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Amants étrangers (Les)
Philip José Farmer
Folio SF, roman (ré édition), traduction (Américain), 268 pages, janvier 2007, 6€

En 3050, ça ne rigole pas sur la planète Terre. Le Clergétat domine la société et impose sa morale rigoriste aux hommes.
Hal Yarrow qui n’en peut plus de la bigoterie de sa femme file de bon coeur en mission sur la planète Ozagen. Il ne sait pas que là-bas, il va tomber amoureux d’une belle et mystérieuse alien, la séduisante Jeannette.
Une romance impossible, condamnée par ses contemporains et qui, en plus, lui réservera une étonnante et dramatique surprise.
Même dans un lointain futur, les barrières sociales et raciales ne s’effacent pas comme cela !



LA CRITIQUE DE HERVÉ THIELLEMENT

Si j’en crois Sam Moskowitz, le préfacier du CLA, ce roman est basé sur la deuxième nouvelle publiée par Farmer en 1952, qui lui a permis d’obtenir le prix Hugo du nouvel auteur en 1953. C’était la première fois en SF que l’histoire était centrée sur la sexualité. Le retentissement a été important et a ouvert des portes jusque là restées fermées.

Ce roman est donc devenu aujourd’hui un classique et cette énième ré édition apparaît logique. Pourtant, n’en déplaise à certains, ce livre a vieilli et sa relecture, presque 40 ans après, est un peu décevante.

D’abord, le style est loin d’être fluide et il y a des passages pénibles à lire. De longs développements inutiles sur la linguistique sont particulièrement ennuyeux, comme tous ces mots imprononçables en langage extra-terrestre. Le début, qui nous plonge dans cette théocratie, le Clergétat, dans ce monde coercitif et pudibond où liberté et sexualité n’existent pas, m’a semblé très long et inutilement détaillé.

La véritable histoire ne commence que dans la deuxième partie du livre, avec la rencontre de cet humain Hal Yarrow et de la belle Jeannette. À partir de ce moment le roman prend une autre dimension et la fin extraordinaire est particulièrement bien amenée.

Certes, les explications “biologiques” fournies prêtent aujourd’hui à sourire mais ce n’est pas très grave puisque l’importance du message est ailleurs, dans le concept d’amour interspécifique.

La définition de cet amour peut néanmoins être discutée puisqu’il s’agit exclusivement d’attirance physique d’un pudibond coincé pour une femme trop belle et trop libre. Le côté nunuche de la dame, qui fait la cuisine et la vaisselle, est partiellement expliqué par sa véritable nature. Admettons. Mais la libération de la femme n’était clairement pas d’actualité au début des années 50.

Pour les curieux et les lettrés, Michel Desimon, illustrateur et postfacier du CLA, nous explique avec précision et références que Farmer a, dans son roman, repris et réinterprété le mythe de Lilith d’après le Talmud.

Pour conclure, ce roman doit être lu parce que c’est un classique incontournable du genre, mais avec la distance imposée par cet autre temps où il a été écrit.

Hervé Thiellement

LA CRITIQUE DE STÉPHANE PONS

Réédition utile au format de poche, ce texte était depuis longtemps introuvable à moins de se référer à la belle édition Terre de Brume (moyen format) de 2005. Ce Folio SF en reprend d’ailleurs la traduction de Michel Deutsch révisée par Nadia Fisher.

Les différences avec la première traduction publiée au CLA (Opta, 1968) et maintes fois reprise par J’ai Lu (1974, 76, 84, 90 & 93) sont à la marge. Tout juste remarque-t-on une volonté d’énergiser le récit en le rendant plus fluide. Ainsi et par exemple, « Il doit bien y avoir une issue » remplace utilement « il doit bien y avoir une porte de sortie ». Par contre, on n’est pas certain que « Et quel était cet endroit ? » soit plus porteur de sens que « Et où était-il ? ». Bref, les exemples sont multiples, les différences minimes et le travail de révision de Nadia Fisher n’est ni une trahison sur le fond, ni un grand chamboulement sur la forme.

Un peu d’histoire maintenant ! Depuis 1961, « Les Amants Étrangers » de Philip José Farmer se balade avec une réputation sulfureuse de « roman SF sexuel ». Autant le dire tout de suite, la réputation mythique a pris du plomb dans l’aile. Certes, l’histoire d’amour entre Hal Yarrow, un terrien un rien complexé et la belle Jeannette, la séduisante alien, était novatrice, voire provocatrice en son temps.
Partant, aujourd’hui, l’intérêt du roman n’est plus dans l’acte charnel évoqué ou décrit. La New Wave est passée par là, Moorcock, Aldiss, Spinrad, Ballard et Cie ont longuement défriché le terrain, l’écrivain américain John Boyd aussi (chez lui, les plantes extraterrestres violent le premier humain passant à portée de tubercule !) et de nombreux auteurs ont depuis longtemps mis sous l’éteignoir le puritanisme qui rampait sous les cinquante premières années de la SF anglo-saxonne.

