Enfin, Izzy a flashé sur Max Vane, un jeune duc taillé comme un héros grec. Mais comme elle s’efforce d’être invisible, un atout pour ses missions pour la Volière, cela la surprendrait qu’il la remarque.
La vie d’Isobel est donc assez mouvementée, quand voilà que sous son identité de garçon elle est engagée par Rook, un trafiquant des bas-fonds, pour un casse chez le duc du Devonshire : le commanditaire veut récupérer un certain bijou, une broche ancienne laide à faire peur. Mais voilà que Max et son camarade James StClair débarquent dans la gargote, identifiables comme des nobles malgré leur déguisement. Izzy/Kes leur sauve la mise tandis qu’ils allaient se faire tabasser, dépouiller voire tuer. C’est que les deux jeunes nobles travaillent pour Lord Morland, qu’on dit le prochain premier ministre, à l’élaboration d’une sorte de service secret pour protéger la Couronne. Nos deux jeunes gens ont donc tous les deux une double vie, l’une par nécessité, l’autre, oisif, par envie de servir l’État.
Les choses se compliquent lorsque la femme de chambre de lady Morland vient solliciter la Volière pour venir en aide à sa maitresse, que son puissant mari est en train de faire passer pour folle, et accaparer sa fortune. Surtout, il s’est mis dans une colère terrible en apprenant qu’elle a donné sa vieille broche à lord Devonshire.
Tout semble lié...
Au terme d’un bal mouvementée, Max Vane découvre la double identité de la jeune fille et la Volière. Désigné comme traître par Morland, il accompagne ces dames dans la recherche de la vérité. Izzy et lui se rendent notamment chez un joaillier expert loin de Londres, et pour échapper aux espions du lord, se font passer pour un jeune couple, ce qui provoque quelques émois et quiproquos...
J’en ai dit beaucoup, mais c’est pour mieux vous convaincre en plantant le décor : « The Agency for Scandal » est un très chouette roman mêlant une bonne dose d’aventures, une pointe de thriller et une bonne dose de critique sociale et de féminisme.
On ne se contente pas de la haute société, au contraire, on confronte l’oisiveté et l’aisance financière du jeune duc aux contraintes d’Izzy : elle doit travailler secrètement (comme son père avant elle) pour subvenir aux besoins de sa famille, et pour éviter le scandale, dissimuler ce revers, cette déchéance à la bonne société mêlant nobles et bourgeois, les uns ayant le titre et les autres la fortune. Si elle ne rêve pas d’un mariage, ce serait pourtant la solution à ses problèmes.
Le second message appuyé par le roman est la distinction entre hommes et femmes dans cette Angleterre de fin XIXe, et toutes les barrières qui entravent le sexe dit faible : entièrement dépendantes et soumises aux hommes de la maison, que ce soit leur père, leur frère ou leur mari. Izzy reconnait sa chance que leur père aimait sa femme et ses enfants, ne les bridait ou battait pas ; il n’empêche qu’il a ruiné la famille sans leur dire et les a laissé sur la paille. On savoure avec Izzy sa liberté lorsqu’elle se déguise en Kes : liberté de circulation, sécurité (relative) dans les rues, pas besoin de chaperon, des vêtements peu contraignant sans talons, tournure ni corset... Et tous les excès de posture, d’opinions ou de langage autorisés !
Laura Wood, dès les premiers chapitres très immersifs et grâce à une narration à la première personne bien utilisée, confronte ces mondes, riches et pauvres, hommes et femmes, les puissants et tous les autres. Les lecteurs ados constateront que certaines choses ont survécu jusqu’à nos jours.
On apprécie vraiment la dimension aventures, entre « Arsène Lupin » et « Enola Holmes ». La Volière a tous les atouts d’une agence d’espionnage, avec une inventrice (là aussi recalée de l’Université parce que fille), une couturière attitrée : tout cela fait très « Mission : Impossible », avec une dimension sociale et sociétale supplémentaire : l’ennemi c’est l’Homme, le Puissant, qui dicte la Loi à sa convenance pour écraser les plus faibles, dont d’office la moitié de la population. La Volière empêche donc les maris dépensiers de dilapider la dot apportée, menace de déchéance sociale, de scandale public les violents et les alcooliques. On découvre, dans le discours de Mme Pinson, la cheffe de ce réseau, une volonté de changer les choses par tous les moyens. L’adhésion de Max Vane à leur combat est un bon point, même si toutes ne le voient pas d’un bon œil. Plusieurs fois Izzy lui fera la leçon, pour le convaincre qu’il ne suffit pas d’éduquer les hommes, puisque nombreux échappent à la justice, mais bien donner les mêmes droits aux femmes.
« Je n’approuve pas qu’on enfreigne la loi.
— C’est parce que toutes les lois ont été conçues à votre avantage. »
Avec son profil d’espionne cambrioleuse, de petite souris discrète, on pourrait craindre qu’Izzy demeure dans son travers ne n’être jamais remarquée. On est heureux de la voir suivre un chemin similaire à Sophie dans « Le Château Ambulant » de Miyazaki : parfois, cela déborde. Ses émotions, ses opinions prennent le pas sur sa « bonne éducation » noble, et on la voit s’émanciper, à l’image des autres filles de sa Volée, d’horizons différents ; On note surtout l’attitude de Sylla, la meneuse, qui sous ses remarques perfectionnistes la tire vers le haut.
Enfin, c’est aussi l’aspect romance, très anglaise, austenien, qui plaît. Izzy a craqué sur un duc, le meilleur parti du moment, qui semble ne pas la remarquer (tant elle se fait discrète, c’est là le paradoxe). Les événements vont brutalement les rapprocher, les lier par leurs activités secrètes. Le voyage à la campagne en tant que couple, avec une nuit dans le même lit pour ne pas mourir de froid, est truculent, hautement scandaleux ! Et on sourit de voir ces deux jeunes adultes patauds, benêts, engoncés dans les conventions sociales alors qu’ils travaillent main dans la main lorsqu’ils arrivent à les oublier. Vient aussi le moment où Izzy doit avouer à Max sa pauvreté. là encore, si elle y voit de quoi creuser le fossé entre eux, c’est bien sûr le contraire qui se produit, agrémenté de quelques scènes cocasses comme lorsque la gouvernante pousse Max à rencontrer lady Stanhope, qui échafaude déjà des espoirs de mariage ! L’autrice met son héroïne sur des charbons ardents, à mêler faux espoirs et secrets, vie publique et privée. Mais contrairement à Izzy, on ne doutera jamais du happy end, ne nous demandant que quand et comment il se présentera.
Tous les ingrédients d’un bon roman sont là : l’humour, l’action, les romances impossibles, les secrets, et le message de fond. La trame est classique mais fort bien utilisée, avec une immersion rapide dans les différents aspects de la vie d’Izzy.
À mettre entre toutes les mains dès 12-13 ans, et on croise les doigts que cela puisse arriver, peut-être, à l’écran.
Titre : the Agency for Scandal (the agency for scandal, 2023)
Autrice : Laura Wood
Traduction de l’anglais (Angleterre) : Fabrice d’Almeida
Couverture : Mercedes deBellard
Éditeur : Pocket Jeunesse
Collection : PKJ
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 381
Format (en cm) : 22,5 x 14 x 3
Dépôt légal : mai 2024
ISBN : 9782266340410
Prix : 18,50 €
grosse coquille p. 246 : l’alliance portée à l’auriculaire !