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Aimer un robot avec Blade Runner
Frédéric Landragin
Dunod, Les Imaginaires de la Science, essai, sciences, 166 pages, mai 2024, 15,90€

Le 15 mai 2024 sortiront chez Dunod les trois premiers ouvrages de la collection Les Imaginaires de la Science, à savoir « Rencontrer la vie ailleurs avec Alien », « Découvrir le primate en nous avec La planète des singes » et le présent « Aimer un robot avec Blade Runner ». Cette collection n’est pas sans rappeler la collection Parallaxe au Bélial’. Toutefois la philosophie diffère et, alors que Parallaxe illustre un thème scientifique à travers des œuvres de l’imaginaire, Les Imaginaires de la Science part d’une œuvre iconique pour en développer les sciences associées.
Remarquons aussi une prédilection pour le cinéma, peut-être pour rendre les titres plus parlants et attractifs. Par exemple ici, il n’est pas tant question du livre « Les androïdes rêvents-ils de moutons électriques » de Philip K. Dick que du film « Blade Runner » qu’en a tiré Ridley Scott en 1982.



J’ai vu tant de choses que vous, humains, ne pourriez pas croire. De grands navires en feu surgissant de l’épaule d’Orion. J’ai vu des rayons fabuleux, des rayons C, briller dans l’ombre de la porte de Tannhaüser. Tous ces moments se perdront dans l’oubli, comme les larmes dans la pluie. Il est temps de mourir.

Comment oublier ces paroles prononcées sous une pluie battante par le réplicant Roy Batty (Rutger Hauer dans le film), lui qui apparaît si fort et pourtant sur le point de mourir ? Un étonnant paradoxe qui s’explique par une durée de vie limitée à 4 ans pour ces androïdes, bien supérieurs à nous par certains côtés, mais qui ne parviennent pas à nous égaler sur d’autres.

En premier lieu, Frédéric Landragin, directeur de recherche au CNRS, spécialisé en linguistique et en traitement automatique des langues, présente le film, non sans évoquer le roman de Philip K. Dick et ses aspects n’existant pas dans le long métrage. Il parle aussi du domaine robotique et de ses réalisations les plus avancées, bien loin de soutenir la comparaison avec les réplicants. Il décrit de la sorte sa démarche : « Face à ces constatations un peu hâtives et simplistes, l’objectif de ce livre sera d’expliciter et de nuancer ces idées, à l’aide de quelques scènes bien choisies du film Blade Runner, qui soulèveront de nouvelles questions. »
C’est ainsi que chaque chapitre s’attache à un réplicant, développant certains points bien précis pour finalement définir les capacités qu’un robot doit posséder pour donner le change et passer pour humain. Bien sûr, l’état actuel de la science n’est pas passé sous silence et vient à chaque fois nuancer le propos.
Dans “Les robots ont-ils des émotions ?”, Léon Kowalski s’avère le réplicant le moins convaincant, le plus nerveux face aux questions du test fictif de Voight-Kampff qui explore les réactions émotives des sujets. Peuvent-ils éprouver des émotions ? D’ailleurs, qu’est-ce qu’une émotion ? Et diffère-elle d’un sentiment ?
“Qu’est-ce que l’intelligence ?” , une question loin d’être simple. Au travers de Zhora qui n’est pas dupe de la visite de Rick Deckard incarné par Harrison Ford, Frédéric Landragin traite du corps et de sa maîtrise. Ce qui semble si simple pour nous représente un véritable défi pour un robot. Chaque mouvement représente une masse de données. À l’aide d’un graphique, il aborde aussi un aspect intéressant avec la sympathie éprouvée envers un robot. Dès qu’il ressemble à un humain de manière convaincante, son capital sympathie chute vertigineusement, ce qui dans le graphique est désigné par la vallée de l’étrange. L’intelligence possède plusieurs composants et, selon une théorie élaborée en 1983 par le psychologue américain Howard Gardner, les êtres humains possèderaient sept formes d’intelligence. Bien sûr, il est aussi fait mention du QI qui est adulé mais pas moins surévalué. La note peut se présenter sous forme de nombre mais aussi de deux lettres comme pour les réplicants du film.
“Les robots peuvent-ils nous manipuler ?” Pris parvient très bien et en quelques mots à entrer chez son créateur. C’est l’occasion d’aborder le langage et la difficulté pour un robot de nous comprendre. À travers quelques exemples réels, on saisit rapidement la problématique. Et l’encart “L’intelligence linguistique pour une IA symbolique” décrit les 12 étapes par lesquelles passe un robot pour appréhender la signification d’une phrase. Bien sûr, il y a aussi le célèbre test de Turing pour différencier une personne d’un être artificiel.
“À quoi sert la mémoire affective ?” , si ce n’est à faire croire à Rachel qu’elle est humaine. Rick Deckard s’en rend compte au bout d’une centaine de questions, tant elle n’a pas conscience de sa condition. Pyramide des mémoires, émotions et souvenirs, intelligence émotionnelle... autant de facteurs abordés dont on n’a pas forcément conscience.
“Les robots peuvent-ils avoir de l’empathie ?”, ce que peut laisser penser le plus intelligent des réplicants, Roy, qui sauve Deckard de la chute dans ses derniers instants. La notion de l’oubli est abordée, comme la faculté de pardonner, de trier ce qui est important, de ce qui est secondaire. Comment concilier tous les événements si la même importance est accordée à chacun ?
“Intelligences, émotions et empathies artificielles” conclut cet essai, synthétisant les divers aspects abordés et évoquant aussi les débats actuels autour des IA. Il suffit de regarder ce que propose ChatGPT ou MidJourney. Reconnaissons que les réplicants sont encore loin de pointer leur nez. Même les véritables IA, terme souvent galvaudé, ne sont pas à l’ordre du jour.

« Aimer un robot avec Blade Runner » est riche en enseignements. Frédéric Landragin rend son domaine intelligible et compréhensible par tout un chacun, d’autant qu’il pourra s’appuyer sur le film et ses protagonistes pour mieux comprendre le propos. Bien des notions sont abordées en ces pages, elles sont souvent bien plus complexes qu’au premier abord. Naviguer dans l’univers du film s’avère aussi ludique qu’instructif.
Et grande question : le Blade Runner, donc le chasseur de réplicants, Rick Deckard est-il lui-même un réplicant, ce que certains indices laissent supposer ? Même si c’est Pris qui prononce la fameuse locution « Je pense donc je suis », comment ne pas voir la parenté des noms Deckard et Descartes ?
Une lecture enrichissante, propice à la réflexion sur notre rapport aux robots.
Et une belle entame pour cette collection alliant sciences et imaginaire.


Titre : Aimer un robot avec Blade Runner
Auteur : Frédéric Landragin
Couverture : © Francisco Errazuriz / Shutterstock
Illustrations intérieures : Rachid Maraï
Éditeur : Dunod
Collection : Les Imaginaires de la Science
Site Internet : Essai (site éditeur)
Pages : 166
Format (en cm) : 14 x 20,5
Dépôt légal : mai 2024
ISBN : 9782100857760
Prix : 15,90 €


Frédéric Landragin sur la Yozone :
- « Comment parler à un alien ? »
- « Comment parle un robot ? »

Pour écrire à l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
13 mai 2024


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