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Ma vie sans gravité
Thomas Pesquet (avec Arnaud Cathrine)
J’ai Lu, n°14246, document / autobiographie, 538 pages, octobre 2024, 9,90€


Quoi de plus naturel pour un astronaute que d’affirmer, dès les premières pages de son autobiographie, qu’il faut croire «  croire à sa bonne étoile » ? Une bonne étoile ou une bonne fée, peu importe : en tout cas, et sans surprise – car l’on sait que pour devenir astronaute il faut cumuler les qualités – c’est, pour commencer, l’histoire d’un jeune homme qui, à défaut de vocation précoce, a bel et bien tous les dons. Les sciences, les langues, les sports, la musique, le pilotage et tutti quanti : Thomas Pesquet acquiert les compétences comme d’autres descendent des bières et se retrouve ingénieur spatial et pilote de ligne avant de tomber sur une petite annonce de recrutement de futurs astronautes. Et ne peut s’empêcher d’y réfléchir. Dès lors, les dés sont jetés. Le véritable marathon commence.

Les épreuves, tout d’abord. Plusieurs centaines de candidats de nationalités diverses, une très mince poignée d’astronautes potentiels à l’arrivée. Outre les requis de base – une vision parfaite, une santé parfaite – il faudra faire preuve d’une constance peu commune. De sélections globales en tests éliminatoires, d’écrémages en évictions, la cohorte au fil des mois se réduit comme peau de chagrin. Mais le succès – les futurs élus déjà le savent – ne conduira qu’à un enchaînement d’épreuves plus difficiles encore. Un entraînement perpétuel, souvent très dur, les simulations éprouvantes, l’acquisition à marche forcée et quasiment sans fin des connaissances indispensables, les longs séjours dans les centres et bases russes et américaines, et l’incompatibilité avec une vie de famille font prendre conscience de la nature des sacrifices incompressibles. Si une telle telle autobiographie, dans sa première partie, semblait à déconseiller aux lecteurs moins heureux et moins doués – ceux qui malgré leurs efforts ont été confrontés à leurs propres limites, à la malchance, aux circonstances contraires et à l’échec – ceux-ci pourront deviner en filigrane qu’en sus des dons naturels, une volonté, une puissance de travail, un acharnement peu communs sont également nécessaires. Certes, Thomas Pesquet enchaîne les stages, les entraînements et les formations comme autant de tours de manège, apprend comme en passant le russe et le chinois, et acquiert sans cesse des compétences nouvelles, mais celui qui lit entre les lignes saura deviner ici et là l’épuisement et les sacrifices d’un métier qui consiste essentiellement à se préparer au sol, des années durant, avant de partir – et également entre deux vols.

« Je dois également prendre en compte le contexte de ces années-là : en France, il est de bon ton de considérer que la présence humaine dans l’espace doit se justifier : du déjà-vu, de l’argent public qui pourrait avoir d’autres usages. »

Chance ou malchance, selon le point de vue, Thomas Pesquet se retrouve très vite en pleine lumière. Comme il le souligne lui-même, c’est un choix politique de l’Agence Spatiale Européenne – choix qui n’avait pas été fait lors des missions de l’astronaute français précédent, Léopold Eyharts, dont bien peu connaissent simplement le nom. Il faut communiquer, il faut justifier les dépenses, des sommes faramineuses qui au niveau individuel paraissent au final dérisoires – deux euros par européen et par an. Thomas Pesquet aura donc une charge supplémentaire : communiquer à tout vent à tout instant, mission dont il s’acquittera comme on sait, avec à ses côtés des personnes chargées de l’aider et de le relayer en ce sens.

