« Notre génération écrit une page unique de l’histoire de l’humanité. Nous sommes à un moment où nous disposons enfin de suffisamment de connaissances et de technologie pour commencer à chercher une vie au-delà de la Terre. »
L’idée d’une vie extra-terrestre est sans doute aussi ancienne que l’humanité. Pourtant, la recherche de la preuve de l’existence d’une vie extra-terrestre n’a pu véritablement commencer qu’avec l’apparition des instruments d’optique : on se souvient que les observations de la planète Mars avaient conduit au dix-neuvième siècle Percival Lowell à conclure à l’existence de canaux, et par voie de conséquence à celle d’une civilisation martienne. Depuis cette époque, les progrès technologiques ont été sans cesse exponentiels, les télescopes sont envoyés au loin dans l’espace, les sondes spatiales vont analyser la poussière des comètes, Voyager 2 a franchi la limite magnétique du système solaire. Les données scientifiques s’accumulent en quantités prodigieuses. Nathalie A. Cabrol, directrice scientifique de l’Institut Carl Sagan, présente aux lecteurs cet “âge d’or de l’astrobiologie”. Sur près de quatre cents pages, elle propose un tour d’horizon qui va de l’origine de la vie sur terre jusqu’aux plus lointaines exoplanètes.
« Nous sommes poussés par cette insatiable curiosité qui nous anime depuis la nuit des temps, ce besoin de savoir si nous sommes seuls dans l’Univers. »
On pourrait évoquer une foi, un postulat, mais c’est au contraire l’accumulation des données scientifiques qui vient nourrir et accréditer ce qui n’était au départ qu’une hypothèse. Pour Nathalie C. Cabrol comme pour bien d’autres scientifiques, considérer que nous sommes seuls dans l’univers apparaît de plus en comme une “absurdité statistique”. L’hypothèse – qui n’est pas seulement probabiliste – se trouve nourrie par des chiffres qui donnent le vertige. Par exemple, l’eau que l’on considère comme une ressource essentielle à la vie est partout : on estime à présent qu’il y aurait dans notre galaxie deux à trois milliards de planètes capables de maintenir l’eau liquide à leur surface. Et l’univers visible comporte environ 125 milliards de galaxies, la voie lactée 100 à 400 milliards de mondes inconnus. C’est ainsi que la fameuse équation de Frank Drake (1930-2022) postulant le nombre de civilisations dans la galaxie à partir de sept paramètres, parmi lesquels le nombre de planètes potentiellement propices à la vie par étoile, se voit au fil du temps plus précisément documentée. Une équation que le paléontologue Peter Ward et l’astronome Donald L. Brownlee ont agrémentée de nouvelles variables pour une équation cette fois à dix termes tenant compte de l’ hypothèse de la Terre Rare et du Grand filtre : ils présupposent que la vie simple doit être commune mais que les conditions nécessaires à l’apparition de formes de vie complexes sont beaucoup moins souvent réunies. Comme toute théorie, celle de la Terre Rare a trouvé chez les scientifiques des contre-arguments, comme le postulat de planètes dites « superhabitables » en orbite autour de naines oranges, dont la durée de vie de dizaines de milliards d’années est très supérieure à celle d’autres planètes : le facteur temps faisant partie de l’équation, les probabilités redeviennent plus fortes.
C’est à ces notions passionnantes – et à mille autres – que nous confronte Nathalie C. Cabrol. Parmi elles, on trouvera l’échelle de Kardashev des civilisations familière aux lecteurs de science-fiction, tout comme les fameuses sphères de Dyson (on pensera par exemple au Cycle de Pandore de Peter F. Hamilton). Moins connue et à l’opposé du gigantisme et des « big dumb objects », l’échelle de John Barrow (1952- 2020) postule qu’une civilisation se mesure à sa capacité à manipuler ce qui est de plus en plus petit : gènes, molécules, atomes, particules, et en définitive le tissu même de l’espace-temps.
On pourrait penser, une fois encore, qu’il y a dans la recherche de vie extraterrestre bien des hypothèses, comme celle de Jeremy England – la vie serait le résultat inévitable des lois de la thermodynamique, les molécules organisées étant une forme aboutie de dissipation d’énergie – mais il y a surtout des faits. Mais il y a énormément de faits, de recherches et de projets, qui, explique Nathalie A.Cabrol au sujet de deux programmes d’exploration de Titan, Dragonfly et Titan Mare Explorer “allient rigueur scientifique, innovation technologique et une certaine magie mêlée d’un intangible romantisme, qui donne le sentiment de vivre au travers des pages d’un roman de science-fiction.” Car Titan, satellite de Saturne, n’a pas manqué de stupéfier les scientifiques à mesure que les données se sont accumulées, “Titan ressemblait de plus en plus à l’athanor d’un alchimiste, un laboratoire naturel et un monde similaire à la Terre primitive, où il serait possible d’étudier les processus chimiques qui conduisirent à la vie il y a plus de quatre milliards d’années sur notre planète.”
