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Krummavisur
Ian Manook
Le Livre de Poche, n°38039, policier, 423 pages, mai 2025, 9,40 €


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« Au-dessus, l’hélicoptère en stationnaire, assez haut pour que le vent ne les gêne pas, assure les deux hommes qui travaillent sur le bloc de glace autour des trois corps en étoile qui ajoutent à l’irréalité de la scène. »

Troisième volume, après « Heimaey  » et « Askja  », des enquêtes de l’inspecteur Kornelius Jakobsson, surnommé par ses pairs le “pire meilleur flic d’Islande’, celui qui, explique un des personnages, “prend ses supérieurs en otage et fait des conférences de presse en slip”, « Krummavisur  » prend pour titre la complainte du corbeau affamé, celle que Kornelius Jakobsson, justement, chantonne aux meilleurs et aux pires moments.

Une complainte sinistre qui sied à plus d’un élément de l’enquête : une jeune fille retrouvée morte au fond d’un chalutier, les deux coupables dézingués à coups de feu par une personnalité politique en vue, un avion pris dans la crevasse d’un glacier et retrouvé des décennies plus tard avec son pilote et son passager, mais en compagnie d’un troisième cadavre, un scientifique dont la disparition apparaît bien plus récente. Une ambassade américaine qui fait disparaître les corps et qui ferait bien disparaître ici et là quelques vivants, sans compter un avocat véreux de chez véreux qui ferait lui-même peur à tous les corbeaux de la région. Et des crapules en tous genres qui en balancent d’autres encore dans d’autres crevasses.

Viré de la police depuis un moment, Kornelius Jakobsson, qui semble néanmoins aimanté par les morts violentes, se trouve au bon endroit au bon moment – ou au mauvais endroit et au mauvais moment, c’est selon – et se voit requis comme témoin et consultant au côté de l’inspecteur Ari Eiriksson. Il aura fort à faire pour démêler les fils emmêlés de plusieurs intrigues, sans compter une vie personnelle compliquée entre son ex-épouse, son père, sa fille et tutti quanti.

On pourra rester dubitatif sur la manœuvre hâtivement échafaudée par le procureur et son avocat (commettre un double crime prétendument passionnel pour glisser pire sous le tapis), manœuvre qui semble d’emblée bien trop improvisée pour avoir la moindre chance de réussir, mais on peut apprécier la course de vitesse du suspect et de son avocat affairés à fabriquer des preuves pour faire croire à des investigateurs dubitatifs qu’une relation imaginaire a bel et bien poursuivie, et l’auteur s’y prend plutôt bien, en rendant son intrigue plus riche, plus complexe et plus touffue au fil des chapitres, pour donner à l’ensemble une vraie cohérence. Car ce qui se dessine en arrière-plan n’est autre que le fameux projet Iceworm américain au Groenland, qui trouve de nos jours plus d’un écho dans certains délires trumpistes que l’auteur n’omet pas de mentionner.

On connaît Manook  : les personnages restent au premier plan avec leurs aspects humains, leurs faiblesses et leurs caractéristiques personnelles, dont les dictons foireux d’Eiriksson, hérités de son grand-père et qui par leur récurrence surréaliste font office de running gag. Autre caractéristique de Manook / Braverman, les oppositions frontales entres les personnages (ici entre Eiriksson et Jakobsson d’une part, et le premier flic national, les commandos héliportés Viking, les Américains et autres crapules d’autre part), confrontations donnant lieu à des dialogues tantôt au couteau, tantôt au fleuret moucheté. Habitude de Manook également, faire passer tout ce qu’il a pu glaner en documentation ou visites à travers les échanges entre personnages pour que cela ne sente pas (trop) ostensiblement l’artifice. Nul besoin d’être un lecteur expérimenté pour ne pas être dupe et ne pas sentir la technique mais les informations disséminées ici et là donnent un aspect didactique bienvenu. Autre élément de la recette Manook, les recettes justement, mets locaux et cocktails (mention spéciale aux oiseaux morts laissés à macérer dans une peau de phoque), mais aussi les descriptions soignées de la nature encore sauvage, et de la manière dont les Islandais la respectent en intégrant discrètement leurs maisons dans de vastes paysages qu’ils peuvent apprécier à travers de grandes baies vitrées.

Riche, humain, documenté, ancré dans le réel, « Krummavisur  » apparaît donc comme un Manook / Braverman type. Pour les habitués de l’auteur, il manque peut-être un petit effet de surprise, une originalité que les changements de pays d’un roman à l’autre ne suffisent pas toujours à créer, un grain de folie qui permettrait de faire sortir « Krummavisur  » du lot. Reste un polar au-dessus du tout-venant, à la fois dense et distrayant, qui se lit sans déplaisir.


Titre : Krummavisur
Auteur : Ian Manook
Couverture : Studio LGF
Éditeur : Le Livre de Poche (édition originale : Flammarion, 2024)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 38039
Pages : 423
Format (en cm) :11 x 18
Dépôt légal : mai 2025
ISBN : 9782253250197
Prix : 9,40 €


Ian Manook alias Roy Braverman alias Hugo Tosi sur la Yozone :

- « Manhattan Sunset » de Roy Braverman
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Sous le nom de Hugo Tosi
- « Le Dossier iO » de Hugo Tosi



Hilaire Alrune
31 mai 2025


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