« J’ai vu des maquettes, j’ai vu des photos et, comme tout être humain, j’ai développé des capacités d’imagination, mais en vrai c’est quand même complètement magique et ça restera l’une des sensations les plus marquantes de ma vie. »

Le lecteur accompagne donc l’astronaute au fil de son entraînement, puis de sa première mission de six mois dans la Station Spatiale Internationale, où il est emmené par un lanceur russe Soyouz, puis de sa seconde mission où il sera véhiculé par la firme américaine Space X. On découvre ainsi les mille et une difficultés et particularités de la vie dans l’espace, l’overview effect que tous les astronautes décrivent avec émerveillement, les complexités des sorties extra-véhiculaires, et l’on frissonne avec l’astronaute au fil des alertes de type incendie (un risque majeur) ou collision avec un débris (on trouve en note de bas de page un nombre de débris de taille diverses en orbite qui fait froid dans le dos), ou encore lors du dysfonctionnement d’un Soyouz qui est à deux doigts de disloquer la station.

Tout en accomplissant ses tâches, Thomas Pesquet communique. Beaucoup. S’il se rapproche du grand public, allant jusqu’à adopter les mêmes comportements (passant une part non négligeable de son temps à faire des photos et à les mettre en ligne, clichés autrement plus intéressants, il est vrai, que les sempiternelles photos de pizzas des rampants) c’est sans doute à la fois par passion et parce que cela fait partie de sa feuille de route. S’il partage ses expériences botaniques ou autres avec des enfants qui, sur terre, font les mêmes manipulations sous l’effet de la gravité, c’est sans doute agréable mais c’est surtout, de la part de l’Agence, une très astucieuse stratégie de communication. Pour autant, il ne faut pas être trop critique sur ces facilités destinées à s’attirer les faveurs du public. Au moins l’Agence Spatiale Européenne n’a-t-elle pas la prétention de parler d’une « ISS pour tous » : on se souvient qu’avec des slogans façon « la navette pour tous », l’Amérique n’était pas parvenue à envoyer son institutrice symbolique dans l’espace à bord de la navette Challenger, seulement à la faire partir en fumée sous les yeux de sa famille, de ses amis, de ses élèves et du monde entier. Échaudé par l’expérience, on flatte désormais le public avec un peu plus de tact et de mesure.

S’il ne faut pas être trop critique, donc, les lecteurs attirés vers cet ouvrage par un réel intérêt pour le sujet et non pas par la biographie d’une figure publique resteront à plus d’une reprise sur leur faim. Pour ce qui est des expériences scientifiques, elles sont trop sommairement décrites, ne sont pas contextualisées au regard des autres séries d’expériences depuis longtemps menées par les équipages successifs de la station, et ni leurs conclusions ni leur intérêt final n’apparaissent. Si l’ouvrage est agrémenté d’un cahier central de photographies, celles-ci sont peu informatives et le plan de la station apparaît bien trop petit, peu clair et peu détaillé. La seconde mission de l’astronaute, pourtant aussi longue que la première, apparaît, de manière surprenante, très rapidement expédiée au regard de l’épaisseur du volume. Surtout, l’écriture de l’ensemble apparaît à l’excès neutre, lisse et aseptisée, façon best-seller ou success-story à l’américaine, avec les inévitables « séquences émotion » grâce aux apparitions d’Anne Mottet, la compagne de Thomas Pesquet. Dans cette « Vie sans gravité », tout le monde il est beau, et tout le monde il est gentil. Plus qu’une autobiographie, c’est de la com. C’est un exercice d’apesanteur. C’est normal, l’auteur est en orbite. C’est un pur produit, écrit non pas par Thomas Pesquet lui-même, mais par son prête-plume Arnaud Cathrine, qui à l’évidence répond lui aussi à une feuille de route très précise – et le fait très bien. Cela reste, en tout cas, une très belle aventure. Le lecteur intéressé par le vécu des astronautes contemporains pourra lire également, chez le même éditeur, « Mon Odyssée dans l’espace » de l’astronaute américain Scott Kelly.


Titre : Ma vie sans gravité
Auteurs : Thomas Pesquet et Arnaud Cathrine
Couverture : ESA
Éditeur : J’ai Lu (édition originale : Flammarion, 2023)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 14246
Pages : 538
Format (en cm) :11 x 18
Dépôt légal : octobre 2024
ISBN : 9782290405932
Prix : 9,90 €


À lire également sur la Yozone :

- « Mon odyssée dans l’espace » de Scott Kelly



Hilaire Alrune
27 décembre 2024


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