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Sorry Business
Jean-François Chabas
Le Rouergue, doado Noir, roman (France), thriller, août 2024, 216 pages, 16,80€

Winter et Dakota, deux jeunes trekkeuses californiennes, partent en rando dans l’Outback australien, au mépris de certains avertissements. Elles se retrouvent piégées entre un orage incendiaire et quelqu’un qui leur tire dessus à l’arc à poulie. Capturées au petit matin par leur mystérieux chasseur, elles se retrouvent abandonnées, nues et sans eau, au milieu du désert, au milieu du vide.
Malgré leurs réflexes de marcheuses, dans ce pays inhospitalier, elles ne devront leur survie qu’à Rodney, un jeune Aborigène de 9 ans venu là pour faire le deuil de ses parents.



Jean-François Chabas continue d’écrire sur les Aborigènes, de faire connaitre aux lecteurs français le drame qui se joue à l’autre bout du monde depuis sa colonisation par les Européens.
Après « Red man », « Ils ont volé nos ombres », « La Sorcière et les Manananggals », « Sorry Business » prend la voie du thriller basé sur des faits réels, présentés par l’auteur en introduction : le pays est si grand, si immense, que certains crimes et criminels y passent inaperçus. Et que le racisme est tel envers les Aborigènes, les véritables locaux, que leur disparition n’émeut personne, et est ressentie comme un soulagement.
Jean-François Chabas, avant de nous entrainer dans les pas de ses deux protagonistes californiennes, nous rappelle tout ce que les Aborigènes ont subi, dépossédés de leurs terres, de leur mode de vie, contraint de se plier à celui des colons. Sombrant dans l’alcool et la drogue pour oublier les humiliations, les traumatismes. Les adultes, les enfants se suicident. Des morts qui conduisent les vivants à boire et se droguer pour oublier davantage. Et pendant ce temps, les colons, Blancs, Africains ou Asiatiques les regardent avec gêne, mépris, dédain, un peu de honte, et finissent par ce dire qu’ils ont mérité leur déchéance, et en aucun cas de l’aide ou du respect.
Tout cela, le jeune et précoce Rodney essaiera de le faire comprendre à Dakota et Winter. Mais ce sera compliqué, tant le fossé est grand entre les deux civilisations, et la mentalité des Blancs/colons tellement ethnocentrée, sûre d’elle, parfaitement incarnée par ces deux jeunes adultes californiennes, dans la bulle de leur richesse. On connaît la règle d’écriture « show, don’t tell », mais ici JF Chabas mélange les deux : la leçon transmise par le petit garçon permet de déciller les deux américaines, tant sur leurs observations depuis leur arrivée qu’ensuite, à chaque interaction avec des descendants de colons.

Thriller, donc. Les deux sœurs en rando dans une zone déconseillée sont traquées, capturées et abandonnées à crever de soif au milieu de rien, des fourmis et de la faune locale. Rodney leur expliquera qu’elles ont été victime des frères Stray, deux psychopathes défoncés, cruels, qui brassent l’argent du trafic avec les tribus en leur vendant alcool et drogue. La police les laissent d’autant plus tranquilles que leur business hâte la ruine morale des locaux. Ils ont à leur solde Edgar, lui aussi traître à sa tribu, prêt à faire le sale boulot pour de l’argent, sésame pour une vie meilleure ou plus d’oubli. À peine sauvées de la faim et la soif, les américaines sont à nouveau menacées par ces fous. Dans les hautes herbes, le danger peut être à quelques mètres et invisibles, elles s’en rendront vite compte. De façon fabuleuse, l’auteur transforme cette immensité désertique en un huis-clos, pour des scènes sous haute tension.

Enfin, il y a bien sûr tout l’aspect croyances qui creuse le fossé entre les personnages. Toute cette foi qui gouverne la vie des locaux, de Rodney du haut de ses neuf ans, venu là pour faire son travail de deuil, le « Sorry Business » du titre (mais qui peut avoir un autre sens avec la repentance de Winter) autant que pour se confronter à L’homme aux pieds de plume. Par l’entremise de ce petit bonhomme très mûr, l’auteur nous donne à lire la place prépondérante de ces croyances dans la société aborigène, renvoyant à la face des colons (et celle des lecteurs européens) l’hypocrisie de leurs valeurs chrétiennes de pure façade noyées dans le racisme.

La violence de ce roman noir est à la hauteur de celle subie par les Aborigènes, sa folie aveugle et imprévisible à l’unisson de leur vie sous le joug des colons. Une nouvelle fois, après les trois titres cités plus haut, JF Chabas nous montre un peuple qui se meurt et qu’on tue, non seulement dans l’indifférence globale, mais avec une morgue raciste décomplexée. En ramenant cet état de fait au niveau humain, à la réalité d’un petit garçon qui pourrait devenir un adulte merveilleux mais qu’on prive de tout, famille, sécurité, envie de vivre, l’auteur tente, encore une fois, d’éveiller nos consciences et nous oblige à regarder en face les ravages provoqués par notre rejet de l’Autre.

Terrifiant mais nécessaire, un thriller à faire lire aux ados, futurs adultes, mais pas que.


Titre : Sorry Business
Auteur : Jean-François Chabas
Couverture : Julien Rico
Éditeur : Le Rouergue
Collection : doado noir
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 216
Format (en cm) : 20,5 x 14 x 2
Dépôt légal : août 2024
ISBN : 9782812626234
Prix : 16,80 €



Nicolas Soffray
10 août 2024


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