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Temps d’un Centenaire (Le)
Mircea Eliade
Gallimard, Folio, n°4652, nouvelles (2), traduction (Roumain), Fantastique, 221 pages, octobre 2007, 6,30€

Un vieil homme, frappé par la foudre, se met à rajeunir et acquiert une mémoire encyclopédique, quasi sans limites.
Un jeune étudiant borgne, surnommé Dayan par ses amis, croise un inconnu qui se présente comme le « Juif Errant », mais la police secrète roumaine enquête et souhaiterait bien en savoir plus...

Ambiances fantastiques, mystiques et contemplatives, autour de deux récits de l’écrivain d’origine roumaine, Mircea Eliade.



La nouvelle “Le Temps d’un Centenaire” qui ouvre ce recueil et focalise par conséquent l’attention, a été adaptée très récemment par Francis Ford Coppola sous le titre de « L’Homme sans Âge » (film pas inintéressant mais bide grand public), la seconde, “Dayan,” tout aussi surprenante et sans doute encore plus aboutie, aurait pu tout aussi bien l’être.

Contemporain et ami de Cioran et Ionesco, deux des plus grandes plumes du vingtième siècle, Mircea Eliade a consacré une grande partie de sa vie à l’étude des religions.
Défendant des positions souvent jugées iconoclastes, sa renommé fut d’emblée établie dès la publication de son « Mythe de l’Éternel Retour » en 1949. Spécialiste de l’étude des phénomènes religieux (la phénoménologie), de l’interprétation de nombreux textes sacrés (l’herméneutique), il traîne aussi, tout comme Cioran et a contrario de Ionesco -farouche démocrate humaniste- un passé troublé et contestable de fervent supporter des régimes fascistes (la Roumanie d’avant-guerre et le Portugal de Salazar entre autres).
Il est aussi l’inventeur du concept de “hiérophanie” (manifestation du sacré) qui lui valut bien des controverses car flirtant pour beaucoup avec l’ésotérisme.
Mircea Eliade parlait aussi parfaitement plusieurs langues, possédait une grande culture, fit une longue carrière universitaire et écrivait d’étranges nouvelles aux ambiances fantastiques évidentes.
Zones d’ombres et de lumières étroitement mêlées, il faudra passer outre certains de ces faits biographiques avérés pour savourer deux textes qui valent largement le détour.

Syndrome “Nom de la Rose” difficilement contourné malgré les efforts du traducteur, il faudra aussi se coltiner de nombreuses citations -en diverses langues non possédées par le commun des mortels- pour déguster l’intégralité des textes proposés. Il est vrai qu’en ces temps de cultures déclinantes, qui s’encombre d’idiomes en désuétudes voire disparues ? Léger problème, une bonne partie de ces citations ont leur importance quant au sens profond de ces deux nouvelles (et merci Google pour l’aide à la traduction). Tout au moins, elles en facilitent l’accès et la perception.
Consolons-nous comme nous le pouvons en pensant au lecteur anglo-saxon moyen, qui doit encore se demander pourquoi cet écrivain roumain a mis autant d’expressions françaises dans ses textes !

Mais pourquoi ce long préambule ? Parce que ces informations ont leur importance. Parce qu’elles alimentent et influencent également les deux récits (“Le Temps d’un Centenaire” et “Dayan”).
Ainsi, le contexte socioculturel choisi (un professeur de faculté puis un étudiant) est une trame récurrente, les deux époques évoquées (l’avant et l’après guerre en Roumanie) sont présentées sous des jours assez similaires et les faits développés (deux coups de foudre transformateurs de l’homme) s’établissent comme de simples effets de mise scène, très théâtralisés, préludes objectifs au transit d’un unique message que l’écrivain veut faire passer auprès de ses lecteurs.

Ensuite, plusieurs facteurs s’agglomèrent et titillent la curiosité. Par deux fois des introductions très rapides, avec une présentation du mystère initial planté en quelques pages, ouvrent les deux aventures. Une bonne cinquantaine de pages, moins enlevées et plus contemplatives, succèdent aussi à ces départs tonitruants, centrés sur l’état d’esprit (à tous les niveaux) du personnage principal. Puis, c’est par un gros coup d’accélérateur final, qui emporte l’adhésion via une heureuse et énergique relance du récit, que tout va se conclure en forme de morale quasi mystique.
Étrangement, si la mort est à chaque fois au rendez-vous, si la fin de l’humanité s’impose à l’auteur comme un destin inévitable et le plus souvent précisément daté, on ressort de la lecture du “Temps d’un Centenaire” et de “Dayan” avec un petit sourire aux lèvres.
C’est que Mircea Eliade n’oublie pas l’humour et offre à ses deux héros des fins finalement heureuses. La mort est là, présente, implacable, mais n’est pas le grand oubli éternel. Juste un changement de plans, de dimensions, nécessaire à l’épanouissement de l’âme enfin détachée de toutes les préoccupations héritées de l’existence terrestre. Et à chaque fois, un étrange “passeur” se charge de la délicate mission à accomplir.
Deux visions surprenantes et identiques d’un modus operandi venu d’en haut ou du Très Haut (la foudre, un orage, le ciel) sont le terreau fertile sur lequel va croître et fleurir le message de l’écrivain.
Pris dans un tourbillon temporel assez hypnotisant de dates qui se croisent, se mélangent et se séparent, il faudra accepter de se dissoudre dans la pensée de l’auteur -tout comme son professeur Matei ou Dayan confient leur sort à une ou un inconnu- pour avoir une chance d’accéder à la connaissance et à un semblant de compréhension.

Étranges, envoûtantes, difficiles (aussi), subtiles, deux nouvelles qui s’affirment entre écueils à contourner et moments de grands calmes transcendantaux.
Évidemment, on n’est jamais sur de rien. Ni d’avoir compris la pensée profonde de l’auteur, ni d’être certain qu’elle soit vraiment aussi profonde que cela. Et pourtant, une grâce évidente s’échappe de ces deux histoires, un parfum de délicate séduction indéfinissable nous étreint et finit par emporter le morceau.

Titre : Le Temps d’un Centenaire suivi de Dayan (Tinerete Fàrà Tinerete & Dayan, 1981)
Auteur : Mircea Eliade
Nouvelles (deux) : “Le Temps d’un Centenaire” & “Dayan”
Traductions (du Roumain) : Alain Paruit
Couverture : L’Homme sans Âge (affiche du film, reproduction)
Éditeur : Gallimard
Collection : Folio
Numéro : 4652
Site Internet : L’Homme sans Âge, le film
Pages : 221
Dépôt légal : octobre 2007
Code Hachette : A 34 543
EAN : 9 782070 345434
ISBN : 978-2-07-034543-4
Prix : 6,30€


Stéphane Pons
5 février 2008


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Édition de poche chez Folio (n°4652) de la nouvelle de Mircea Eliade adaptée en 2007 par Francis Ford Coppola sur grand écran.



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L’édition originale française, moyen format, est toujours disponible en NRF (Gallimard, coll. Monde Entier, 1981).



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