’ai plutôt des armes me permettant d’être un bon acteur, en tout cas d’en faire le métier. Bien sûr il me reste à me perfectionner ; il y a quelques années, j’ai suivi les cours de l’Actor ! Tout le monde peut avoir son instant de gloire, mais moi j’ai mis vingt piges pour m’imposer dans le milieu. Lorsque je fais l’acteur, je le fais pour des choses que je maîtrise à fond. Apparemment j’ai une gueule qui passe, mais surtout je me prends pas au sérieux. C’est pas tant l’envie d’être acteur qui m’habite que l’envie de jouer, de m’amuser.
C’est un avantage dans le métier, d’être à la fois acteur et cascadeur ?
Oui et non. On est dans un pays où quand on exploite plusieurs qualités à la fois, on dérange. Le milieu n’est pas facile du tout, c’est pour ça que je pense avoir mérité ma place, parce qu’elle a été super dur à avoir ! Même maintenant il y a des cascadeurs que je fais bosser qui ont du mal à trouver leurs heures. Bon, ceux qui m’ont suivi depuis le début ont maintenant leurs heures, mais pendant des années ils ne les ont pas eu.
Tu évoques la dureté de ton milieu… parles-tu spécifiquement du milieu du cinéma ?
Je parle du milieu du show-biz en général. C’est une micro-population, pourtant je m’arrange pour ne pas croiser ceux que je n’aime pas. Je vais pas aux soirées, je vais pas boire des verres, je sers pas des tas de paluches… Non je fais mon job, tout simplement. Et si demain je suis connu et reconnu, ça ne me changera pas mon image, ça ne fera pas de moi une star ou un acteur à part entière.
Tu vois quelle évolution pour tes prochains films ?
Je ne sais pas, j’ai envie de voir où ça va me mener. J’aimerais taper plus dans les émotions, ne pas être toujours celui qui égorge les mecs et leur envoie des coups de flingue. Evidemment quand tu fais le méchant, c’est facile : tu as une énergie qui te propulse dans l’agressivité. Cette même énergie propulsée dans l’émotion, c’est un massacre ! J’attends le feu vert pour me lancer là-dedans. Que je puisse avoir un rôle où utiliser mon énergie dans l’émotion, et non plus dans l’agressivité. J’en fais pas une affaire, pour moi tout va très bien. Être acteur ? J’en rêvais quand j’étais môme. C’est un rêve qui est devenu palpable, mais qui a gardé son côté magique. Quand j’ai vu arriver Vin Diesel sur le tournage de « Babylon A.D. », je me suis dis « waaah putain c’est lui ! ».
Vingt ans pour s’imposer dans le cinéma… A quoi est-ce dû ? Au milieu lui-même ?
Je le répète, ce milieu est super chaud ! Y’a des gens bien, mais y’a aussi de ces connards… C’est pour ça que je tiens à mon éthique. Ne pas se la péter, écouter les gens, les recevoir… seulement, de ce que je viens de te citer, on ne m’en a pas donné un pour cent ! On m’a pas toujours écouté, on m’a souvent envoyé me faire foutre, ça a été monstrueux. Bon, ça aussi ça a été une école. Encore qu’à quarante-cinq ans, je me demande si c’est ça une école, ou si c’est se moquer du monde. Envoyer les gens se faire foutre, ça, une école ?!
Je ne dis pas : que tout devrait arriver pas sur un plateau, c’est normal. Qu’on te dirige, c’est normal aussi. Quand j’étais jeune j’ai mis des gens en danger, moi y compris. Un accident par ma faute et on ne m’engageait plus nul part, mais à cet âge t’y penses pas.
Il y a beaucoup de choses que tu as fait hier et que tu ne referais pas aujourd’hui ?
Oui, je pense que j’aurais envoyer balader moins de gens ! Il y en a qui liront ça et qui se reconnaîtront… Même chez les journalistes, il y a des interviews que j’ai fait et qui ne sont jamais passées.
Aujourd’hui encore je suis insolent, j’aime bien avoir raison… j’ai changé, mais seulement en partie. Ce caractère est un peu devenu ma marque de fabrique. Si j’aime avoir raison ce n’est pas gratuit, c’est parce que je défends mes convictions, et que je m’investis à fond dans ce que je fais. Du coup quand j’ai tort, j’ai les boules.
Si je réponds mal à quelqu’un sur un tournage, c’est parce que je suis sous pression. On vient parfois me déranger pendant que je bosse, alors que si je fais une connerie il y a dix-huit blessés par ma faute. C’est ça le truc inhumain dans notre métier : on bosse ! On bosse tellement que sur un tournage, on a pas de temps à perdre pour le reste.
Comment le public considère-t-il le monde de la cascade ?
Pour beaucoup de gens, la cascade c’est Belmondo. Personne te parle de Charlie Chaplin, de Buster Keaton, du cinéma muet…
Mais Chaplin, ce n’est pas plutôt de la pantomime ?
