Jusqu’à présent, Robert Jackson Bennett nous avait habitués au grand spectacle, à des débauches de moyens. C’est du moins l’impression que j’en ai gardée. « À lire à ton réveil » s’avère différent, plus apaisé, plus intimiste, car le lecteur lit les lettres envoyées par James à son amoureux Laurence. Il y raconte son départ dans l’urgence de Londres, sa fuite vers la France et plus précisément vers une ancienne abbaye en ruines en Lorraine. Pour le lecteur, ces lettres sont à sens unique, car il ne sait ce que répond Laurence que par l’intermédiaire de ce qu’en dit James en réaction. Cet échange épistolaire à sens unique dévoile une histoire intrigante. James n’a pas choisi cette abbaye au hasard, il pense qu’il s’agit de l’un des premiers sites chrétiens. En plein hiver, le voilà à creuser pour mettre à jour les restes de murets délimitant l’édifice. Il s’échine dans le froid, seul, car ce lieu a sinistre réputation. Bizarrement il a l’impression que ses fouilles mettent à jour plus qu’elles ne devraient, les murs s’avèrent après coup plus hauts que ce dont il se souvenait, comme si l’édifice renaissait à la vie. Et puis il s’aperçoit qu’il a un voisin pour le moins étrange qui lui tient de temps en temps compagnie, au contraire de Laurence à la santé fragile et qui tarde à le rejoindre.
L’hiver est rigoureux, la solitude se dégage de ces lieux, ainsi qu’un sentiment dérangeant avec la topologie du bâtiment que James dégage. Le lecteur comprend rapidement que quelque chose cloche, alors que James arbore des œillères, il a la tête plongée dans le guidon, tout à ses travaux fastidieux et éreintants dans des conditions très difficiles. Il partage avec Laurence sa peine, ses doutes, mais continue son œuvre comme s’il était investi d’une mission. Le lecteur est suspendu à ses mots, désireux de connaître l’avancée du chantier, car quel est vraiment cet édifice, qui sont les individus que James croise à l’occasion ? Il semble y avoir un glissement de la réalité autour de ce lieu et c’est vraiment bien suggéré par l’auteur à travers une construction bien maîtrisée s’attachant aux lettres de James à Laurence.
Ce registre plus intimiste réussit bien à Robert Jackson Bennett qui livre un récit séduisant aussi bien par la forme que le fond. Il émoustille la curiosité des lecteurs accrochés aux courriers de James, tout à son éreintant labeur. La construction qu’il révèle prend une place toujours plus importante dans son quotidien, cette proximité inquiétante plane autour du protagoniste comme une menace. L’étrange s’invite, la réalité vacille... Un bien beau Une Heure-Lumière !
Titre : À lire à ton réveil (To Be Read Upon Your Waking, 2012)
Auteur : Robert Jackson Bennett
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Michel Charrier
Couverture et conception graphique : Aurélien Police
Éditeur : Le Bélial’
Collection : Une Heure-Lumière
Numérotation dans la collection : 59
Directeur de collection : Olivier Girard
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 106
Format (en cm) : 12 x 18
Dépôt légal : mai 2025
ISBN : 9782381631790
Prix : 11,90 €
Robert Jackson Bennett sur la Yozone :
Les maîtres enlumineurs
Les maîtres enlumineurs, tome 2 : Le retour du hiérophante
Les maîtres enlumineurs, tome 3 : Les terres closes
« American Elsewhere », version Albin Michel Imaginaire et Livre de Poche
« Vigilance »
Derniers titres de la collection chroniqués :
48. « Barbares » de Rich Larson
49. « Sweet Harmony » de Claire North
50. « De l’espace et du temps » d’Alastair Reynolds
51. « La marche funèbre des marionnettes » d’Adam-Troy Castro
52. « Kid Wolf et Kraken Boy » de Sam J. Miller
53. « L’automate de Nuremberg » de Thomas Day
54. « Les fils enchevêtrés des marionnettes » d’Adam-Troy Castro
55. « Les armées de ceux que j’aime » de Ken Liu
56. « As-tu mérité tes yeux ? » de Eric LaRocca
57. « L’inversion de Polyphème » de Serge Lehman
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