Sérieusement, Ernest, on n’est pas en train de faire la fugue la plus éclatée de toute l’histoire des fugues ?
J’adore Jacky Schwartzmann, ces intrigues aussi sombres que leur traitement ubuesque. Le voilà qui écrit pour (contaminer ?)(pervertir ?) la jeunesse. Sa plume s’est-elle assagie ? Fort heureusement, non ! Ça parle de casser des genoux dès la 2e page ! (bon, ceux d’un mathématicien grec décédé depuis 2500 ans, ça vaaa...)
Il nous livre là un court roman trépidant et truculent, mais aussi sensible, tout à fait cohérent avec ses autres romans, un road-movie foutraque dopé à l’adrénaline avec trois jeunes mal dans leur peau, dans une narration à la première personne très immersive et qui sonne toujours juste.
Au-delà de notre Ernest (au patronyme phonétiquement proche de celui de l’auteur), on a affaire à Lili, 14 ans et bipolaire, vêtue d’un costume-pyjama de loutre, et Elo, autiste qui répète en boucle « Elle est où la chaise ? ». Au-delà du potentiel comique de cette équipe de bras cassés comme il les aime, l’auteur nous présente trois jeunes mal dans leur vie, dans la peau, dans leur tête, face à une société qui n’est pas faite pour eux, une médecine qui cherche davantage à les guérir, les remettre dans le moule, plutôt que les comprendre.
J’ai deux options catastrophiques, un choix impossible et la peur au ventre.
Chez Schwartzmann, la règle est simple : une fois les choses lancées, pire elles peuvent tourner, pire elle tourneront. La SAAB a un petit accident de canal, le gentil batelier en péniche qui les recueille ne lit que des polars et garde un couteau ensanglanté sous la main (mais ce n’est pas le pire !). L’escale lyonnaise les amène en pleine cité (ce qui n’est pas sans rappeler « Demain c’est loin ») chez un trafiquant peu ouvert à la discussion, les choses dérapent à la faveur d’une arbalète un peu sensible et le vol d’une voiture (c’est jamais que la 3e...) à la cargaison secrète et peu licite.
– Alors ? je demande.
– Alors… je lui ai tout raconté. Sauf pour la SAAB et la voiture des gendarmes. Pis… j’ai dit que la 308 est à maman.
– Ouais. Donc tu lui as rien raconté.
– Voilà.
Entre deux rebondissements farfelus, souvent déclenchées par les pathologies ou les mauvaises décisions des trois compères, il y a ces petits moments de tendresse, de parler vrai entre eux, et cette fugue sonne de plus en plus comme la thérapie dont ils avaient besoin pour ensuite revenir dans la société, plus sûrs d’eux et de leurs choix.
Et tout est bien qui finit bien, au détriment de certains affreux et peut-être (un peu) de la légalité, parce que forcément, tout n’est pas toujours moral dans la vie (sinon on pourrait venir travailler en pyjama loutre).
Les premiers romans de l’auteur étaient trop courts à mon goût, trop vite dévorés. C’est dire si ces 120 pages n’ont pas tenu longtemps, comme une mignardise en attendant un plus gros gâteau.
Sachez que si vous avez succombé à l’humour noir de ce « Théorème du Kiwi », vous êtes mûr pour lire tous ses autres romans (attendez d’avoir 14-15 ans quand même, y’a du sexe, de la violence et de la drogue... non, je ne fais pas l’article, je préviens !)
Titre : Le Théorème du Kiwi
Auteur : Jacky Schwartzmann
Couverture : Manon Bucciarelli
Éditeur : L’École des Loisirs
Collection : Médium
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 125
Format (en cm) :
Dépôt légal : aout 2024
ISBN : 9782211338080
Prix : 13 €