Quand Charlot chute sur le béton ou que Keaton est collé à un train, y’a pas de pantomime qui tienne. La cascade c’est tellement mal promotionnée que pour les gens c’est : cascadeur = malade. Alors que le bon cascadeur c’est celui qui ne se blesse pas, et qui refuse de faire les choses qu’il ne maîtrise pas. Tant que ce sera pas expliqué comme ça on nous prendra pour des psychopathes, moi pendant des années on m’a renvoyé cette image. Au mieux, on voit le cascadeur comme un bagarreur. Mais une scène de combat ce n’est pas une scène de cascade. Dans mon métier je ne suis pas là pour faire du spectacle, mais pour provoquer l’illusion.
Comment as-tu démarré les arts-martiaux ?
J’ai eu envie d’en faire à partir de 5 ans, en même temps que le cinoche. Mon père m’a inscrit au judo. Au-dessus du cours il y avait du taekwondo, et au dessus du combat pied-poing. Je me suis mis au taekwondo, et ensuite j’ai essayé beaucoup de choses. Pas loin de 40 ans d’arts martiaux dans les pattes. J’étais très bagarreur et en même temps hyper timide, et j’étais agressif surtout lorsque j’avais peur. La compétition, les championnats, ça n’a jamais été mon truc, j’ai juste été poussé à passer les ceintures. Déjà dans mes combats je ressentais le sens scénique, la gestuelle qui ferait mon futur métier.
Justement… comment passe-ton des arts martiaux à la cascade ?
J’ai monté des spectacles avec des potes, on s’est fait remarquer à droite à gauche. J’ai galéré pendant une bonne dizaine d’années avant de toucher le cinéma. Tout le monde me jetait ! En même temps j’en envoyais promener pas mal moi aussi, alors c’était de bonne guerre. N’empêche qu’en attendant on bossait tous à côté, on faisait de la manutention, de la livraison de journaux… J’ai versé des larmes de sang. Aujourd’hui quand on me dit « t’as de la chance », ça me fait marrer.
Est-ce que ce sera plus facile pour les prochaines générations ? As-tu rendu les choses plus accessibles aux futurs cascadeurs ?
J’ai sans doute fait bouger les choses. S’il y a bien une chose que je pense avoir amené, c’est le prototype du mec qui quand il veut y aller, il y va. Ceux qui m’ont vu par terre, sans oseille, ont vu depuis qu’on peut se sortir de la galère, quel que soit le milieu. Je travaille qu’avec des gens qui me font rêver, je refuse les projets qui ne me plaisent pas. C’est ce que j’ai payé, toutes ces années passées à trimer c’était dans ce but. Je suis autant ouvert aux grosses productions qu’aux jeunes réalisateurs et aux courts-métrages. Parfois je fais des trucs, c’est limite si ça me coûte pas des sous ! Je fais ce qu’on n’a pas fait pour moi, je donne maintenant aux autres ce que j’aurais bien voulu qu’on me donne à l’époque.
Venons-en à « Chrysalis », dans lequel tu joues les rôles de Dimitri et Danis. J’ai été assez surpris de voir tant de critiques acerbes sur le net, dans les journaux…
On s’est fait défoncer ! Le film de genre français passe mal, surtout la S.F. Les américains sont habitués à le faire mieux que nous, normal avec la thune qu’ils ont. A Toronto les gens étaient debout à applaudir, le film se vend un peu partout dans le monde, pourtant Julien Leclerq s’est pris une claque en France. D’ailleurs suite à « Chrysalis », j’ai eu des propositions de contrats venus des Etats-Unis, mais aucun de l’hexagone ! « Chrysalis » on a le droit de pas aimer, de là à le descendre avec tant de méchanceté… On avait fait pareil pour « Nid de guêpe », et depuis la sortie DVD c’est devenu un incontournable.
Quel est ton art martial préféré ? Ton style est-il plus influencé par une pratique qu’une autre ?
Mon avantage c’est d’avoir expérimenté pleins d’arts martiaux différents. C’est ce qui fait aujourd’hui la spécificité de Figlarz Action. Je n’ai pas d’art martial fétiche, et il n’y en a pas un plus efficace qu’un autre. Ce qui fait le combat c’est avant tout l’état d’esprit d’un homme. Son sang froid, ses états d’âmes… même s’il y a des techniques spécifiques derrière. Moi j’aime le karaté, le jujitsu, le judo, le taekwondo… J’adore les nouveaux sports comme le Mix Martial Art ou le free-fight. Dans mon style de chorégraphie, c’est plus un mélange de différents self-défense. Une chose à ne pas confondre : les arts-martiaux et les sports de combat. Un sport de combat est propre à l’affrontement, aux combats de rue. C’est ce qui ressort dans bien des directions d’acteur : ce sont des choses plus simples à exécuter pour des gens qui souvent ne sont pas des pratiquants.
Filmographie d’Alain Figlarz :
2002 : « Les percutés », « Femme Fatale », « Koan »…
2004 : « 36 Quai des Orfèvres », « Je suis un assassin », « Arsène Lupin »
2005 : « Voici venu le temps », « Anthony Zimmer », « Virgil »…
2006 : « Les brigades du tigre », « L’entente cordiale »…
2007 : « Truands », « Scorpion », « Chrysalis », « 13 M carrés »
2008 : « Babylon A.D. », « Largo Winch »
Propos recueillis par