Il y a dans ce thriller fantastique autant de bonnes idées que de grosses ficelles. Les plus jeunes plongeront peut-être à pieds joints, les lecteurs plus aguerris soupireront un peu plus.
L’autrice fait le choix de la narration à la première personne, et l’entrée en matière, académique, permet de cibler un peu l’héroïne, paumée, « qui se cherche ». Il est dommage de devoir attendre quasi la moitié de l’ouvrage pour voir apparaître des choses sciemment tues, qui tiennent plus de l’amnésie volontaire du personnage que du narrateur non fiable. C’est d’autant plus dommage que ces informations (un fait-divers tragique à Ombelle et les origines floues de l’héroïne) nous sont jetées un peu en pâture, pour confirmer ce qu’on soupçonnait fortement sans la moindre preuve. La suite, enfin, n’est que le nécessaire enchainement jusqu’à la révélation finale, seulement à demi surprenante. Je n’en révèle rien, ce serait vous gâcher ce seul plaisir de la lecture.
C’est donc sur le chemin balisé de ce thriller fantastique qu’il faut chercher autre chose. Le village d’Ombelle est esquissé trop succinctement. Entre l’Atelier, l’école enfantine où travaille Dan, le marché et la gare, on ne sait trop quelle taille il fait. Il n’en semble que plus vide, et interroge donc sur la présence de ces jeunes adultes qu’on imagine partis étudier ou travailler ailleurs, sur cet Atelier animé par de bonnes âmes... Ou encore cette fontaine de la Nymphe sur la place, archaïsme folklorique incongru. Au passage, il n’y a qu’une nymphe dans l’histoire, donc le pluriel du titre interroge.
Il ne reste que les personnages. La vieille Blanche qui loue une chambre mais effraie les locataires, avant de s’ouvrir un peu, est déjà un peu artificielle, tellement archétypale en sorcière miyazakienne. Alice, artiste géniale encensée sur les réseaux sociaux, habitée par son art mais rongée par le mystère du village, avec une garde-robe excessive ubuesque dans ce bled montagnard. Jude, qui cache ses tatouages à ses parents en... portant des manches longues, et dessine des robes de haute couture... Seul Dan, monolithique dans son rejet de Cléa, semble « ordinaire » et cohérent avec Ombelle.
Au fil des pages, on lit surtout Cléa la ratée, l’artiste sans talent, pousser les autres à franchir le pas. Elle va jusqu’à accompagner Alice à l’inscription d’une école d’art parisienne ; une sortie du décor via le train qui achève de nous montrer Ombelle comme une zone enclavée dont on ne s’échappe pas. Entre écorchés, timides, ça s’encourage, et le roman est parfois dégoulinant de cette naïve bienveillance, et des chouineries de Cléa, au détriment de l’atmosphère fantastique.
« Les Larmes des Nymphes » n’est pas sans qualités, loin de là, et on sent le travail sur le texte, la structure, l’écriture. Mais il peine à sortir de mauvais sillons d’une exposition de personnages exagérés, d’interactions noyées de bons sentiments (un positivisme dans l’air du temps). Le mélange thriller fantastique et feel-good ne prend pas bien, par un mauvais dosage du second ingrédient. Le roman aurait ainsi gagné à quelques dizaines de pages en moins en ne s’éparpillant pas. La narration à la première personne montre aussi ses limites quand le narrateur ignore lui-même qu’il n’est pas fiable. C’est donc un premier roman perfectible mais prometteur, à privilégier pour les jeunes ados cibles de la collection Échos.
Titre : Les Larmes des Nymphes
Autrice : Sandy Bizzozero
Couverture : Celi’arts
Éditeur : Gulfstream
Collection : Echos
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 309
Format (en cm) : 22 x 14 x 3
Dépôt légal : octobre 2023
ISBN : 9782383491972
Prix : 17 €