Un déluge d’images renversantes
En recherche perpétuelle, Jean Solé a sacrifié la stabilité graphique à l’exploration de tous les styles, même si les spécialistes reconnaissent immédiatement un dessin exécuté avec sa minutie d’enlumineur. Il a écumé presque tout ce que la bande dessinée compte de revues depuis ses débuts à Pilote en passant par L’Echo des Savanes et Fluide Glacial, ainsi que les magazines spécialisés, notamment de musique comme Rock & Folk, les revues d’actualité comme L’Express, L’Humanité ou Le Figaro magazine. Curieusement, pour quelqu’un dont la sensibilité est de gauche, il n’a jamais publié dans Libé ou L’Obs. Il n’a pourtant jamais refusé une commande, s’efforçant de satisfaire honnêtement à la demande, en artisan scrupuleux. Une dispersion qui ne contribua pas à sa visibilité, ce qui explique que cet ouvrage est le premier à lui être consacré.

Cet entretien fleuve abondamment illustré, tout aussi scrupuleusement mené par Richard Comballot, revient sur une carrière protéiforme encore en développement. Immigré espagnol, Jean Solé ne cache rien de ses difficiles relations avec son père qui lui reprochait son obstination du dessin au détriment des études, l’enfant s’avérant être un cancre devenu par la force des choses faussaire en bulletin scolaire. Il ne tait pas son viscéral refus de la discipline et de l’uniforme, fut-il sportif, ce qui lui vaudra bien des déboires au service militaire. On aurait pu imaginer qu’il aurait bénéficié, comme Giraud ou Chéret passés par là, d’une planque de dessinateur chargé d’un bulletin interne, de la décoration de la salle des fêtes ou des cartes d’invitation pour le colonel en poste. Son quotidien sera plutôt le trou et de pénibles corvées. Ses deux plus saisissants souvenirs ? Le jour où Goscinny lui téléphone pour l’intégrer à la rédaction de Pilote où il avait déposé sans grande conviction un dossier, et un concert des Beatles qui en a fait un inconditionnel et l’a définitivement acquis à la cause du rock, comme en témoignent ses nombreuses illustrations d’artistes, tout en conservant, en musique aussi, un éclectisme et une curiosité inaltérables. On l’aura compris : la carrière de Solé est riche d’images d’une inventivité folle et d’un humour qui fait mouche. Son inspiration tour à tour psychédélique ou surréaliste garantit des visions saisissantes, comme les “Animaleries”, zoo improbable qui combine les animaux avec des objets du quotidien : ours-frigo, chimpanzé-machine-à-écrire, batracien-automobile…

Une série riche en calembours graphiques qu’Yves Frémion analyse en fin de volume, tandis qu’il revient dans une autre annexe sur les petits carnets que Solé crobarde depuis l’enfance, que ce collectionneur compulsif a conservé, et que Nicolas Finet commente l’aventure de “Superdupont”. Le tout est agrémenté d’une tentative de bibliographie, partielle comme il se doit avec un pareil stakhanoviste du dessin. Le seul point faible, si on voulait se montrer aussi méticuleux que les auteurs, est l’absence d’intertitres qui baliseraient les sujets abordés afin de les retrouver plus rapidement. Quoi qu’il en soit : un must.
Jean Solé, Le dessin en obsession
Auteur : Richard Comballot, avec textes des spécialistes Nicolas Finet et Yves Frémion
Illustrations : Jean Solé
Éditeur : PLG
Collection : Mémoire Vive
Pagination : 288 pages couleurs
Format : 16 x 24 cm
Date de parution : 17 novembre 2023
Numéro ISBN : 9782917837542
Prix public : 20 €
Critique par Claude Ecken
(Critique publiée dans la rubrique BD du n°87 de juillet 2024 de la revue française Galaxies, consacrée à la science-fiction.)
Complément et illustration par Fabrice Leduc
Illustrations © Jean Solé et Éditions PLG (2023)