Mais Nathalie A. Cabrol entraîne le lecteur sur bien d’autres planètes, et tout particulièrement sur une vaste gamme d’exoplanètes – planètes telluriques, mondes hycéens (couverts d’eau), super-Terres, planètes neptuniennes, et même planètes vagabondes – qui devraient réserver bien des surprises. Mais comment trouver la vie, et surtout que chercher exactement ? Les astres les plus proches pourraient l’avoir abritée il y a bien longtemps. En matière d’astronomie et d’exobiologie, les scientifiques sont en effet familiers d’ères géologiques qui ne sont pas les nôtres, comme le Noachien et l’Hespérien sur la planète Mars. On sait qu’il y a eu de l’eau en surface, on recherche les traces de formes de vie encore présentes ou depuis longtemps éteintes. Quelles peuvent être de telles traces, nommées biosignatures ? Des sédiments, des résidus, des empreintes fossiles, des molécules que seuls des organismes vivants peuvent laisser derrière eux. Mais de telles biosignatures peuvent aussi nous échapper. Car on ne parvient pas à définir facilement ce qu’est la vie, une vie que des scientifiques comme Christopher Kemper et David Krakauer considèrent comme un « processus » plutôt que comme « quelque chose ». Il est question de la biosphère de l’ombre (une biosphère hypothétique qui serait basée sur des processus moléculaires et une biochimie différents de ceux qui nous sont familiers), d’où le problème de la définition des biosignatures On ne confondra pas cette biosphère de l’ombre avec la biosphère obscure, déjà bien connue, composée de germes telluriques profonds, des communautés microbiennes vivant jusqu’à plus de deux kilomètres sous terre ou sous le plancher océanique : une difficulté d’accès bien au-delà des capacités des sondes actuelles qui, très loin de la Terre, n’analysent ou ne rapportent que des échantillons ramassés en surface ou à très faible profondeur. Quant à la recherche de technosignatures, signes et traces de civilisations évoluées, elle est en cours depuis des décennies, depuis que les radiotélescopes écoutent les étoiles. Mais la définition ou l’éventail des technosignatures se heurte au même obstacle que celle des biosignatures : d’autres formes de vie pouvant avoir exploré des voies scientifiques différentes et avoir développé des technologies qui ne sont pas celles que nous connaissons.
« Durant des milliers d’années, nous avons rêvé d’une fraternité cosmique qui, comme nous, dériverait dans l’espace. Nous nous sommes demandés si des mondes extraterrestres pouvaient exister ou s’ils n’étaient que le fruit de notre imagination. Ces fantasmes ont nourri des générations d’essais, de romans de science-fiction, des films oscarisés ou de séries B. (…) Ce qui est très différent aujourd’hui, c’est que les preuves sont irréfutables : ces mondes existent. »
Au fil de cet ouvrage structuré en treize parties et un peu plus de soixante chapitres, Nathalie A. Cabrol ne lasse jamais. On pourra faire ici et là quelques reproches minimes Les puristes regretteront de trouver à deux reprises (pages 315 et 389) mention d’Arthur C. Clark alors que le nom de cet auteur est correctement orthographié ailleurs, et, si l’ouvrage est servi par une table des matières détaillées et enrichi d’un cahier central de photographies en couleurs, d’une annexe de notes et de références, ainsi que de conseils de lecture, un index et une table des acronymes n’auraient pas été superflus. Mais ce ne sont là que des détails en regard de la somme d’informations dispensées et ordonnées sur plus de quatre cents pages passionnantes, une vaste synthèse scientifique mise à la portée du grand public et le tour d’horizon des connaissances sur un sujet qui a toujours fait rêver. Sous une couverture emblématique (une partie de la nébuleuse de la carène vue par le télescope James Webb) « À l’aube de nouveaux horizons » apparaît comme le récit d’une aventure toujours en cours – une des plus belles et des plus ambitieuses quêtes de l’humanité.
Titre : À l’aube de nouveaux horizons
Auteur : Nathalie A. Cabrol
Couverture : Nébuleuse de la Carène J’ai Lu / NASA, ECA, CSA and STScl via CNP / DPA, Photononstop
Éditeur : J’Ai Lu (édition originale : Seuil, 2023)
Collection : Documents
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 14073
Pages : 411
Format (en cm) : 11 x 18
Dépôt légal : avril 2024
ISBN : 978290394090
Prix : 9 €