Animateur pendant 12 ans de l’émission La Méthode Scientifique sur France Culture, Nicolas Martin est aussi réalisateur et scénariste. Mais ce n’est pas tout, passionné de science-fiction, il a publié une dizaine de nouvelles. « Fragile/s » est son premier roman. Un livre sombre qui mêle SF et horreur dans un texte politique et engagé. L’une de mes meilleures lectures de l’année.
Dans un futur proche. La France est sous le joug d’un système totalitaire d’extrême-droite obsédé par le contrôle de la population. L’avortement est devenu illégal, et les enfants d’immigrés font leur scolarité dans les ERI (École républicaine d’intégration). Dans cette France fasciste, Thyphaine et Gauthier sont les parents de Madeleine, une jeune fille lourdement handicapée. Comme beaucoup d’autres enfants, Madeleine est atteinte du syndrome du X fragile qui induit des défaillances physiques et mentales irréversibles. Cette recrudescence de naissances d’enfants handicapés engendre une forte baisse de la natalité. Pour remédier à cette baisse, le gouvernement met en place un programme de géno-embryologie. Grâce à ses relations de travail, Gauthier convainc Thyphaine de participer à ce programme de fertilisation eugéniste. L’enfant qui naît s’appelle Nolan, ses premières années sont extrêmement surveillées par le gouvernement. Dès sa naissance, Thyphaine trouve son bébé étrange. Puis, lorsqu’elle s’aperçoit que sa progression cognitive est très rapide, elle commence à avoir très peur de son enfant. D’autant plus que Nolan semble hostile à la présence de sa sœur.
Avec « Fragile/s », son premier roman, Nicolas Martin nous propose une dystopie oppressante et anxiogène portée par des personnages très bien caractérisés. Car la force de « Fragile/s », c’est avant tout ses personnages. Nicolas Martin se révèle un écrivain qui sait donner une voix à chacun d’entre eux de manière très significative. Si bien que, malgré une narration non chronologique, le lecteur dès le début du paragraphe sait quel personnage s’exprime. Thyphaine est une héroïne profondément touchante par l’amour qu’elle porte à sa fille Madeleine, mais aussi par son courage et sa combativité face à un système totalitaire. Sa pyché solide et crédible donne à l’ensemble du récit beaucoup de poids. Le second point fort du livre, c’est la forme. Nicolas Martin alterne les points de vue. Les jeux de typographie et les didascalies renforcent l’immersion dans le texte. Ce parti pris sur la forme est assez audacieux et peut s’avérer dangereux, pouvant parfois nous sortir de la lecture. En l’occurrence, c’est parfaitement dosé, et les choix narratifs s’avèrent être judicieux. Pour toutes ces raisons, tant sur le fond que sur la forme, le roman captive et fait peur tout à la fois.
« Fragile/s » porte à la fois l’angoisse d’une extrême-droite au pouvoir avec son obsession du contrôle : contrôle des pensées, des immigrés, du corps des femmes. Et il porte aussi un regard sensible sur la parentalité et le handicap, avec pour point de départ l’amour de la mère pour sa fille comme arme de résistance massive à l’oppression. C’est un roman sombre et inquiétant à bien des égards. Mais, c’est aussi un récit d’une profonde sensibilité qu’il ne faut surtout pas négliger. Si la science-fiction est un espace d’interprétation politique du futur pour les auteurs-rices, avec comme pierre angulaire « 1984 » d’Orwell et « Le meilleur des mondes » de Huxley. Alors Nicolas Martin nous livre avec « Fragile/s » un roman féministe qui s’inscrit brillamment dans le sillon d’une SF engagée et militante. Un incontournable de l’année 2024.
Titre : Fragile/s
Auteur : Nicolas Martin
Couverture : Olivier Fontvieille/offgraphisme.paris
Éditeur : Au Diable Vauvert
Collection : Littérature française
Site Internet : page roman
Pages : 432
Format (en cm) : 13,00 x 19,80 x 3,00 cm
Dépôt légal : août 2024
ISBN : 9791030706833
Prix : 21€