Plus intéressant, mature et contemporain qu’il n’y paraît, le traitement sociopolitique des thématiques « morales » et du puritanisme de la société américaine future (en 3050, quand même !) titille justement notre réflexion a posteriori.
Évidemment, quand Farmer en écrivit la première version sous forme de nouvelle (1951), l’Amérique était en plein maccarthysme (1950-56), quand la version actuelle fut publiée (1961), elle venait tout juste d’en sortir et tout cela résonnait autrement. La Peace and Love Generation n’était pas encore passée par là et une chape de plomb recouvrait encore la société US. Grâce soit rendue à “mister President George W. Bush himself”, en devenant l’accoucheur d’anciens démons, soutenu par les ligues morales et religieuses les plus obscurantistes, il a réussi a prouvé que, finalement, les problématiques soulevées par Farmer sont assez intemporelles.
Ainsi, la société décrite par le romancier en 1961 n’évoque-t-elle pas l’Espagne des Conquistadores partant à l’assaut du Nouveau Monde, fanatiques religieux dans les bagages compris ? La passion entre Hal Yarrow et Jeannette ne suscite-t-elle pas les mêmes réactions vindicatives, la même opprobre morale, qu’une histoire d’amour entre un noble castillan et une belle indigène d’Amérique du Sud quelques siècles plus tôt ? Assurément ! Le schéma est classique, le problème aussi vieux que l’humanité et Farmer utilise simplement la SF comme une nouvelle et pratique trousse à outils.

À l’heure où l’on vote encore en Europe pour savoir si l’on pourra avorter ou divorcer ici ou là, au moment même où le Vatican exprime son mécontentement et la moindre religion son irritabilité ancestrale face aux évolutions de nos sociétés, « Les Amants Étrangers » apparaît toujours comme un texte utile.

Attention, il ne s’agit pas non plus d’un simple exercice de style. L’auteur n’en traite pas moins le contenu SF très (trop ?) sérieusement. Les nombreux chapitres qu’il émaille de dialectes aliens, les longues descriptions de la faune et de la flore d’Ozagen, sont autant de passages destinés à « planter » l’ambiance et à transplanter l’esprit du lecteur vers un ailleurs crédible.

Farmer avait-il atteint la pleine maîtrise de son style ? Oui et non. Cette réponse de Normand mérite une petite explication. Farmer a toujours eu une certaine tendance à l’allongement inutile de ses textes (cf. le très beau « Cycle du Fleuve » qui n’en manque pas), un goût pas toujours modéré, du plaisir d’écrire pour écrire (cf. ses nombreuses parodies des grands classiques de la SF tels Jules Verne et E.R. Burroughs).
Défauts pour les uns, qualités pour les autres, ces « longueurs » sont une de ses marques de fabrique. Là où la différence avec d’autres textes plus récents est frappante, tient plutôt dans le nombre réduit d’idées que le roman aborde (deux en fait). Plus tard, Farmer se lâchera totalement créant des univers complexes (cf. les sept romans de « La Saga des Hommes-Dieux ») aux intrigues multiples. Sur des thématiques plus « sexuelles », on pourrait même préférer le très imaginatif « Ose » (1965) ou les cinq nouvelles qui composent « Des Rapports Étranges » (1960).
Soyons justes, même si « Les Amants Étrangers » a pris un petit coup de vieux, la sauce prend, séduit toujours et devrait même toucher de nombreux jeunes lecteurs.

Finalement, et c’est une bonne nouvelle, cette réédition séduit là où on ne l’attendait pas ! On se souvenait du stupre, d’un texte piquant, on y trouve matière à réfléchir, à penser et à philosopher utilement.

Comme quoi, il faut toujours lire -ou relire- les classiques, ils gardent souvent en réserve des arguments convaincants !

Stéphane Pons

Titre : Les Amants Étrangers (The Lovers, 1961)
Auteur : Philip José Farmer
Traduction (de l’américain) : Michel Deutsch, révisée par Nadia Fischer
Précédentes éditions : Terre de Brume (2005), première traduction CLA (Opta, 1968) puis J’ai Lu (1974, 76, 84, 90 & 93)
Couverture (souple) : illustration d’Anne Rouvin
Éditeur : Gallimard
Collection : Folio SF, N°268
Pages : 268
Format (en cm) : 17,8 x 1,5 x 10,8
Dépôt légal : janvier 2007
ISBN : 978-2-07-031264-1
EAN : 9-782070-312641
Prix : 6€


Stéphane Pons
Hervé Thiellement
24 février 2007


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Une édition en Folio SF utile



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Qui reprend le texte dans sa traduction révisée, publié chez Terre de Brume en 2005.



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La première édition du Club du Livre d’Anticipation (N°13, 1968)



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Les illustrations intérieures de Michel Desimon (CLA N°13)



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Idem (CLA N°13)



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La première édition made in j’ai Lu ne laisse planer aucun doute !



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Pas plus que les autres !



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