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Dernière Sorcière (La)
Catherine Cuenca
Talents hauts, Les Héroïques, roman (France), Histoire, 220 pages, octobre 2023, 16,50€

Au début du XVIIe siècle, Michée Chauderon fuit la Savoie et cherche un emploi à Genève. Mais la ville protestante ne fait pas bon accueil aux émigrés catholiques, et les femmes pauvres sont nombreuses. Elle est recueillie par une couturière et jeune veuve, Pia, qui malgré sa propre précarité l’aide à trouver un emploi. À cette époque, on brûle en place publique une femme accusée de sorcellerie. Michée dissimule donc ses connaissances de guérisseuse, sur le conseil de Pia, mais vient en aide aux pauvres qui le demande. Malgré toutes ses précautions, le bouche-à-oreille la fait connaître.
Parfois, la petite science de Michée ne peut rien, et les proches des malades s’en prennent alors à elle, l’obligeant, sa vie durant, à changer de vie. Qu’elle ne se marie pas attire aussi l’attention, dans un monde où la vie des femmes est régentée par les hommes.



Les romans de Catherine Cuenca parus dans cette très belle collection « Les Héroïques » de talents Hauts sont souvent présents dans les prix jeunesse. Courts (« La dernière sorcière » fait 220 pages assez aérées) et percutants, ils permettent à la jeune génération de s’emparer de l’Histoire au travers de femmes souvent oubliées, mais au destin marquant dans la quête de leurs droits.

Sans pathos, Catherine Cuenca nous raconte tout le malheur d’une femme qui dispense le bien autour d’elle sans en être payée en retour. On lit toute la violence de cette période post-Renaissance, traversée par les épidémies et les guerres de religion, cette solidarité de ceux qui ont peu contre ceux qui ont encore moins (et qui perdure hélas aujourd’hui) et qui refusent de se conformer à leurs principes et leurs lois, qu’elles soient dictées par Dieu ou, plus souvent, les hommes. Loin des préceptes d’une foi éclairée, la chasse aux sorcières apparaît ici encore comme la recherche de boucs émissaires pour contenter et apaiser une divinité cruelle, et un moyen pour les hommes de canaliser la colère des foules et faire rentrer dans les rangs quiconque leur désobéit.

Elle nous raconte ici l’histoire vraie de Michée Chauderon, dernière femme condamnée pour sorcellerie en 1652. Au travers de Michée, c’est toute la vie des femmes de l’époque moderne qui transparait : corvéables à merci dans leur foyer, sous l’autorité du père ou du mari, et destinées à pondre au moins un héritier. A son arrivée à Genève, cherchant un emploi dans une auberge, le patron lui propose même de « s’occuper des hommes ». L’autrice retranscrit très bien ces atténuations langagières qui permettent à nombres d’hommes de ce roman de rabaisser les femmes à des objets sexuels, contraints d’assouvir leurs appétits. Et cela, bien sûr, en totale contradiction avec la foi chrétienne et les sacrements du mariage… Des années plus tard, lorsque Michée, enceinte d’un homme bon mais décédé avant leur mariage, se laisse convaincre d’épouser un autre homme, elle se verra accusée de « paillardise » et ils seront tous deux punis et rejetés.
Un temps servante chez la dame de Verly, elle découvre que le maître de maison, homme de loi, ne jure que par un ouvrage de chasse aux sorcières. Le maître lui tient d’ailleurs un sermon sur le Mal enracinée dans les femmes depuis Eve. Il ignore à ce moment que sa femme doit la vie aux soupes riches et aux infusions de plantes de Michée, et pas aux saignées dispensées par un médecin incompétent.
Car c’est là à peu près toute la magie de Michée : des soupes de fèves, de pain et de beurre pour redonner des forces, des infusions et décoctions de plantes pour soulager le ventre, les douleurs menstruelles ou la fièvre. L’autrice ne s’étend pas davantage sur ses recettes, car bien sûr il n’y a pas de science magique ici (et encore moins démoniaque), seulement du bon sens et quelques plantes connues depuis toujours.

Il n’en demeure pas moins que, dans une période où l’hygiène des plus pauvres n’est pas toujours parfaite, où les épidémies (comme la peste, qui décime les proches de Michée à deux reprises) sont fréquentes, la vie humaine a une valeur toute relative. Toutes les fois Michée voit des proches venir la solliciter pour sauver leur enfant, leur mère... avant de couper les ponts avec elles, pour ne pas être associée à sa « magie » si cela venait à se savoir. Elles ne lui confient plus leur linge à laver, plongeant Michée dans la précarité, la laissant à la merci des envies des hommes, comme son logeur qui l’épouserait bien pour avoir une bonne à tout faire gratuite à la maison.
Et bien sûr, quand la Savoyarde, l’Étrangère, s’avoue incapable de guérir l’être cher, c’est une vague de sentiments négatifs qui déferle : colère, jalousie, méchanceté. On lui reproche d’avoir sauvé l’un et pas l’autre. On y cherche des raisons. Puis, pire encore, elle devient bouc émissaire : on l’accuse de vol, puis d’avoir rendu malade des gens qu’elle n’aimait pas, en représailles de médisance. Tout au long du roman, l’autrice montre comment, pas toujours lentement mais sûrement, la rumeur publique enfle et vous condamne vite. Qu’elle sorte du moule (pas mariée, pas d’enfants), qu’elle soit libre est suspect, aggravant. Dans les attaques des furies, on lit la jalousie de ne pas vivre sous la coupe d’un mari violent, on lit l’aveuglement de ces femmes à sa situation, à sa pauvreté, à son insécurité. Point ici de sororité, au contraire, à de rares exceptions, les femmes font bloc contre elle, contre sa différence et sa liberté.

La dernière partie est consacrée à sa détention et à son procès en sorcellerie, avec des juges ma foi, masculins et bien de leur temps, prêts à tout (sauf à se remettre en question) pour prouver sa culpabilité : interrogatoires biaisés, examen médical douloureux et humiliant (elle est rasée et piquée avec une longue aiguille à la recherche de la « marque du Malin »), jusqu’à la torture (vous connaissez l’estrapade ? un système de contrepoids qui vous déboîte les articulations). Malgré sa condamnation et son exécution, l’autrice parvient à terminer sur une note un peu positive, avec Rita, la fille de Pia qui a toujours été une amie de Michée, et à qui cette dernière a transmis son savoir et un peu du goût de la liberté. Rita, la seule qui avait tenté de témoigner en faveur de Michée, avant de très vite comprendre que c’est le meilleur moyen pour la rejoindre sur le bûcher. Quand le simple soutien de la vérité devient accusation de complicité...

Une histoire dramatique et émouvante, révélatrice de la folie des hommes et des ravages que peuvent causer la jalousie, la méchanceté et la médisance. Un roman qui appelle plus que jamais à la solidarité et la protection de tous.


Titre : La dernière sorcière
Autrice : Catherine Cuenca
Couverture : Julia Wauters
Éditeur : Talents Hauts
Collection : Les Héroïques
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 220
Format (en cm) : 21 x 15 x 2
Dépôt légal : octobre 2023
ISBN : 9782362665646
Prix : 16,50 €



Nicolas Soffray
14 février 2025


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