Francesc Miro, journaliste spécialisé du cinéma d’animation, revient sur ce film et ce studio qui ont bercé sa jeunesse et tracé sa carrière. Il brosse ici un tableau complet de Ghibli, de son équipe de direction, et des conditions de la création du « Château Ambulant ».
Disons-en quelques mots rapides : derrière le succès mondial de « Chihiro », qui reste à ce jour le film le plus rentable du studio, il y a une équipe épuisée et un constat de renouvellement nécessaire, de la formation d’une nouvelle génération de réalisateurs, de directeurs de l’animation... Miyazaki laisse de côté les mythes asiatiques pour adapter la trilogie du « Château Ambulant » de Diana Wynne Jones, autrice majeure du merveilleux anglo-saxon. Le travail est confié à Mamoru Hosoda, formé lui aussi chez Toei Animation. Au bout de quelques mois, le scénario n’avance pas dans le sens souhaité par Miyazaki (on parlera poliment de « divergence artistique »), Hosoda claque la porte (et, après quelques années chez Madhouse, où il réalise « La Traversée du temps » et « Summer Wars », il fonde le Studio Chizu).
Miyazaki reprend le scénario de zéro, emmène ses équipes en vacances en Alsace et aux Pays-bas, régions qu’il a découvert lors de la promo de « Chihiro », pour les imprégner des décors européens qu’il imagine pour le film, bien loin des paysages du Japon. Visuellement, « Le Château Ambulant » s’annonce comme un anti-« Chihiro », si différents qu’ils ne pourront pas être comparés (ce que les critiques ciné ne manqueront pourtant pas de faire).
Miro détaille également les contraintes techniques du film, qui marque les premiers pas dans l’usage de la 3D pour le studio. Une 3D encore discrète, consistant par exemple en animation d’éléments 2D traditionnels. L’exemple le plus frappant est le château en lui-même, dont les pièces sont indépendantes et animées séparément. L’autre contrainte des animateurs vient de Miyazaki, qui travaille son scénario et son script très longtemps, leur donnant des bouts sans plan général, sans leur expliquer le pourquoi des changements d’apparence de Sophie, par exemple.
L’auteur fait aussi le portrait de Dianna Wynne Jones, sa jeunesse pendant la seconde Guerre, qui la marquera autant que Miyazaki, mais d’une manière différente. Si vous n’avez pas lu la trilogie de romans (chez Ynnis également), il en cite de nombreux éléments pour expliquer comment Miyazaki épure l’intrigue, les personnages, pour changer cette matière très anglaise en quelque chose de plus personnel, qui s’insère dans ses thèmes de prédilection. Des points majeurs du roman sont compressés, rabotés, à peine survolés dans le film, juste ce qu’il faut pour le déroulé de l’intrigue (la guerre, le prince Navet) ou la construction des personnages, notamment Sophie, l’héroïne. Francesc Miro émet quelques hypothèses assez intéressantes, notamment sur l’aspect « voyage dans le temps » du film, ou le statut de sorcière de Sophie.
Si sur la fin de l’ouvrage certains articles sur des personnages secondaires paraissent parfois redondants avec des informations déjà évoquées, son analyse globale fait scintiller « Le Château Ambulant » de toutes ces pépites cachées, confirme son statut d’œuvre indépendante, différente des romans, et sa place légitime au panthéon miyazakien.
Le film ouvre aussi la voie aux adaptations d’autrices anglo-saxonnes, avec cette même recette d’appropriation de la matière originale : on peut citer « Les Contes de Terremer », « Aya et la Sorcière » ou encore « Arrietty » (et « Mary et la Fleur de la Sorcière » au studio Ponoc).
Très richement illustré d’images du film, de sources d’inspiration du studio et d’aquarelle du réalisateur (vous pouvez feuilleter le début sur le site de l’éditeur), c’est un très bel ouvrage qui vient rejoindre cette collection Ma petite bibliothèque Ghibli les deux précédentes traductions espagnoles « Sur la Piste de Princesse Mononoké » et « Voyage avec Chihiro ».
A la Poursuite du Château Ambulant
Auteur : Francesc Miro
Traductrice : Adeline Rzaski
Éditeur : Ynnis
Collection : Ma petite bibliothèque Ghibli
Pagination : 240 pages
Format : 25 x 17 cm
EAN : 9782376974697
Date de parution : avril 2024
Prix public : 24,90 €
© 2024, éditions Ynnis