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Mon fils est Jeffrey Dahmer
Lionel Dahmer
Bragelonne, Dark Side, traduit de l’anglais (États-Unis), biographie, 260 pages, septembre 2024, 8,95 €


« C’est la dernière fois que nous avons pu accomplir un acte aussi ordinaire que réserver à notre nom un hôtel à trois cents kilomètres de chez nous. Cette partie de notre vie, son anonymat, nous avait soudain été arrachée. Nous étions sur le point de devenir des personnages publics et nous ne serions plus jamais autre chose. »

En juillet 1991, alertés par ce qui ressemble à une tentative de séquestration, les policiers perquisitionnant au domicile de Jeffrey Dahmer accumulent les découvertes macabres. Dans le réfrigérateur, le congélateur et les placards, têtes, squelettes et autres reliques humaines abondent. Lorsqu’ils apprennent l’inconcevable, Lionel Dahmer, le père de Jeff, et sa seconde épouse Shari comprennent une chose : ils ne seront plus jamais, simplement, Lionel et Shari. Ils seront, aux yeux de tous, « Les Dahmer », ceux qui ont élevé un monstre.

Quand on connaît la fascination et même l’engouement que suscitent les serial-killers aux États-Unis et même dans d’autres pays comme le Japon, quand on a entendu parler du très lucratif et très morbide commerce des murderabilia, quand on imagine le nombre de lecteurs d’ouvrages consacrés au sujet, il est impossible de ne pas s’interroger quant aux motifs ayant pu pousser Lionel Dahmer à écrire un tel ouvrage. Pourtant, on serait bien en peine de trouver quoi que ce soit de commercial dans ce « Mon fils est Jeffrey Dahmer ». Rien de sensationnaliste ou de racoleur dans cet ouvrage intimiste, marqué par une certaine pudeur, qui ne prétend rien révéler, rien expliquer, rien comprendre. Au contraire est-on plus souvent dans le questionnement, dans l’interrogation, comme si Lionel Dahmer essayait de s’expliquer à lui-même ce qui demeurera à jamais inexplicable. De fait, la démarche de Lionel Dahmer semble relever avant tout le l’exorcisme ou du cathartique.

« Il ne parlait jamais de l’avenir et je pense même qu’il n’a jamais cru en avoir un. »

Un mariage moyennement heureux, une jeune femme enceinte et déjà sous médicaments psycho-actifs, devenant, à l’issue d’un post-partum complexe sur le plan psychique, une mère dépressive, hyper-sensible, avec des hauts et de bas et qui malgré les prises en charge « verra sa vie sociale s’effondrer », une famille qui se fragmente et se recompose : rien de véritablement inhabituel pour un couple d’Américains de la classe moyenne. Un gamin qui alterne entre des phases de sociabilité et des périodes d’isolement, qui est capable d’avoir des amis, qui ramasse et s’occupe d’un oiseau blessé jusqu’à sa guérison, rien de très inhabituel non plus. Qu’il se mette à boire à l’adolescence n’a hélas rien non plus de véritablement exceptionnel. Mais la suite le sera beaucoup plus.

« D’une certaine manière, son enfance n’existe plus en tant que telle. Elle a été absorbée par ce qu’il a fait en tant qu’adulte. Pour cette raison, je ne suis plus capable de distinguer l’ordinaire de l’inquiétant, les évènements triviaux de ceux chargés de mauvais présage. »

Si ces mémoires paraissent d’un bout à l’autre honnêtes, Lionel Dahmer cherchant dans ses souvenirs des signes avant-coureurs qui seraient vraiment signifiants, faisant remonter des faits, des anecdotes qui peuvent aussi bien aller dans un sens que dans l’autre ou même, comme il l’envisage, être dépourvues de sens, le lecteur y trouvera quelques zones d’ombres qui mériteraient un examen plus détaillé. Ainsi, suite à une procédure de divorce en 1977, son épouse vit avec Jeffrey et son jeune frère David. Lorsque Lionel leur rend visite, un jour de 1978, son ex-épouse et son second fils ont disparu, laissant seul Jeffrey, âgé de dix-huit ans. Lionel ne parviendra à retrouver leur trace qu’au terme de plusieurs semaines d’investigation. Que s’est-t-il passé ? Pourquoi sont-ils partis ? L’auteur ne s’attarde guère sur ces éléments, qui pourtant semblent correspondre à une période de bascule, le premier meurtre de Jeffrey Dahmer intervenant, on ne le saura qu’en 1991, peu de temps après.

« J’avais vu un jeune homme chez qui il manquait quelque chose d’essentiel. Un jeune homme à qui la volonté permettant à un être humain de diriger sa propre vie faisait défaut. »

On ignore quels ont été les conclusions des expertises psychiatriques effectuées entre l’arrestation de Jeffrey Dahmer et sa mort quelques années plus tard, si toutefois il y en a eu car son père n’y fait jamais allusion. On ignore si quiconque a pu comprendre Dahmer à la manière dont les profilers peuvent tenter de comprendre les sujets de leurs investigations, comme le décrit Véronique Chalmet dans son essai intitulé « Dans la tête des tueurs ». Mais on serait tenté de dire, au vu de ce que rapporte son père, que pour entrer dans la tête de son fils Jeffrey il faudrait qu’il y ait eu quelque chose à l’intérieur, alors qu’il semble ne jamais y avoir eu grand-chose chez lui. Nul intérêt pour quoi que ce soit. Dahmer ne semble avoir été bien dans sa peau et bien avec les autres que lorsqu’il était dans un cadre soutenant, avant, à chaque fois à l’occasion de rechutes alcooliques, de se trouver livré à lui-même. On serait tenté de reprendre une formule de la sagesse populaire, à savoir que l’oisiveté est la mère de tous les vices, si elle ne s’appliquait qu’imparfaitement à Dahmer qui dans sa folie meurtrière croissante a fini par tuer indifféremment lorsqu’il travaillait et lorsqu’il ne travaillait pas. Sans doute restera-t-il à jamais, pour son père comme pour les autres, un mystère. La relation de Lionel Dahmer apparaît en définitive comme un aveu d’impuissance, une incapacité à comprendre ce qui a pu se passer chez son fils, comme tant d’autres ont signalé en être incapables : si Lionel Dahmer craignait d’être devenu simplement le père d’un monstre, il a malgré tout reçu, encore et encore, des témoignages de sympathie de parents d’enfants ayant mal tourné, de parents comme lui désemparés et plongés dans un éternel désarroi.


Titre : Mon fils est Jeffrey Dahmer (A Father’s Story, 1994)
Auteur : Lionel Dahmer
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Anne-Emmanuelle Boterf et François Guillaume
Couverture : Élodie Bourgeois
Éditeur : Bragelonne (édition originale : Hachette, 2023)
Collection : Dark Side
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 260
Format (en cm) : 11 x 18
Dépôt légal : septembre 2024
ISBN : 9791028112745
Prix : 8,95 €


À lire également sur la Yozone :

- « Dans la tête des tueurs » de Véronique Chalmet


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Hilaire Alrune
27 octobre 2024


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