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A capella
Philippe Vasset
J’ai Lu, n° 14070, essai, 123 pages, mars 2024, 7,10 €


« Pourquoi de tels détails ? Parce que c’est sur de telles pentes qu’un livre, insensiblement, s’étiage. La littérature ne raconte pas la vie : elle épouse ses reliefs, investit ses délaissés. Écrire, c’est de la culture sur brûlis. »

Nous sommes des êtres hantés. Des évènements, des œuvres, des lieux, des rengaines parfois trouvent dans nos esprits un écho secret, épousent nos humeurs au gré de congruences invisibles, font vibrer en nous des cordes silencieuses. Ces éléments affines se glissent en nous comme dans un nid, nous habitent, nous obsèdent, y résonnent, s’y reflètent encore et encore, comme dans une galerie de miroirs. Philippe Vasset, on le sait, est l’homme de telles obsessions. Rien de stérile ni de monomaniaque pourtant dans ces focalisations qui le conduisent à produire des œuvres singulières, comme le mémorable « Une vie en l’air » (Fayard, 2018) consacré à la ligne expérimentale d’aérotrain de la plaine beauceronne, fragment ruiné d’un futur qui n’est jamais advenu. Avec « A capella », l’auteur change de registre et dévoile une autre hantise : celle d’une voix qui s’est glissée en lui et qui ne le quittera plus.

« Nos galeries, nos restaurants, nos bars sont saturés de fantômes, de spectres qui chantent dans le vide en frappant leurs guitares.

Cette voix, c’est celle d’une chanteuse dont il ne donnera jamais le nom, un être non pas éthéré mais réel, apparaissant dans les salles de concert, les salons, les bars, les restaurants, une femme que Philippe Vasset finira même par rencontrer, mais là n’est pas le propos : elle doit aussi, et surtout, être un spectre, une vibration, une présence le plus souvent invisible, portée par le vent, les ondes, une résonance au loin. De cette voix dont il rêve et qui l’obsède, Philippe Vasset, mû par sa propre créativité, veut faire quelque chose. Cette chanteuse, ou plus exactement cette voix, sera sa muse. Pour elle, il écrira des chansons.

« Parolier, détective, arpenteur : mon désir me portait systématiquement vers des costumes aux poches bourrées d’antimite et des raisons sociales datant du siècle dernier, comme si seul le sépia, le jauni était capable de me retenir »

Rien de linéaire pourtant dans ce petit livre d’une centaine de pages dévolu à une quête perdue d’avance. Monographie élégiaque, fragment d’autobiographie, essai sur l’obsession et l’immersion sonore à placer au côté du très bel ouvrage de Quignard paradoxalement intitulé « La haine de la musique », « A capella », à la manière d’un morceau de jazz, dérive, divague, improvise, tourne autour de son sujet en cercles concentriques, l’élargit, l’enrichit, le rehausse d’éléments glanés ici et là à la manière d’une œuvre baroque.

« Je préfère ces moments où les voix, à force de se redoubler, s’annulent dans une immense rumeur au sein de laquelle les mots claquent comme des bogues de marrons sur le feu. Je peux rester des heures dans un hall, une galerie, à écouter le jeu des échos diluer le sens jusqu’à l’indistinct. »

Un brin poète, un brin picaresque, toujours sensible, souvent animé par l’auto-ironie et l’autodérision, Philippe Vasset se brosse lui-même comme un individu en décalage perpétuel, allant jusqu’à fréquenter avec assiduité les milieux colorés du rap pour trouver cette alchimie particulière permettant de faire coller les mots aux sons, et qui perpétuellement se dérobe. À travers les rues déshabitées par le confinement, il dérive en chantonnant et en brodant sur les noms des rues, comme il dérivait quelques années auparavant, à la manière des personnages ballardiens errant dans les ruines de Cap Canaveral, autour de la voie suspendue de l’aérotrain beauceron. Égratignant le strass et les poseurs, aussi bien dans le domaine de la chanson que dans celui de la littérature (“Qui voudrait participer à ce monstrueux défilé de baudruches et de masques, à cette parade infernale où les chars vacillants semblent perpétuellement sur le point de s’effondrer ?”), il s’intéresse plutôt aux interstices, se penche sur l’histoire des chansons, confesse les fascinations récurrentes que suscitent les timbres particuliers des doublures de cinéma, les voix choisies pour les automates des annonces ferroviaires, les concerts de murmures dans les transports en commun. Observateur redoutable, l’oreille perpétuellement dressée, l’esprit toujours en alerte, il décrit et révèle les enchantements qui échappent au commun des mortels. Portée par le réel, sa quête finira par prendre des allures oniriques. Plus d’une belle formule, plus d’une belle page hantent et habitent cet « A cappella » qui laissera le lecteur à son tour rêveur – un « A cappella » destiné à revenir comme un refrain, à faire partie de ces petits livres que l’on aime lire et relire.


Titre : A cappella
Auteur : Philippe Vasset
Couverture : The Sound of Silence © quick-brown-fox.com
Éditeur : J’Ai Lu (édition originale : Flammarion, 2023)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 14070
Pages : 123
Format (en cm) : 11 x 17,7
Dépôt légal : mars 2024
ISBN : 9791028
Prix : 7,10 €


Philippe Vasset sur la Yozone :

- « La Légende »



Hilaire Alrune
29 avril 2024


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